Léon Danchin était un parent de l'auteur de ces pages
Gravure en couleurs inversées de canards en vol par Léon Danchin
Λέγω δ´ὁμοιομερῆ τά τε μεταλλευόμενα, οἶον χρυσόν, χαλκόν, ἄργυρον, κασσίτερον, σίδηρον, λίθον καί τἄλλα τά τοιαῦτα, καί ὅσα ἐκ τούτων γίγνεται ἐκκρινόμενα, καί τά ἐν τοῖς ζῳοις καί φυτοῖς, οἷον σάρκες, ὀστᾶ, δέρμα, σπλάγχνον, τρίχες, ἴνες, φλέβες, ἐξ ὧν ἤδη συνέστηκε τὰ ἀνομοιομερῆ, οἷον πρόσωπον, χείρ, πόυς, καὶ τἄλλα τοιαῦτα, καί ἐν τοῖς φυτοῖς, ξύλον, φλοῖος, φύλλον, ῥίζα καὶ ὅσα τοιαῦτα.

ΑΡΙΣΤΟΤΕΛΗΣ


Table des Matières

Prélude autobiographique

Éléments d'une destinée

Le chemin souvent forcé par les causes contingentes de l'histoire, qu'elle soit familiale ou qu'elle relève de la politique ou de la langue et de la civilisation françaises, se dirige ici vers un unique dessein. Ce dessein vise à comprendre comment se définit la vie, au sein de l'atome de vie qu'est la cellule, via l'organisation des règles de l'expression collective de ses gènes. L'idée sous-jacente est que la physico-chimie sous sa forme la plus classique ne suffit pas à rendre compte de la vie : à elle seule l'équation de Schrödinger ne prédit pas le code génétique, même si celui-ci reste strictement en accord avec elle. On cherche donc à comprendre les principes physiques qui « animent » la chimie biologique.

Revenant de Crète victorieux du Minotaure, Thésée laissa son vaisseau au Pirée. Chaque année les Athéniens voulurent commémorer ce retour. Après quelque temps les planches du navire commencèrent à pourrir et il fallut les remplacer. Quelques années plus tard on ne retrouvait aucune des planches initiales. Était-ce la même barque ? On le verra, ce que j'ai peu à peu soupçonné, c'est que ce qu'il faut ajouter, ce qui fait que le navire flotte, résultat des relations entre ses planches, est une information. En bref, aux quatre catégories centrales de la Nature, masse, énergie, espace et temps, il faut ajouter cette catégorie dont nous n'avons pour l'instant qu'une représentation balbutiante, l'information. À ce propos, une anecdote montre combien il faut se méfier des témoignages : j'avais été trompé par ma mémoire, le temple de Delphes avait bien joué un rôle important dans l'histoire de Thésée, mais la Barque n'est pas, comme je l'ai pensé, une question de la Pythie, mais bien le vaisseau de Thésée, conservé à son retour de Crète ! Mais cette métaphore reste très imprécise. Et c'est à la suite d'un très long chemin que j'ai fini par penser que les fonctions biologiques les plus importantes sont celles qui mettent en œuvre le Principe de Landauer, discuté de façon de plus en plus précise à partir de 2009.

Chercher à comprendre suppose prendre un point de vue privilégié. C'est là qu'intervient pour commencer la contingence de l'histoire de chacun. Ce sont des occasions particulières qui permettent de s'interroger sur le monde. Pour l'auteur de ces lignes, bien qu'il n'en ait pris conscience que très tard, un élément d'histoire familiale a certainement joué un grand rôle. Mon aïeul paternel, le chirurgien Jean-François Degland, né en 1787, médecin en chef de l'hôpital Saint-Sauveur à Lille, fut le père de Flore-Anastasie Degland et de son frère Côme-Damien Degland, dont les enfants, cousins germains, se marièrent et donnèrent naissance à une lignée nombreuse dont je suis issu. Ornithologue passionné, Côme-Damien Degland publia en 1846 une Ornithologie Européenne et fut l'un des fondateurs du Muséum d'Histoire Naturelle de Lille.

