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Histoire et mémoire en Pologne

§ La reconstruction de Varsovie §

Une ville rasée

Le calvaire de Varsovie se déroula en quatre temps. Selon un rapport d'après-guerre, 10 % du bâti fut détruit en 1939, notamment lors du siège de la ville ( 8-28 septembre ). Les infrastructures (gares, centrales électriques) et les monuments historiques (château royal, Grand Théâtre, etc.) avaient été particulièrement visées. 12 autres % de Varsovie disparurent en 1943 : à quelques bâtiments près, l'ancien ghetto n'était plus qu'un immense champ de gravas, aisément repérable par avion.

Lors du soulèvement de 1944, des milliers de personnes, civils ou combattants périrent dans les caves transformées en piège mortels par l'effondrement de bâtiments visés par les Allemands, à l'image des dirigeants locaux de l'Armée populaire communiste (AL). Les photos découvertes récemment dans les archives allemandes suggèrent cependant que l'impact de ces bombardements, estimé souvent à autre quart de la capitale, a été surévalué. C'est la quatrième et dernière vague de destruction qui fit le plus de dégâts. Conformément à un ordre d'Hitler d'août, les sapeurs allemands rasèrent la ville, méthodiquement et systématiquement, notamment après le départ de la population. Le dynamitage du château royal, en septembre 1944, devait avoir le même poids symbolique que celui de la grande synagogue du ghetto (15 mai 1943), par lequel les nazis avaient entendu marquer la fin des combats.

Le 17 janvier 1945, lorsque l'Armée rouge conquit la rive gauche de Varsovie, celle-ci était détruite à 85 %. La rive droite, Praga, était par contre relativement épargnée, car les Allemands en avaient été chassés dès septembre 1944. Les 4/5 des habitations y étaient encore viables.

« Toute la nation construit sa capitale » 

Ce slogan officiel du régime fut d'une adéquation rare avec la réalité. En détruisant Varsovie, les nazis entendaient faire de la Pologne une nation sans passé. La volonté de reconstruire témoignait, elle, d'une volonté de montrer l'aptitude de la culture polonaise à surmonter les pires épreuves. La société des architectes lança un appel en ce sens dès novembre 1944, trois mois avant le gouvernement.

La reconstruction engagea toute a société : les dons affluaient de tout le pays, des volontaires déblayaient la capitale. Il fallut cependant dix ans pour faire ressurgir le centre historique de ses ruines. Cette réhabilitation minutieuse (la moindre pierre identifiée retrouvait sa place originale) était une première mondiale. Les architectes s'inspirèrent notamment des tableaux de † Canaletto, mais ils innovèrent aussi, en réalisant par exemple des † sgraffites d'inspiration renaissance, mais de style contemporain. Cet effort fut reconnu par l'Unesco. La Vieille Ville fut inscrite au patrimoine mondial de l'humanité en 1979. Les archives du bureau de reconstruction de la capitale font par ailleurs l'objet d'une procédure de classement au registre UNESCO « mémoire du monde ».

Cette reconstruction permit aussi aux communistes de se présenter comme les meilleurs garants du retour à la normale, auquel aspirait avant tout une société d'après-guerre lassée des combats. Mais le régime fit aussi de ces travaux un symbole de la modernité qu'il prétendait incarner. Des chansons populaires comme L'autobus rouge ou Nous allons habiter au MDM dressaient un tableau idyllique de la capitale, dont les transports en communs étaient en fait archibondés, et où les logements manquaient cruellement (comme partout en Europe)…

Pour transformer Varsovie en ville socialiste, on rénova le centre-ville pour lui donner un aspect conforme aux canons du réalisme socialiste. Des maisons de maître épargnées par les Allemands furent rasées pour laisser place au palais de la culture ou à la Place de la Constitution. En accord avec les opinions de l’époque : on ne songeait alors guère à protéger les immeubles d’une cinquantaine d’années au plus, qu’ils soient de style historicisant, Art Nouveau ou Art Déco. Ils étaient trop récents par rapport à l’idée que l’on se faisait du «monument historique». Il n’en demeure pas moins que ces réaménagements radicaux relevaient d’un projet idéologique. Dans le film projeté aux visiteurs français du musée de Varsovie jusqu'à une date récente, la rue Marszałkowska, vitrine du nouveau régime, était ainsi sensée incarner la tradition architecturale varsovienne…

À l'inverse, le château royal ne fut pas reconstruit, tant il rappelait un passé dont on entendait faire table rase. Résidence royale puis présidentielle, il symbolisait la II République Polonaise — dont le gouvernement polonais en exil à Londres se réclamait seul légitime successeur. Le dernier locataire d’avant-guerre, †Mościcki, avait qui plus est associé le bâtiment au régime du maréchal Piłsudski, repoussoir de la propagande communiste. Dans la lutte pour le pouvoir ouverte par la mort du charismatique maréchal en 1935, les partisans du président avaient été ainsi qualifiés de «camp du château», par opposition au «camp des colonels» d’orientation plus nationaliste.

