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Histoire et mémoire en Pologne

§ Matejko : la Bataille de Grunwald §

Jan Matejko, La Bataille de
Grunwald, 1878

Jan Matejko, La Bataille de Grunwald (1878), Musée National de Varsovie (nr. inw. MP 443).

Cette peinture monumentale (4,26 m sur 9,87 m !) de Matejko présente simultanément plusieurs épisodes de la bataille. Au centre, le moment où tout bascule : l'étendard teutonique s'effondre, tandis que l'aigle polonais flotte victorieusement. Le grand-duc † Vytautas (Witold) lève les bras en signe de triomphe. C'est le seul personnage dont le regard porte vers le visiteur, comme pour l'inciter à la réflexion. À sa gauche, la mort du grand-maître † Ulrich von Jungingen symbolise l'effondrement de l'ordre.

Deux autres épisodes sont représentés. La prise du camp teutonique à la fin de la bataille est représentée à l'extrême gauche du tableau. En haut à droite, au dessus des combattants engagés dans une mêlée confuse, un groupe de chevaliers. Il s'agit de la garde rapprochée du roi de Pologne † Ladislas II Jagellon. Elle vient de repousser l'assaut du chevalier Kökeritz von Dieber, dont le cadavre gît aux pieds du roi. L'un des chevaliers, futur évêque de Cracovie, désigne de sa lance l'apparition de saint Stanislas priant pour la victoire polonaise (au centre du tableau, en haut).

La La Bataille de Grunwald s'inscrit dans † l'historiographie nationale du XIXe siècle. Elle réinterprète une bataille du XIVe siècle pour l'inscrire dans les luttes du XIXe siècle. Les Polono-Lituaniens sont ainsi décrits comme les défenseurs du droit (Dieu est d'ailleurs avec aux), tandis que la chute des Teutoniques est le fruit de leur parjure.

La mort du grand-maître, peinte d'une manière symbolique en est un bon exemple. Il est tué par un bourreau habillé pour une exécution et par un Samogitien dont la lance évoque le châtiment réservé aux parjures. Ce guerrier païen à moitié nu tient une réplique de la lance que l'empereur d'Allemagne avait offerte au roi de Pologne en 1000 en gage d'amitié, signe de la rupture de ces liens par la faute des Teutoniques. Cette mise à mort juste est reçue des mains de ceux qui ont le plus souffert d'une christianisation violente, méprisant les idéaux évangéliques. Cette critique s'inscrit à la fois dans le discours polonais de tolérance développé par les savants polonais à l'époque de Grunwald, et dans la vision négative de l'Ordre Teutonique sous les Lumières.

détail du tableau : un prince Piast

Un autre détail permet de comprendre cette réécriture. Le prince en train de mourir aux pieds de Witold est présenté comme un traître. Le sceptre de l'Université Jagellonne rappelle que ce prince, issu de la famille royale polonaise des Piast, fut éduqué en Pologne avant de combattre pour les Teutoniques à l'âge de 18 ans… Matejko condamne cette attitude, mais le fait de passer au service d'un autre suzerain n'avait rien de condamnable en soi à l'époque. Par contre, ce tableau ne s'inscrit pas dans la vision raciale de la lutte du Germain et du Slave qu'adoptera la génération suivante. À gauche du tableau, Matejko a représenté sans commentaire négatif le duc de Stettin, un prince slave allié des Teutoniques.

Conçue pour galvaniser l'esprit national polonais, cette peinture remplit pleinement son objectif. Les foules se pressèrent assez vite pour admirer le tableau, qui reçut aussi un accueil enthousiaste en Lituanie. Au point qu'en septembre 1939, il fut considéré comme l'un des trésors à soustraire en priorité aux nazis. Après avoir échappé de peu aux bombes (deux personnes du convoi moururent durant l'opération), il fut caché dans la région de Lublin. Comme cette oeuvre était un support essentiel du sentiment national polonais, les nazis offrirent une prime de deux millions de marks à qui leur donnerait des renseignements sur la cache du tableau. Les pressions que la Gestapo exerça sur le conservateur chargé de coordonner l'évacuation du tableau étaient donc restées sans effet. Mais il avait fallu que Radio-Londres diffuse la fausse nouvelle de la présence du tableau en Grande-Bretagne pour que cette traque cesse.

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