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Histoire et mémoire en Pologne

§ Les débuts de la Pologne (600–1295) §

Avant l'État polonais

L'histoire des terres polonaises avant la construction étatique est assez mal connue, car les Slaves, qui avaient envahi les plaines de la Vistule aux Ve-VIe siècles, n'avaient pas d'écriture. La plupart des informations dont nous disposons viennent de l'archéologie, de récits hagiographiques écrits par des étrangers ou de codex établis après le baptême du souverain en mélangeant apports chrétiens et traditions séculaires. Ces sources disent peu de choses de la vie politique de ces terres. Elles permettent par contre de restituer l'ordre social slave dans ses grandes lignes.

Selon Karol Modzelewski, les sociétés slaves étaient communautaires et inégalitaires, au même titre que leurs voisines germaines ou scandinaves : il parle de « collectivisme barbare ». La communauté des voisins, constituée des hommes libres, était la cellule de base de ces sociétés dans lesquelles les décisions étaient prises à l'unanimité, lors de rassemblements périodiques. Cet égalitarisme, qui excluait femmes et esclaves, allait de pair avec une forte pression sociale du groupe sur les individus. On était à ce point lié au groupe que la notion même de responsabilité individuelle n'existait pas. Une faute retombait sur tout le lignage : la vengeance légale pouvait s'appliquer contre n'importe quel parent d'un criminel, à moins que le rachat de la vengeance, par paiement d'une somme appropriée, ne mette fin au conflit. Malheur à celui qui se trouvait exclu du groupe : on pouvait purement et simplement le liquider sans avoir à craindre la vengeance de ses proches, alors que même l'esclave était protégé par les règles de la vengeance.

La religion unissait ces communautés de base en tribus. Les spécialistes ne s'accordent pas encore sur les facteurs qui ont contribué à l'apparition de structures politiques plus vastes dans toute l'Europe du Centre-Est, avec des phases de flux et de reflux différentes selon les régions, à partir du IXe siècle : contacts croissants avec les Francs et les missionnaires chrétiens, prise de conscience de l'existence de communautés linguistiques, déséquilibres sociaux liés à l'enrichissement de certains libres, changements climatiques, etc.

Dans le cas polonais, on a longtemps pensé que ces structures ont émergé à la fin du IXe siècle. Les fouilles archélogiques faisaient en effet état de changements profonds des modes de vie, dûs pour partie à l’arrivée de nouvelles populations fuyant des régions menacées par les raids viking ou hongrois. Cela semblait confirmer ce que l’on trouvait dans les chroniques. Gall Anonim avait ainsi fait du mythique Piast, protoplaste de la dynastie qui fonda la Pologne, l’arrière-arrière-arrière-grand-père de Mieszko, dont le baptême, en 966, marqua l’entrée de la Pologne dans l’histoire.

Cette datation a été remise en cause par l’analyse dendrochronologique des places-fortes principales de la Pologne naissante. La capitale des Piasts, Gniezno, vit ainsi le jour en 940. L’hardeur avec laquelle on construisit cette année-la (trois autres cités virent le jour et une autre fut agrandie) témoignait d’un sentiment d’insécurité qui aurait catalysé la formation d’un État. Ce début de construction étatique précéda donc de peu le baptême de Mieszko.

De l'État des Piast aux divisions féodales

L'ordre social slave reposait sur le paganisme, qui conférait à tout un caractère sacré. La baptême des élites ne pouvait que bouleverser les fondements sociaux traditionnels. Il y avait un lien logique entre la création d'une métropole catholique à Gniezno en 1000 et le couronnement de Boleslas le Vaillant comme roi de Pologne en 1025. Le clergé fut d'ailleurs l'un des principaux auxiliaires de la mise en place de l'État. Toutefois, la puissance des nouveaux États, symbolisée par les expéditions militaires de Boleslas en Bohème et en Moravie (1003) ou dans la Rus kiévienne (1013, 1018), était souvent liée aux capacités du souverain à unir la société autour de l'armée, d'où des alternances rapides de succès et d'effondrement. La christianisation suscitait des révoltes tournées contre la disparition de la Pologne traditionnelles, qui éclataient souvent à la faveur de querelles dynastiques. Le cumul de ces facteurs fit ainsi que la Pologne disparut comme État, suite à une expédition du duc de Bohème Brestislas en 1039… 36 ans à peine après que Boleslas I eut fait subir le même sort à la Bohème !

Ces phases de crises profondes, connues aussi par les voisins de la Pologne, furent surmontées, notamment parce que la caste des guerriers n'avait aucun intérêt au retour aux structures tribales traditionnelles. La christianisation des élites gagnait du terrain, et la Pologne put reprendre une autonomie politique en soutenant le Pape contre l'empereur lors des querelles des investitures qui les opposèrent après 1057 autour de la question de la suprématie des pouvoirs temporels ou spirituels. A l'inverse, le meurtre de l'évêque de Cracovie, Stanislas, par Boleslas II le généreux aboutit à la destitution du roi.

Si l'État se renforçait, la puissance des grands lignages concurrençait de plus en plus celle du souverain. La Pologne connut au XIIe siècles un morcellement féodal semblable à ce que l'on observait ailleurs en Europe. Le pouvoir effectif du roi, malgré l'instauration de règles claires de succession par Boleslas III Bouche-Torse à sa mort en 1138, fut de plus en plus restreint. Après l'assassinat du prince Leszek le Noir en 1227, le souverain perdit jusque sa primauté symbolique. Les Chevaliers Teutoniques tirent parti de cet affaiblissement en créant leur État dans la Poméranie convoitée un temps par les Polonais.

Paradoxalement, ce morcellement politique allait de pair avec une croissance économique portée par les efforts des grands seigneurs pour attirer les paysans défricheurs contre privilèges ou l'essor du commerce dans une économie de plus en plus monétisée. Les colons, paysans ou marchands, étaient au coeur de la croissance.

Les invasions mongoles

L'ordre politique féodal fut ruiné par les raids mongols. Le pays fut ravagé en 1241, 1259 et 1287. À l'issue de ce dernier raid, la province de Cracovie était la seule à conserver une formation politique unifiée. La Silésie, jusqu'alors principauté la plus puissante de la Pologne démembrée, était ainsi divisée en de nombreuses seigneuries concurrentes. Ces ravages rendaient cependant possible la construction politique d'un État polonais sur de nouvelles bases.

Bibliographie