Depuis cette époque, par tradition familiale, beaucoup d'enfants de notre famille ont été un jour ou l'autre intéressés de façon active par les sciences naturelles (cf Léon Danchin, Animalier, Éditions Montaut, 2001). Je commençai ainsi à l'âge de sept ans à collectionner les insectes, les papillons en particulier, et à constituer des élevages d'espèces qui me paraissaient rares ou belles (pour ensuite les relâcher dans la nature, ce que j'ai continué à faire à Hong Kong). Il ne s'agissait là que d'un passe-temps favori, plutôt que d'une orientation vers une activité laborieuse. De fait, je fis des études de lettres classiques et de mathématiques, et je m'orientai d'abord vers la recherche et l'enseignement en mathématiques. Cette orientation était plus conforme à l'activité de mon aïeul, maternel cette fois, Édouard Lecocq, ingénieur aux Chemins de Fer de l'Ouest, et par une de ces coïncidences que l'histoire révèle parfois, était l'époux de Mathilde Citoyen, née à Arbois, où sa famille habitait à côté de celle de Louis Pasteur ! Se retirant dans le village de ses ancêtres, Nacqueville, il fit établir sur le pignon de la maison familiale, aile ouest du manoir des Fontaines et rénovée en 1900, le triangle maçonnique. Les enfants des écoles qui font une promenade éducative passaient naguère encore devant la maison du Franc-Maçon...equerre de la franc-maçonnerie dont faisait partie un aïeul de l'auteur Et le monument aux morts du cimetière de Nacqueville-haut porte le nom de l'Officier de l'École Navale, le capitaine Georges Lecocq, tué à la tranchée de Calonne le 26 juin 1916, et qui avait fait un long séjour à Hong Kong au sein de l'Escadre d'Orient où son arrière-petit neveu irait un jour créer l'étude génomique des microorganismes. Il était le fils d'Édouard Lecocq, sieur des Fontaines, ce qui établit une longue filiation ancrée dans la Hague depuis bien des siècles.

Livret militaire et portrait de l'arrière grand oncle Georges Lecocq
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Peut-être aussi l'influence de mes deux arrière-grands-pères maternels, Louis Reclus, entré en 1889 à l'École Polytechnique pour en ressortir deux mois plus tard par refus de la discipline militaire — on retrouvera quelques années plus tard cette indépendance d'esprit dans son soutien à la cause du capitaine Dreyfus — et à son domicile de Passy, se faire le précepteur de la famille Sepulchre de Condé, et Léon Boutillier, agrégé de mathématiques (1890) et professeur de Mathématiques Spéciales au Lycée Saint Louis, a-t-elle joué un rôle. Et qui sait, mon autre ancêtre Alexandre Mauny, qui fut le chef de la cuisine du comte Nesselrode et créa le « pudding Nesselrode » délice aux marrons glacés qui n'est pas sans rappeler la « bombe Coquelin » de la place de Passy, a-t-il pu influencer mon intérêt pour le concret des choses. Mais il ne faut certainement pas oublier l'influence considérable du monde des lettres dans mon éducation : mon grand-père maternel Jean Boutillier était lui-même un écrivain occasionnel (et l'on trouve encore ses livres, sous le pseudonyme de Michel Arcan), et, beau-frère de Louis Bédier, le fils de Joseph Bédier, si connu pour sa ré-invention de Tristan et Iseut. II passait son temps à lire, debout. Mon grand-père paternel, Fernand-Charles Danchin, quant à lui, avait écrit poèmes et contes pour enfants (Le Petit Ange Paresseux en particulier). Et mon avenir de biologiste, au début des années 1920, a par l'un de ces étranges accidents de l'histoire, rencontré Boris Ephrussi à Divonne-les-bains (ou était-ce Plombières ?), qui y soignait une tendance à la dépression. On le voit en effet dans un film Pathé-Baby familial (hélas détruit à la mort de ma grand-mère), prendre ma mère, très petite fille, sur ses genoux !

En mathématiques, malgré une aptitude certaine à la formalisation logique ou algébrique, c'est plutôt l'analyse, avec sa philosophie sous-jacente du continu qui m'intéressait. J'y voyais en effet une relation profonde avec le monde physique où les champs, l'attraction, la turbulence — ce qu'on n'appelait pas encore le chaos — me semblaient fascinants. Malgré mon intérêt pour la logique (j'y reviendrai), la froideur des objets algébriques — aux noms pourtant bien souvent concrètement évocateurs — me tentait moins. Aussi après mon entrée rue d'Ulm en 1964 ai-je choisi de conserver une disponibilité aussi large que possible, en menant de front des études de mathématiques et de physique. Cela se réalisa concrètement en très peu de temps puisque dès l'année suivante j'étais titulaire d'une licence de mathématiques (qu'on appelle maîtrise aujourd'hui, avant le nouveau mastère européen...) et d'une licence de physique. Comme le cursus normal de l'Ecole était de quatre ans il me restait donc beaucoup de temps disponible. J'ignorais alors la parole de Louis Pasteur, qu'aimait à répéter son gendre Adrien Loir : "Il faut travailler". En effet, à l'époque — comme en Chine aujourd'hui, mais plus tout à fait en France — le travail était une part essentielle de la dignité humaine et non un malheur à éviter... Je commençai donc l'année scolaire 1965-1966 par des études théoriques de mathématiques (en Algèbre et Théorie des Nombres, en vue de la soutenance d'un DEA), et en parallèle je m'inscrivis à deux certificats de licence en biologie, pour explorer ce qui se faisait dans ce domaine. Fin 1966, j'entrepris simultanément un travail de DEA en Théorie Classique du Potentiel, et un stage à l'essai dans un laboratoire de Biochimie (comme je le dirai plus en détail).

