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Histoire et mémoire en Pologne

§ La République des deux nations : grandeur (1569–1696) ? §

Le «siècle d'argent» (1572-1648)

L'Union de Lublin était une réponse géopolitique à l'extinction proche de la dynastie des Jagellon : Sigismond II Auguste n'avait pas de descendance masculine. La «République des deux nations» était née. Lors du premier interrègne (1572), on décida que le roi serait élu à Varsovie, par tous les nobles présents (principe du viritim). Pour lier l'élu aux traditions locales, la confédération de Varsovie fit de l'engagement à respecter les libertés religieuses un préalable au couronnement. Le premier élu, Henri de Valois (1573), dut aussi signer les articles «d'Henri» lui retirant le pouvoir judiciaire suprême et donnant à la noblesse un droit de désobéissance si le roi violait ses privilèges.

Dès 1574, Henri retourna en France pour y être couronné sous le nom d'Henri III. Il fut démis de son titre et remplacé par Étienne Bathory (1574-1586). Comme la noblesse restait attachée au principe dynastique, la couronne passa ensuite aux mains de la branche catholique de la dynastie suédoise Vasa (Sigismond III (1586-1632) était un neveu de Sigismond II) jusqu'en 1668.

Sur le plan militaire, la République sut tenir tête à ses puissants voisins. La Livonie et Smolensk furent repris aux Russes. Une garnison polonaise occupa même le Kremlin pendant trois ans (1609-1612). Les ambitions dynastiques des Vasas, qui entendaient retrouver la couronne perdue par Sigismond en 1599, entraînèrent des guerres durant lesquelles les armées polonaises, malgré la perte de la Poméranie en 1629, tinrent tête à l'une des meilleures armées d'Europe. Enfin, une grande expédition turque connut un coup d'arrêt aux frontières du pays (bataille de Chocim, 1621). La majeure partie du territoire restait à l'abri des conflits, au moment où presque toutes les puissances européennes s'engageaient dans la Guerre de Trente Ans (1618-1648).

Sigismond III soutint activement la contre-réforme catholique. Les jésuites, Piotr Skarga en tête, diffusèrent ce courant porté par leurs collèges et une nouvelle esthétique. La plupart des villes se dotèrent d'églises baroques. En 1596, l'Union de Brest créa une Église Uniate (greco-catholique) soumise à Rome, sans obtenir une totale égalité avec les catholiques romains (ses évêques ne furent pas admis au Sénat). Grâce aux efforts des moines basiliens, cette confession gagna progressivement du terrain, au détriment de l'orthodoxie, dont la hiérarchie fut suspendue de facto jusqu'en 1620, de jure jusqu'en en 1635 (nomination de Piotr Mohila à Kiev). La contre-réforme s'imposa sans contrainte : de nombreux nobles protestants ou orthodoxes se convertirent au catholicisme. Malgré le durcissement religieux (dissolution de l'académie arienne de Raków en 1638), on restait loin du des contraintes observées dans la majeure partie de l'Europe.

Sigismond favorisa également l'ascension de lignages de puissants magnats. Cette évolution ne profita guère aux paysans, soumis à un servage de plus en plus strict, même si le phénomène des fuites illégales vers l'Ukraine permettait aux plus entreprenants de s'y soustraire. Quant à la petite noblesse, elle compensa l'affaiblissement de sa position politique et économique en obtenant des garanties contre tout renforcement du pouvoir royal (rokosz de Zebrzydowski, 1606-1609). Celles-ci n'étaient cependant pas assorties de mesures compensatoires renforçant les prérogatives du Sénat, où le liberum veto devenait la règle.

L'affaiblissement de la Pologne (1648-1697)

Le soulèvement des Cosaques d'Ukraine renversa la conjoncture internationale favorable à la République des deux nations. Suite aux succès initiaux des cosaques de Bohdan Hmielnickij, une vaste jacquerie ensanglanta l'Ukraine. Aux massacres de nobles et de Juifs répondaient les représailles sanglantes des armées privées des magnats. Les révoltés avaient des revendications nationales (création d'une nation politique par anoblissement massif de cosaques, accès au Sénat des dignitaires ukrainiens), religieuses (défense de l'orthodoxie) et sociaux (augmentation des effectifs cosaques armés aux frais du Royaume, protestation anti-magnats). Incapable de les satisfaire comme d'écraser la révolte, la couronne ne put empêcher une internationalisation du conflit.

Les voisins profitèrent des faiblesses de la République. Les Russes répondirent à l'appel des cosaques. En 1655, les Suédois envahirent la Pologne. Le roi Jean II Casimir dut quitter le pays devant ce «Déluge», tandis que Charles X Gustave se faisait proclamer roi. Les excès religieux et les exactions des occupants entraînèrent néanmoins un sursaut et Jean-Casimir reprit une partie de la Pologne dès 1656. La guerre continua cependant jusqu'à la paix de statu quo d'Oliwa (1660). Jean-Casimir y renonça au trône suédois, tandis que la Prusse Orientale obtenait une indépendance de fait. En vertu de la trêve d'Androussovo de 1667, les Russes acquirent en revanche la moitié de l'Ukraine, dont Kiev. En 1672, la Podolie fut cédée aux Turcs.

Les guerres avaient ravagé le pays pendant de longues années, à une époque où les armées devaient piller pour survivre. La République perdit sans doute plus du tiers de sa population en vingt ans. Les guerres avaient coupée la noblesse de l'étranger, d'où un repli volontiers xénophobe sur l'idéologie sarmate. Les conflits avec les Suédois protestants, les Russes orthodoxes et les Turcs musulmans favorisaient l'éclosion d'une identification nobiliaire, encore minoritaire, entre polonité et catholicisme. Parallèlement, la polonisation de la noblesse de la République était achevée vers 1700 (interdiction du ruthène dans les actes des diètes en 1696). Surtout, les nobles s'opposèrent fermement à tout renforcement du pouvoir central. Les tentatives de Jean-Casimir pour importer le modèle français de gouvernement se soldèrent par un échec : vaincu militairement par les magnats qui défendaient leurs privilèges (rokosz de Lubomirski, 1667), il tenta de jouer sur la crainte du vide en présentant son abdication, mais elle fut acceptée par le Sénat (1668). † Jean III Sobieski (1674-1699) n'eut pas plus de succès dans ses tentatives réformatrices.

L'incapacité de la couronne à se renforcer était lourde de conséquence, car l'Europe entrait dans une phase militaire où la puissance des États dépendait de leur capacité à lever des armées professionnelles nombreuses. Cela supposait une centralisation minimale de l'État. Dans la République, au contraire, on faisait tout pour limiter les effectifs des troupes royales. Aussi les victoires des hussards de Jean Sobieski sur les Turcs à Chocim (1673) et surtout à Vienne (1683), où les Polonais enlevèrent un butin considérable, furent-elles le chant du cygne des armes de la République, qui ne seraient plus en état de faire face aux armées mieux organisées du Brandebourg, de la Suède ou de la Russie.

Bibliographie