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Histoire et mémoire en Pologne

§ Jasna Góra : au cœur de la géographie pèlerine §

Jasna Góra : une longue tradition

En 1382, le fondateur du monastère de Jasna Góra y déposa une icône prise lors d'une expédition en Ruthénie. La renommée de cette Vierge se répandit d'autant plus vite que le sanctuaire se trouvait sur une grande route commerciale. fort fréquentée. Les dons des pèlerins suscitèrent ainsi dès 1430 la convoitise de chevaliers brigands liés à la haute noblesse polonaise. Les pillards endommagèrent gravement le tableau, qui fut restauré sur ordre du roi. Fait intéressant, la mémoire collective polonaise attribue ce raid aux hussites, étrangers à double titre puisque tchèques et d’une autre confession.

Les pèlerinages prirent une telle importance que le centre de gravité de Częstochowa se déplaça vers le sanctuaire. Des artisans produisaient des articles de dévotion colportés dans tout le pays. La construction en 1818 de la large avenue de la Vierge structurant la ville dans l'axe du clocher témoignait du statut de « capitale spirituelle » de la Pologne catholique, acquis après le siège de 1655.

Au XVIIe siècle, on comptait souvent plus de 100.000 pèlerins par an. Les Partages coupèrent le sanctuaire d'une partie de ses fidèles : les pèlerins de Gliwice (Haute-Silésie), faute de pouvoir franchir la frontière germano-russe, se rendirent ainsi au Mont Ste-Anne. Jasna Góra entra ensuite dans l'ère du pèlerinage de masse. La Ligue de Soutien au Tourisme (LPT), créée en 1935, proposait ainsi une formule de trains populaires aux pèlerins. Des centaines de milliers d' entre eux participèrent ainsi aux grands rassemblements de la fin des années trente (pèlerinage des femmes (1937), des jeunes (1938)).

Sous le communisme, le cap du million de fidèles annuel fut régulièrement dépassé. Il aurait même été atteint en un jour les 26 août 1946 (consécration de la Pologne à l'Immaculée Conception) et 1956 (serment de Jasna Góra). Après l'élection de Jean-Paul II, la fréquentation annuelle oscilla entre quatre à et cinq millions de fidèles. En 1991, les Journées Mondiales de la Jeunesse confirmèrent la réputation internationale du sanctuaire. En 2007, près de 4,5 millions de personnes s'y sont rendues, dont 1.106.175 dans le cadre des pèlerinages nationaux spécialisés créés pour la plupart lors des cinquante dernières années. Les étrangers représentent moins de 5 % des visiteurs.

Les pèlerinages à pieds

L'avènement du chemin de fer n'a pas empêché les Polonais de perpétuer leurs tradition. Dans les années 1980, le pèlerinage à pieds entre Varsovie et Częstochowa, fréquenté annuellement par 25 à 40.000 personnes dont 10 à 15.000 étrangers, est même devenu un symbole de la spiritualité polonaise.

Les pèlerinages les plus anciens remontent à la Contre-Réforme. Ils témoignaient du renouveau du culte des saints, remerciés pour la protection exercée sur la communauté, souvent contre la « peste » (le terme désignait alors la plupart des épidémies). Les montagnards de Żywiec  prirent ainsi la route de Jasna Góra en 1611, ceux de Gliwice en 1627.

Seul celui de Varsovie se tient sans interruption depuis sa fondation en 1711. Il a pourtant épousé le sort du pays. En 1792, tous les pèlerins furent ainsi massacrés par les troupes prussiennes. Pendant l'occupation allemande, seuls quelques dizaines de personnes purent braver l'interdiction nazie pour maintenir la tradition. Il devint ensuite le seul pèlerinage à pieds autorisé par les communistes. En 1963, ceux-ci tentèrent même de profiter d'une épidémie pour bloquer les pèlerins.

Les années 1980 furent un âge d'or du pèlerinage à pieds. Le climat de liberté entourant la reconnaissance de Solidarność entraîna l'organisation de nombreux autres pèlerinages, comme ceux de Wrocław, des Montagnards (1981) ou des Cachoubes (1982). Depuis 2004, cette pratique connaît toutefois un recul sensible. Celui-ci témoigne de l'évolution de la société polonaise, moins pratiquante, où le pèlerinage n'est plus qu'une possibilité d'utiliser son temps libre parmi d'autres. Le nombre de pèlerins perpétuant la tradition reste toutefois conséquent : on en a dénombré 138.022 en 2007. Certains viennent par ailleurs à Jasna Góra en courant, à rollers, à vélo ou à cheval (respectivement 241, 16, 27 et 2.333 personnes).

Les pèlerinages à pieds ne sont pas seulement l'occasion d'un effort physique et spirituel. La palme revient aux pèlerins de Hel, qui parcourent près de 640 km en 19 jours. Sur le parcours, les participants confortent aussi leur identité régionale (port du costume folklorique) ou nationale, à travers les liens tissés en route avec les hôtes. Le sentiment de maintenir vivante une tradition polonaise peut aussi jouer.

Les pèlerinages sous le communisme

Les pèlerinages de Częstochowa occupent une place à part dans la mémoire catholique de la Pologne populaire. Ils furent souvent l'occasion de vivre concrètement les chicanes d'un régime qui s'en prenait avant tout au clergé.

À partir de 1951, les pèlerins durent solliciter l'autorisation du régime, qui introduisait chaque année des restrictions supplémentaires pour réduire leur nombre. Seuls les pèlerinages « traditionnels » recevaient cet accord, à condition de prendre des trains proposés en nombre insuffisant, puis on exigea le nom des responsables, la présence de médecins, etc. Ces restrictions ne furent vraiment efficaces que jusqu'en 1953. En 1956, les pèlerins ignorèrent purement et simplement les interdictions officielles. Ces restrictions administratives ne donnèrent pas plus de résultats par la suite. Dans les années 1970, cela incita les services secrets à aller plus loin. Des provocateurs volaient les affaires des pèlerins, dégradaient les biens des hôtes, etc.

L'hostilité du régime, qui interprétait tout en termes politiques, se retourna contre lui. Les interdictions achevèrent de convaincre les pèlerins que leur démarche faisait aussi office de protestation politique, surtout sous le stalinisme et durant les années 1980, lorsque les cortèges arboraient le logo de Solidarność. L'une des participantes du pèlerinage de Varsovie, interviewée par le sociologue brésilien Cesar Rubem Fernandes, affirmait ainsi qu'elle découvrait la « vraie Pologne », accueillante et propre. L'allusion politique n'était pas précisée, mais on peut se douter de quel côté se trouvait la Pologne du gouvernement militaire…

Les catholiques excellèrent aussi dans l'art d'utiliser les symboles, notamment le vide, pour annihiler l'effet des attaques communistes. La chaise vide trônant derrière l'autel le 26 août 1956 rappelait ainsi aux pèlerins l'incarcération du † cardinal Wyszyński. Le même procédé fut utilisé dix ans plus tard pour montrer que le pape Paul VI n'avait pas obtenu de visa. Après que la copie de la Vierge de Częstochowa qui parcourait la Pologne eut été « arrêtée » et reconduite de force au sanctuaire, les paroisses furent visitées pendant six ans par… un cadre vide qui accusait directement l'État. Ces mises en scène rendaient les mesures répressives contre-productives : leur coût politique s'avérait bien plus lourd que le laisser-faire…

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