À cette date, je revenais d'un long séjour Africain, où j'avais rassemblé de très nombreux batraciens pour le compte du laboratoire de zoologie et d'écologie de l'école, dirigé par Maxime Lamotte. Cela m'avait permis d'avoir quelques moyens pour obtenir à prix réduit le billet d'avion de mon voyage. Ce premier voyage Africain avait conforté mon grand intérêt pour la biologie, et plus particulièrement pour ce qui a trait au rôle de la sélection dans la création des espèces vivantes telles que nous les connaissons (j'en ai illustré quelques exemples avec des papillons dans mon premier livre, Ordre et Dynamique du Vivant). En effet, j'ai eu la chance, parmi les espèces capturées près du laboratoire de Lamto, à la lisière de la forêt galerie du Bandama de récolter plusieurs espèces de lépidoptères, non seulement de genres mais de familles différents, apparentés par leur phénotype. Mieux, l'un d'entre eux, de la famille des Danaïdés, avait sur ses ailes la trace visible d'un bec d'oiseau : cela indiquait qu'il avait été pris puis relâché. Le mimétisme des autres espèces s'expliquait donc aisément par cet avantage sélectif, et mettait ainsi en évidence le rôle de l'universalité de certaine formes biologiques, des essais et des erreurs, couplé à celui de la sélection. C'était là un phénomène déjà longuement décrit par les naturalistes anglais (le mimétisme batésien), et qui faisait le cœur de la justification du darwinisme. Mais le découvrir pour mon compte, sans référence à une approche théorique — grande était alors mon ignorance, mais il est vrai qu'une explication de ce phénomène n'a été proposée que récemment (en 1995, par Naota Ohsaki, de l'Université de Kyoto) — déclencha chez moi un intérêt qui ne s'est pas démenti depuis, pour comprendre les lois qui permettent ainsi la stabilisation sélective de certaines organisations, celles qui constituent le phénomène vivant. La suite de ce voyage initiatique, en compagnie de mon ami et frère Hilaire Tiendrébéogo devait aussi influencer pour toujours mon parcours philosophique et anthropologique et jalonner bien des étapes de mon existence.

Mon intérêt ravivé pour la Biologie, et l'aspect sélectif de l'évolution, m'incitèrent à tenter d'y voir de plus près, en m'intégrant à une équipe de recherche en Biologie Moléculaire. Mais bien sûr, comme rien ne me permettait de penser que je n'échouerais pas rapidement, il me fallait poursuivre dans le domaine de ma compétence d'alors, l'analyse mathématique. Cette tentative demandait une unité de lieu : le DEA d'Analyse se déroulait à l'Institut Henri Poincaré. Je sollicitai donc un rendez-vous avec Marianne Grunberg-Manago (très impliquée dans l'origine de la découverte du tableau du code génétique) dont le laboratoire était situé dans le bâtiment voisin, lui aussi construit en briques rouges, l'Institut de Biologie Physico-Chimique. Et là, par chance, Marianne Grunberg-Manago accepta de me prendre à l'essai. C'est ainsi qu'en novembre 1966 je fis mes premières préparations de poly A avec la polynucléotide phosphorylase du laboratoire (que je retrouve aujourd'hui comme un élément central de la gestion de l'énergie cellulaire), que je broyai à l'alumine mes premières bactéries dans un mortier de céramique refroidi dans la glace et, qu'en un mot je pris un contact concret avec la réalité quotidienne de l'expérience.

Si j'ai pris la peine de commencer par cette introduction autobiographique c'est qu'elle permet de comprendre les raisons profondes de la dualité expérience / théorie qui anime l'ensemble de mes recherches. C'est aujourd'hui la réflexion expérimentale — y compris sous sa forme informatique, que j'ai appelée l'expérimentation in silico, pour faire référence à son support naturel — qui absorbe le plus clair de mon temps, mais j'ai gardé un intérêt de tous les jours pour la formalisation abstraite et la réflexion théorique, y compris à propos du travail expérimental lui-même. Par ailleurs, j'ai conservé de nombreux contacts avec les mathématiciens. Cela m'a permis d'établir des collaborations efficaces lorsqu'il s'est agi de mettre ensemble deux communautés scientifiques, celle des généticiens, et celle des mathématiciens, statisticiens et informaticiens, pour entreprendre le décryptage des séquences génomiques, et plus récemment pour explorer quelques avenues ouvertes de l'épidémiologie, que j'ai développées au cours des trois années de mon séjour à Hong Kong.

