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Histoire et mémoire en Pologne

§ Jasna Góra (Częstochowa), « capitale spirituelle » de la Pologne §

Le siège de 1655

Dès sa fondation en 1382, le monastère de Jasna Góra, à Częstochowa, avait été liée à la piété populaire et au pouvoir royal. Le roi avait ainsi confié la restauration de l'icône endommagée en 1430 par des pillards à ses meilleurs artistes, avant de la restituer au sanctuaire en procession solennelle. Le sanctuaire prit cependant une autre dimension après l'échec du siège entrepris par les Suédois du 18 novembre au 27 décembre 1655.

Jasna Góra était alors une forteresse moderne, sous-estimée par les assiégeants qui disposèrent trop tard d'artillerie lourde et durent se retirer sans lancer le moindre assaut. La résistance de la faible garnison galvanisée par le † père Kordecki était toutefois exceptionnelle, car les Suédois volaient jusque-là de succès en succès.

Leurs mercenaires avaient juste voulu prendre une forteresse contrôlant la frontière silésienne et piller son trésor, mais leur échec, négligeable sur le plan stratégique, fut un tournant : ce qui n'était qu'un conflit dynastique devint une guerre nationale et religieuse.

Le siège imposait en effet l'image de Suédois venus détruire le catholicisme, ce qui amplifia considérablement le mouvement de guerilla né des pillages de l'occupant. Les détachements de paysans étaient très sensibles à cette lecture religieuse : les montagnards qui reprirent Nowy Sącz aux Suédois s'en prirent surtout aux nobles ariens et protestants. La propagande de † Jean Casimir reprit à son compte cette lecture du siège liant cause polonaise et protection mariale. Le roi proclama Marie Reine de Pologne à Lwów en avril 1656, puis à Jasna Góra le 26 août 1656.

La « capitale spirituelle » de la Pologne

Le sanctuaire avait pris une fonction nationale confortée par le couronnement solennel de la Vierge en 1717. Il catalysait un sentiment polonais de plus en plus marqué par le référent catholique : les † confédérés de Bar firent de la Vierge de Częstochowa leur signe distinctif et de Jasna Góra leur dernier point d'appui. Les insurgés de 1794 chargèrent ainsi à Racławice sous cet étendard. Les rois contribuaient à renforcer cette association en visitant le sanctuaire aux heures cruciales, à l'image de † Jean III Sobieski en 1683. † Stanislas Auguste Poniatowski fut le seul roi à ne pas s'y rendre, ce qui renforça a posteriori les convictions de ceux qui liaient protection mariale et survie de la Pologne.

Sous les Partages, le sanctuaire devint un bastion de la polonité, conçue en lien étroit avec le catholicisme. Plusieurs Paulins furent ainsi déportés en raison de leur participation au soulèvement de janvier. Jasna Góra fut alors l'un des rares monastères à échapper à la fermeture forcée, mais son recrutement fut sévèrement encadré. Cela n'empêchait pas les frères de présenter la grandeur passée du pays aux nombreux pèlerins. Le siège de 1655, garant en quelque sorte du soutien de la Vierge aux heures les plus noires, donnait aussi des raisons d'espérer. Son souvenir fut largement popularisé par la Trilogie de † Sienkiewicz. Si ce dernier resta fidèle à la réalité historique, d'autres n'hésitèrent pas à dramatiser le siège. Bien des Polonais sont ainsi convaincus que le couvent supporta plusieurs assauts, dont le plus dur intervint évidemment le jour de Noël…

Quant au père Kordecki, fidèle à la cause polonaise aux heures les plus sombres, il fut présenté comme un modèle de patriotisme, tant par Mickiewicz que par Sienkiewicz. Chez ce dernier, le Paulin donne un tour décisif à la conversion religieuse et patriotique du héros Kmicic, qui symbolise la celle des vices ayant perdu la Pologne (égoïsme, mépris du bien commun) vers des valeurs civiques antagonistes.

La fonction consolatrice de Jasna Góra se renforça au fil du temps. Sous les nazisme et le communisme, les fidèles attendaient des Paulins des raisons de croire en des jours meilleurs. En 1953–1955, le sanctuaire fut peut-être la seule tribune d'où l'on critiquait publiquement le régime. Le † cardinal Wyszyński en fit de surcroît le coeur de la piété polonaise. En liaison avec quelques femmes qui s'étaient installées à Jasna Góra, il conçut depuis sa prison, dans le plus grand secret, un plan décennal d'évangélisation, en vue des commération du millénaire du Baptême de la Pologne.

Le 26 août 1956, des foules immenses prêtèrent ainsi à Jasna Góra le serment réactualisé de Jean-Casimir (ce dernier avait sacré la Vierge, le texte de 1956 stipulait qu'il s'agissait de celle de Częstochowa). La chaise vide du † primat emprisonné s'imposa alors comme un symbole fort de la période communiste. L'évangélisation de 1956–1966 et les pérégrinations ultérieures de copies du tableau, ont renforcé le lien entre catholicisme polonais et piété populaire traditionnelle, ce qui provoqua sur le moment des polémiques avec les intellectuels qui avaient une autre vision des évolutions à apporter au catholicisme.

Jasna Góra sortit donc renforcée des totalitarismes ; Jean-Paul II chercha d'ailleurs à jouer de cette symbolique lorsqu'il y critiqua violemment le consumérisme polonais en 1991. La notion de « capitale spirituelle » de la Pologne, cantonée de tous temps aux milieux catholiques, semble néanmoins avoir perdu de sa vigueur dans le contexte actuel, pluraliste et moins marqué par les menaces extérieures. Jasna Góra reste néanmoins un lieu privilegié pour comprendre les ressorts de la symbiose entre sentiment religieux et national propre au catholicisme polonais.

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