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Histoire et mémoire en Pologne

§ Sous le Communisme §

La mise en place du régime (1945–1947)

Avec des minorités nationales disparues (Juifs) ou à l'étranger (Ukrainiens, Biélorusses, Allemands), la Pologne était presque devenue monoethnique. Le gouvernement installé par Moscou obtint une reconnaissance internationale en intégrant des politiciens revenus de Londres. Staline ne tint toutefois pas ses promesses de Yalta. Les résultats des élections de 1946 et 1947 furent massivement falsifiés pour priver l'opposition légale, PSL en tête, de sa victoire électorale. Les troupes polono-soviétiques vinrent aussi à bout des maquisards qui avaient repris les armes pour éviter le sort des chefs de l'AK condamnés à Moscou en 1946. Après l'amnistie de 1947, seul des « soldats maudits » isolés continuèrent une lutte sans espoir.

La création du Parti Ouvrier Unifié Polonais (POUP, décembre 1948) symbolisait l'avènement de cette démocratie populaire. Les communistes s'étaient appuyé avant tout sur les troupes russes, tout en exploitant habilement la volonté générale de retour à la normale. Les catholiques pouvaient pratiquer librement leur culte et organiser des processions, les paysans bénéficiaient de la réforme agraire radicale de 1944. Du coup, peu de gens étaient prêts à soutenir l'opposition armée.

La phase stalinienne(1948–1954/56)

La dictature prit vite un tour totalitaire. Moscou contrôlait tout, grâce aux conseillers soviétiques placés aux postes de direction. De plus, Bierut purgea le POUP de ses éléments les plus indépendants. Le pays fut soumis au modèle de développement stalinien : économie planifiée, développement à marche forcée de l'industrie lourde (construction de Nowa Huta), collectivisation des terres. Le pouvoir entendait contrôler jusqu'aux pensées des citoyens. Les artistes durent se plier aux canons du réalisme socialiste. La propagande attribuait la moindre difficulté aux prétendus espions américains. Torturés par les services de sécurité (UB), ces boucs émissaires finissaient par s'accuser lors de procès publics.

La stalinisation fut soutenue par des ouvriers ou paysans auxquels elle offrait une promotion sociale et par quelques intellectuels. Elle se heurta néanmoins à une vaste résistance passive. Le stakhanovisme masquait l'absentéisme chronique des ouvriers ; les paysans sabotaient le processus de collectivisation. Les communistes ne parvinrent pas non plus à soumettre l'Église catholique romaine, malgré des attaques systématiques à partir de 1948. Conscient que le clergé, saigné à blanc en 1939-1945, ne pourrait pas résister à des persécutions massives, le primat Wyszyński, à force de négociations, retarda l'échéance. Lorsque, en 1953, il s'opposa au décret plaçant les nominations ecclésiastiques sous contrôle gouvernemental, il fut néanmoins arrêté.

En 1954, Radio Free Europe diffusa les révélations d'un colonel de l'UB passé à l'ouest. Le POUP dût relâcher sa politique répressive. Cette « petite stabilisation » incita des communistes polonais à diffuser en 1956 le rapport secret de Khrouchtchev sur les crimes staliniens. L'opinion y vit l'occasion de changer les choses. En juin, une émeute fut mâtée dans le sang à Poznań. En août, des centaines de milliers de fidèles participèrent aux cérémonies religieuses de Częstochowa. En octobre, l'agitation fit craindre une intervention soviétique. Le nouveau Premier Secrétaire, Gomułka, parvint néanmoins à convaincre Khrouchtchev qu'il garderait la situation en main.

La recherche d'une voie polonaise vers le socialisme (1956–1980)

Gomułka trouva un motus vivendi avec une population consciente de ne pas pouvoir espérer mieux que « la baraque la plus gaie du camp socialiste ». Les conseillers soviétiques quittèrent le pays, donnant ainsi une légitimité nationale au régime. Ce dernier abandonna sa pratique totalitaire. Il renonçait à contrôler la vie privée des citoyens, tant que ceux-ci évitaient toute critique publique. Les non-conformistes perdaient leur emploi, mais ils n'étaient pas torturés. La Pologne populaire était d'ailleurs le seul pays du bloc socialiste dans lequel subsistait une large propriété privée paysanne et une Église indépendante. Gomułka aspirait cependant toujours au gouvernement des âmes. Il revint vite sur certaines concessions faites dans la foulée de la libération du cardinal Wyszyński. En 1966, État et Église se disputèrent le monopole des cérémonies du Millénaire de la Pologne. Chez les catholiques, celles-ci marquaient le point d'orgue d'un programme décennal d'évangélisation.

À partir de 1967, la crise économique favorisa l'ascension, au sein du POUP, des « partisans », nationalistes et antisémites. La lutte pour le pouvoir contribua au durcissement du régime. La contestation étudiante de mars 1968, souvent animée par des réformateurs déçus, eut pour conséquence des purges universitaires. La violente campagne « antisioniste » du Parti détourna un temps le mécontentement populaire sur les juifs : nombre d'entre émigrèrent sous la contrainte. Cela ne dura qu'un temps. En décembre 1970, l'armée tira sur les ouvriers de Gdańsk-Gdynia qui protestaient contre la hausse des prix. Gomułka fut alors remplacé par Gierek.

Gierek entreprit d'ouvrir le pays aux influences occidentales. Les Polonais découvrirent ainsi le coca-cola ou la Fiat 125. La « propagande du succès » glorifiait la fin de la société de pénurie, vite remise en question par la crise pétrolière et le surendettement de l'État. En 1976, l'inflation suscita des protestations ouvrières, puis la naissance d'une opposition démocratique autour du Comité de Défense des Ouvriers (KOR). L'élection d'un pape polonais, Karol Wojtyła prit également le POUP au dépourvu. Son premier pèlerinage en Pologne, en 1979, réunit des foules immenses. L'Église était la seule alternative au pouvoir, si bien que l'on vit des « pratiquants non croyants » (Patrick Michel) la rejoindre.

Entre contestation et répression (1980–1989)

De nouvelles hausses de prix furent à l'origine des grèves qui submergèrent le pays depuis Gdańsk en août 1980. Le POUP dût alors reconnaître le syndicat indépendant Solidarité, dont le leader, Lech Wałęsa, reçut le prix Nobel de la paix en 1981. Cette remise en cause du monopole politique du POUP était intolérable pour l'élite communiste. Comme le remplacement de Gierek par Kania n'avait rien donné, le général Jaruzelski proclama l'état de guerre le 13 décembre 1981. Solidarité fut interdite et ses dirigeants arrêtés. Même la levée de l'état de guerre, en 1983, ne leur rendit pas l'initiative. L'assassinat du père Popiełuszko (1984) montrait néanmoins que le régime était aux abois.

Dans une société abattue et soumise au rationnement des articles de première nécessité, l'Église apparut comme un refuge. Les salles paroissiales accueillirent artistes et conférenciers. Le temps jouait toutefois pour cette société civile. La perestroïka empêchait Jaruzelski d'agiter l'épouvantail soviétique. Les grèves de 1988 le contraignirent à réunir une table ronde (avril 1989). Solidarité fut à nouveau légalisé, puis remporta tous les sièges non réservés aux communistes lors des élections de juin. Mazowiecki devint alors le premier chef de gouvernement élu démocratiquement depuis l'avant-guerre.

Bibliographie