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Histoire et mémoire en Pologne

§ Le « Déluge » suédois (1655-1656)§

Une crise profonde (1648-1655)

Pour reprendre la couronne suédoise ceinte entre 1592 et 1599, le roi de Pologne † Sigismond III (1587-1632) s'était lancé dans des guerres polono-suédoises (1601-1609, 1621-1629). Les trêves n'avaient pas rien résolu, car les Vasas polonais continuaient à se dire rois de Suède. Lorsque les Suédois reprirent les armes, la République polono-lituanienne était en pleine crise.

L’Ukraine était alors l’eldorado de la noblesse, colonisée par des magnats polonisés et convertis au catholicisme ou par une petite noblesse polonaise venue chercher fortune. La brutale expansion de leurs domaines avait créé un vif ressentiment au sein d’une paysannerie asservie par des maîtres dont il ne partageaient plus la religion (l’orthodoxie était alors menacée par l’uniatisme) ni la langue. Une partie de cette colère était tournée contre les Juifs qui avaient quitté les Sztetl surpeuplés de Pologne pour acheter le droit de gérer les terres au nom des nobles.

Les plus rétifs fuyaient chez les † Cosaques Zaporogues, à la frontière du pays et du droit. La Sicz, foyer de cette remuante communauté, fut le berceau d’une identité nationale ukrainienne forgée autour de la défense de l’orthodoxie et de la langue ruthène. En 1648, éclata l’une des révoltes Cosaques qui agitaient périodiquement la région depuis des décennies. Cette fois, les armées envoyées mater le soulèvement furent vaincues, parce que † Bohdan Hmielnyckyj avait tiré les leçons des échecs précédents en s’alliant aux Tatars. Une fois les armées royales mises hors d’état de nuire, les paysans se soulevèrent, massacrant Juifs et nobles. Les représailles féroces exercées par les troupes privées des magnats polonais empêchèrent toute conciliation. Cette guerre civile ne trouva pas non plus de solution militaire.

Les Cosaques finirent par se placer sous la protection de Moscou, orthodoxe comme eux ( Union de Pereslaw, 1654 ). Les Russes envahirent alors la Lituanie, avec une volonté de rétablir l'orthodoxie en éliminant † l'uniatisme. De même, les Juifs avaient le choix entre la conversion ou la mort. Plusieurs centaines d'entre eux furent brûlés vifs dans la synagogue de Smolensk. Villes et les villages étaient vidés de leurs habitants, déportés en Russie. Les artisans étaient particulièrement recherchés.

L'invasion suédoise

Face aux vétérans suédois de la Guerre de Trente Ans, la † levée commune ne pesait pas lourd. Quant à l'armée régulière, peu ou pas payée, elle montrait de nets signes de lassitude. Cracovie capitula en octobre, le roi † Jean Casimir s'enfuit dans ses domaines silésiens. Russes et Suédois contrôlaient presque toute la République. Le roi de Suède † Charles X Gustave n'en demandait pas tant : parti pour contrôler les régions baltiques, il pouvait devenir roi de Pologne grâce au ralliement de nobles hostiles à Jean II Casimir. L'attitude des armées suédoises l'empêcha d'exploiter cette conjoncture exceptionnelle.

À l'époque, les budgets militaires étaient trop faibles pour assurer une solde décente aux soldats, qui devaient vivre sur l'habitant. Le pillage était donc un des piliers du système militaire, et les tentatives de Charles X Gustave pour discipliner ses troupes étaient vouées à l'échec. Les excès des soldats finirent par soulever les paysans et la noblesse, d'autant que les troupes suédoises, habituées aux violences religieuses de la Guerre de Trente Ans, profanèrent de nombreuses églises. Elles donnaient ainsi à l'invasion suédoise l'image d'une croisade protestante, ce que Charles X Gustave cherchait à éviter à tout prix. Le siège de Jasna Góra, largement exploité par la propagande de Jean II Casimir, imposa durablement cette image.

Le redressement polonais

Rentré en Pologne, le roi prêta en février 1656 le serment de Lwów qui faisait de la Vierge la Reine de Pologne. Tandis que des partisans harcelaient les Suédois, il regroupa des troupes, chassa les Suédois du sud du pays (bataille de Sandomierz) puis reprit Varsovie, malgré la défaite concédée sous les remparts de la ville, et la Grande-Pologne. À quelques villes près (dont Cracovie et Poznań), les Suédois étaient revenus à leur point de départ.

La guerre prit alors une dimension régionale, car chacun forgeait de nouvelles alliances. En 1657, l'appui d'un corps expéditionnaire moldave et cosaque permit aux Suédois de reprendre Varsovie, avant de l'évacuer suite à l'entrée en guerre des Danois soucieux de préserver l'équilibre des forces en Mer Baltique. Isolés, les Moldaves furent alors décimés par les Polonais aidés de troupes tatares et habsbourgs.

Les années suivantes, la guerre concerna surtout la Poméranie et la Prusse Orientale. Un renversement d'alliance avec le Brandebourg, auquel les Polonais promirent les territoires occidentaux placés sous leur vassalité, acheva cette reconquête. La paix d'Oliwa (1661) valida alors les frontières de 1625.

La mémoire du Déluge

Les invasions mirent à nu les faiblesses de la République des deux nations. Elles renforcèrent la confessionalisation de l'identité polonaise. Celle-ci avait longtemps fait bon ménage avec les différences confessionnelles. À force de lutter contre des Suédois protestants, des Russes orthodoxes et des Ottomans musulmans, de larges pans de la noblesse polonaise firent du catholicisme un clef de la polonité. Le siège de Jasna Góra marqua une étape décisive dans la construction du stéréotype du Polonais-Catholique. À cause des invasions, la petite noblesse cessa aussi de s'inscrire dans les débats européens, se repliant sur une identité sarmate empreinte de xénophobie, comme le montrèrent les élections royales de 1669, marquées par un net rejet des candidats étrangers.

Le « Déluge Suédois » devint ensuite un épisode majeur de l'histoire nationale construite au XIXe siècle. Le Déluge forma ainsi le deuxième opus de la Trilogie de l'écrivain † Henryk Sienkiewicz, écrite pour « réchauffer les coeurs » de ses compatriotes. Le redressement de 1656 leur montrait en effet qu'ils ne devaient pas désespérer. Comme jadis, la Pologne pouvait retrouver sa grandeur et surmonter l'épreuve des Partages, si les Polonais renonçaient à privilégier leurs intérêts particuliers et se mettaient au service de la nation, à l'image de Kmicic, le héros du roman.

La mémoire collective s'est d'ailleurs concentrée sur les années 1655-1656. Les autres épisodes de cette guerre sont beaucoup moins connus, parce qu'ils ne s'inscrivent pas dans cette symbolique du redressement national. C'est sans doute à cette relecture que l'on doit l'accent mis sur l'invasion suédoise, qui touchait les terres ethniquement polonaises au XIXe siècle. L'invasion russe, tout aussi brutale, sinon plus, est, elle, tombée dans l'oubli. Elle concernait les terres du Grand-duché de Lituanie, qui ne se trouvaient pas au coeur des préoccupations du mouvement national polonais.

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