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Histoire et mémoire en Pologne

§ Krzyżtopór : les pillages du « Déluge » suédois §

Les ruines du palais de Krzyżtopór évoquent les destructions de l'invasion suédoise de 1655. On peut y voir aussi un des symboles les plus frappants des pillages subis par la Pologne…

Un monument orgueilleux

À lui seul, le nom de Krzyżtopór est tout un programme: la croix (krzyż), en honneur à la † Réforme catholique triomphante, et la hache (topór) des Ossoliński. Rien d’étonnant : un château, ce n’était pas un toît, mais un monument à la gloire de ces propriétaires. Le visiteur égaré ne pouvait pas s’y tromper. Il suffisait de regarder l’entrée pour être sûr d’être à bon port… et de se sentir écrasé par la puissance des hôtes.

Les Ossoliński n’étaient pas à court d’argent, comme toutes les familles de magnats devenues très puissantes grâce aux largesses de † Sigismond III . Krzysztof Ossoliński mourrut pourtant couvert de dettes en 1645. Mais peu importaient les créanciers : la fortune n’était un moyen ; la gloire, une fin. Dans toute l’Europe, les nobles rivalisaient de † dépenses somptuaires . C’était à qui ferait parler de lui. De ce point de vue, les sommes englouties dans la construction de Krzyżtopór (1627–1644) auraient difficilement pu être mieux investies.

Ce n’était pas un « palais-forteresses » (palazzo in fortezza) parmi d’autres. À Krzyżtopór, cette architecture dernier cri devenait un symbole cosmique : 4 bastions, 52 pièces et 365 fenêtres. Et si cela ne suffisait pas, les écuries de marbre ou le grand aquarium au plafond au grand salon feraient emboucher les trompettes de la renommée… Cette opération de prestige réussit si bien que les historiens ont du mal à faire la part de la légende et de la réalité.

Les pillages du « Déluge suédois »

Malgré ses bastions modernes, le palais fut conquis par les Suédois dès 1655. Une garnison de 400  † reîtres s'y installa alors. En avril 1657, les troupes du roi de Suède † Charles X Gustave et celles du duc de Transylvanie y effectuèrent leur jonction.

Le reflux suédois laissa un château dévasté. Comme de coutume en de telles circonstances, les soldats avaient pris tout ce qu’ils pouvaient emporter, jusqu’au marbre des écuries. Le château de Nowy Wiśnicz, dont le propriétaire avait ouvert les portes aux Suédois pour éviter les dégâts d'un siège, était dans le même état… En fait, les armées ne pouvaient fonctionner sans pillage, car la solde des soldats ne insuffisait pas pour vivre. fléau des populations civiles, amies ou ennemies, le pillage rendait les conflits du XVIIe siècle extrèmement meurtriers. Des régions entières en furent dépeuplées.

Élément central des campagnes militaires, le pillage était codifié. les vainqueurs bénéficient d'un délai fixé par les commandants pour piller à loisir. Une perspective suffisamment effrayante pour inciter les municipalités à négocier la levée du siège contre de de lourdes rançons. Les armées étaient donc suivies de chariots chargés du butin des soldats, et d'une foule de marchand prêts à le négocier. La défense de ce trésor de guerre primait sur tout, et on a vu des troupes quitter précipitamment le champ de bataille pour cette raison.

Ces pillages entraient si bien dans la logique de la guerre que l’on y voit l’un des ressorts de l'invasion suédoise. Le roi de Suède n'avait pas d'autres moyens d'assurer un revenu aux vétérans de la Guerre de Trente Ans (1618-1648)… La Pologne était une cible d'autant plus alléchante que l’ouest du pays n'avait pas connu la guerre depuis deux siècles. La bibliothèque jésuite de Braniewo avait ouvert dès 1627 une longue liste de biens qui franchirent la Baltique pour ne jamais revenir : collection de peintures de † Jean II Casimir , décorations du palais royal (on en a récemment repếché une partie, sombrée dans la Vistule avec le navire les transportant). Les clauses du traité de paix d'Oliwa (1660) qui imposaient la restitution des livres saisis par les Suédois ne furent jamais respectées…

Krzyżtopór : un symbole

Le destin de ce palais orgueilleux réduit à la ruine une dizaine d'années à peine après son achèvement, avait tout pour frapper les imaginations. Les contemporains, pétris de culture classique, y ont-ils vu une figure de l'hybris, cet orgueil qui conduisait les héros des tragédies grecques à la démesure, puis au désastre ? Le château est en tout cas devenu un symbole des ravages du « Déluge » suédois et de la fin de l'âge d'or polonais.

Pourtant, selon les sources, le palais était encore en bon état en 1657. Le journal de guerre du dessinateur Eric Dalhberg témoigne de la forte impression, sans équivalent en Pologne, que lui fit cette résidence. Contrairement à ce que l'on entend souvent, le château fut continuellement habité après leur départ, même s’il ne retrouva pas son éclat d’antan. Krzyżtopór fut abandonné en 1770, réduit à l'état de ruine par l'assaut russes contre les † confédérés de Bar qui s'y étaient retranchés.

À l'heure actuelle, le palais occupe surtout une place à part dans la mémoire des érudits. Les efforts actuels entrepris pour le reconstruire prouvent que le pouvoir symbolique de ces ruines s'est sensiblement atténué. On peut cependant se demander si le palais, situé sur un site relativement isolé, attirerait plus de touristes en perdant ces ruines imposantes qui font son originalité…

Du pillage en Pologne

Le public cultivé voit dans Krzyżtopór l'un des symboles des nombreux pillages subis par la Pologne au fil des invasions, même si les réformes militaires de la fin du XVIIe siècle (encasernement des soldats, meilleure solde) ont atténué le caractère structurel des pillages.

La Pologne fut ainsi très touchée par la Deuxième guerre mondiale. Certaines oeuvres d'art ont échappé au désastre, grâce à leur évacuation à l'étranger dès août 1939, à l'image des tapisseries renaissance de Wawel, ou à l'ingéniosité de conservateurs ayant caché sous l'occupation des oeuvres promises à la destruction, comme L'Hommage prussien de Matejko. Cela n'empêcha pas les nazis, puis les Soviétiques de se livrer à pillage systématique du patrimoine artistique. Les Polonais ont parfois concouru aux destructions, comme le montre le cas extrême du château de Krasiczyn, sévèrement endommagé par l'Armée rouge en septembre 1939, avant d'être pillé par les paysans des environs. Certains trésors du patrimoine polonais ou allemand n'ont toujours pas refait surface, comme l'Autoportrait de Raphaël conservé avant-guerre au Musée Czartorycki ou la Chambre dorée de Gdańsk.

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