La biologie est une science récente. Elle est issue de la combinaison de deux sciences complémentaires, la biochimie et la génétique. La biochimie traite des objets qui constituent le vivant, et se trouve donc être une étape très partielle mais importante lorsqu'on veut comprendre ce qui fait la vie, à savoir un ensemble de relations entre objets. Aussi, bien que j'aie eu le souvenir de la barque de Delphes comme métaphore du vivant, je commençai par faire l'étude poussée de quelques uns des objets de la biochimie. Cela me permit de comprendre la nature de l'univers des objets de la biologie moléculaire, et de me familiariser avec les échelles spatiales, et les dynamiques qui leur sont associées. Après cette période initiatique, je me formai à la génétique, et je constituai le thème de ma recherche future, l'analyse du comportement collectif des gènes chez les bactéries. L'exposé qui suit détaille donc ce parcours : une première période consacrée à la physico-chimie et à la biochimie, puis la mise en place du thème de recherche qui m'occupe jusqu'à maintenant ; enfin, dans un chapitre concernant les rapports entre science et société, je donnerai les grandes lignes de mon activité dans le domaine de l'épistémologie, de l'éthique, et de la popularisation du savoir scientifique. Cet exposé a lieu à la première personne, mais je suis profondément convaincu de l'apport tout relatif des individus à la création scientifique. Ce sont les découvertes qui comptent, pas les hommes. Mais l'honnêteté naturaliste exige qu'on dissèque les specimens de ces individus qui passent leur temps à chercher à comprendre...

Côme-Damien Degland ORNITHOLOGIE EUROPÉENNE, ou Catalogue analytique et raisonné des oiseaux observés en Europe, Librairie Encyclopédique de Roret, Paris & L. Danel, Lille, 1859

cf. par exemple Léon Boutillier COURS DE TRIGONOMÉTRIE ET DE MÉCANIQUE, Charles-Lavauzelle & Cie, 1936. Collection "Le candidat Officier"

Juin 2010. Malgré mes efforts, je n'ai pas pu retrouver l'origine exacte de ce souvenir. Nicolas Chevassus-au-Louis me précise qu'on la trouve par exemple dans Sébastien Ferret, Le bateau de Thésée. Le problème de l'identité à travers le temps, Editions de Minuit, 1996. Il a reparcouru ce dernier livre à la recherche de la source originale rapportant cette fameuse parabole, mais Ferret ne renvoie qu'à La Vie des hommes illustres de Plutarque (puis à ses commentaires par Hobbes), et donc à l'appellation "bateau de Thésée" et non "barque de Delphes" dont l'origine reste mystérieuse.
Janvier 2011. Après discussion avec Andrea Bonaccorsi, j'ai enfin retrouvé l'origine de cette image. Le navire de Thésée est mentionné dans le Phédon (58A), de Platon, avec l'histoire suivante. Thésée au cours de son aventure pour combattre le Minotaure, s'était sauvé avec les sept garçons et les sept jeunes filles qu'il avait emmenés avec lui par bateau en Crète. Afin de remercier Apollon de les avoir sauvés, les Athéniens promirent d'envoyer ce même navire chaque année faire le pélerinage de Délos (l'île d'Apollon), et, pour se garder purs, de s'abstenir de prononcer la peine de mort pendant toute la durée du voyage. Pour réaliser cette promesse, il fallut bien sûr le réparer chaque année et remplacer ses planches endommagées. Cela soulevait donc la question, posée pour répondre au désir du dieu : le navire répondait-il à la promesse ? Était-il encore le navire de Thésée, ou alors l'identité du navire avait-elle changé ? Qu'est-ce qui dans la constitution physique du navire en établit l'identité, chacune de ses planches, ou bien une autre propriété ?
Ce problème a été souvent discuté par des philosophes comme Leibniz, Hobbes, Locke ou Hume, et encore jusqu'à récemment, et c'est bien le problème de ce qui constitue l'identité d'une entité composite qui se pose : est-ce l'ensemble de ses parties, ou autre chose ? Tout le travail que j'ai développé tend à suggérer qu'il faut, outre la matière, placée dans le temps et dans l'espace, et l'énergie, une autre catégorie pour définir l'identité, et cette catégorie est l'information.

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