Ce n’est pas un hasard si la voie «W-Z», l’un des grands chantiers de reconstruction de la capitale mis en avant par la propagande, avec le quartier «MDM» et le palais de la culture, passait au pied des ruines déblayées du château. Le tunnel passant sous la place du château et les escalators conduisant à la dite place, vitrine de la modernité, faisait ainsi pendant à un vide, un passé que les nouveaux dirigeants voulaient révolu.

Tel n’était pas l’avis d’une vaste majorité de la population, qui souhaitait que le château royal renaisse de ses cendres. Lorsqu’Edward Gierek prit les reines du Parti fin 1970, il lança une série de mesures destinées à consolider le régime. Il autorisa ainsi la reconstruction du château. Pendant des années, une urne accueillit les dons des particuliers. Grâce aux dons venus de tout le pays et de la diaspora, le bâtiment sortit progressivement de terre, et les travaux furent achevés en 1984.

Les Polonais face à une reconstruction sans précédent

Si les Varsoviens sont fiers de cette reconstruction, les Cracoviens ne manquent pas d'en tirer argument pour démontrer la « supériorité » de leur ville, qui n'est pas « artificielle ». De fait, on ne peut pas reconstruire à l'identique, car il faut toujours partir d'une période de référence. Dans le cas de Varsovie, bien des bâtiments postérieurs à 1850 ne furent pas reconstruits, voire furent détruits après 1945, parce que les conservateurs estimaient qu'ils n'avaient pas de valeur patrimoniale, un point de vue qui ne fut révisé que quelques décennies plus tard… Il faut cependant nuancer l'opposition traditionnelle Cracovie/Varsovie, en rappelant que les façades de Cracovie sont réhabilitées, parfois en privilégiant une période du passé au détriment d'autres…

En fait, la réputation de laideur de Varsovie reconstruite traduit un rejet de la capitale, mais aussi, et surtout, du passé communiste et du joug soviétique, symbolisé notamment par le Palais de la Culture. Après avoir renoncé à le dynamiter, les pouvoir publics ont multiplié les concours destinés à le rendre moins visible (on a même envisagé d'entourer le palais de grattes-ciels)… sans les concrétiser jusqu'à ce jour. Les critiques les plus vives sont liées au sort des habitations rasées pour faire place aux projets du Parti. Les Polonais qui, nombreux, disent que le communisme a défiguré à jamais la capitale oublient cependant que la reconstruction, à l'Ouest, prit souvent un visage similaire ( † rénovation du Havre ).

Si certaines réalisations staliniennes n'étaient pas dénuées de valeur architecturale (ensembles « Muranów » ou « Winnie l'Ourson »), la pénurie de logements restait criante en 1960. D'où les constructions massives de logements préfabriqués un peu moins étroits, dont les comédies des années 1970 ont raillé la faible finition. Le profil décrié de Varsovie leur doit beaucoup, même si les Varsoviens souhaiteraient que les standards sociaux de ces quartiers, en terme d'espaces verts, ou d'écoles, soient respectés par les promoteurs actuels, obsédés par la rentabilisation maximale du mètre carré. Il faut enfin mettre à l'actif de cette reconstruction la place laissée aux parcs, notamment sur l'escarpement de la rive gauche, en lieu et place des taudis d'avant-guerre.

Notons, enfin, que la reconstruction de Varsovie à eu des répercussions sur les relations germano-polonaises. Les Allemands ont ainsi fait appel à l'expertise des Polonais pour reconstruire leurs quartiers historiques détruits en 1942-45. À l'inverse, † Lech_Kaczyński a demandé en 2005 une estimation financière de la destruction de Varsovie pour présenter la facture aux Allemands au cas où ceux-ci réclameraient l'indemnisation de leurs concitoyens chassés de Pologne en 1945-1947.

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