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Histoire et mémoire en Pologne

§ Un Pays à unifier (1918–1939) §

Des débuts difficiles (1918-1926)

Dès le 11 novembre 1918, la Pologne renaissante dut relever deux grands défis. Il fallait surmonter les divisions entre socialistes du gouvernement auto-proclamé de Lublin, conservateurs du conseil de régence et nationaux-démocrates qui entendaient incarner chacun la légitimité polonaise. Au même moment, les premiers combats opposants Polonais et Ukrainiens à Lwów montraient que le problème des frontières serait résolu par la force.

Un compromis politique éloigna le spectre de la guerre civile. Piłsudski remplaça le cabinet PPS de Lublin par un gouvernement consensuel. L'agitation ouvrière fut apaisée grâce à l'octroi du droit du travail le plus avancé d'Europe. Les promesses de réforme agraire, plus tardives, permirent aussi le ralliement des paysans. Dmowski représentait les intérêts polonais auprès des Alliés. Le traité de Versailles (28 juin 1919) accorda ainsi de larges territoires à la Pologne, dont le fameux «corridor de Dantzig» qui coupait l'Allemagne en deux.

Dans les faits, seule la frontière polono-roumaine fut fixée de manière entièrement pacifique. Les insurgés polonais combattirent les Allemands en Grande-Pologne (décembre 1918-février 1919) et en Haute-Silésie, à trois reprises, avant (1919, 1920) et après le plébiscite (1921). La Tchécoslovaquie profita de la guerre polono-soviétique pour envahir la moitié de la Silésie de Cieszyn. À l'est, les frontières ne se dessinèrent qu'après deux ans de guerres. Polonais et Lituaniens se disputaient Wilno, capitale historique de la Lituanie, mais de population polonaise et juive. Son annexion par Varsovie ne fut jamais reconnue par le gouvernement lituanien. En Galicie, les troupes ukrainiennes furent vaincues. Après avoir brièvement occupé Kiev (mai 1920), les Polonais furent repoussés jusqu'à la Vistule. Alors que le pays semblait s'effondrer, la contre-offensive du 15 août 1920 renversa le cours de la guerre. Le traité de Riga y mit fin en février 1921.

La Pologne héritait ainsi de frontières trop orientales pour satisfaire les tenants d'une vision ethnique de l'État, et pas assez pour créer une fédération polono-lituanienne dont les guerres avaient montré le caractère utopique. Du coup, les Polonais ne formaient que les 2⁄3 de la population. Le pays comprenait de nombreuses minorités : Ukrainiens (environ 15 % en 1931), Juifs (environ 8,5 %), Biélorusses (4 à 5 %), Allemands (environ 2,5 %), etc.

La constitution de 1921 instaura un régime parlementaire. Hommes et femmes élisaient la diète à la proportionnelle, si bien qu'aucune des grandes tendances politiques (socialistes, partis des minorités, partis paysans, démocrates-chrétiens, nationaux-démocrates) ne put s'imposer. La tension atteint son comble après l'élection présidentielle. Narutowicz, auquel les nationalistes reprochaient d'avoir été élu avec les voix des députés des minorités, fut assassiné en 1922 par un peintre dont une partie de l'opinion fit un martyr.

Les difficultés économiques pesaient sur la vie politique. Dans un pays dévasté par les guerres, il fallait unifier des régions qui avaient développé leurs propres traditions pendant 125 ans. Malgré le concours de l'intelligentsia revenue de l'immigration, il était impossible d'unifier le marché intérieur ou les réseaux de transport en si peu de temps. L'hyperinflation de 1923 entraîna des émeutes, notamment à Cracovie. La constitution d'un gouvernement de techniciens dirigé par Grabski permit toutefois d'assainir les finances publiques. Une nouvelle monnaie, le złoty, remplaça le mark polonais. La Pologne fut même le seul pays d'Europe à surmonter l'hyperinflation sans aide internationale. Toutefois, en 1925, le pays dut subir une guerre douanière lancée par l'Allemagne, principal fournisseur du pays, dans l'espoir de contraindre Varsovie à des concessions territoriales.

La « sanacja » (1926-1939)

En mai 1926, le coup d'état de Piłsudski instaura un régime prônant l'« assainissement » (sanacja) du pays. L'opposition pouvait librement critiquer le pouvoir, à la diète, par la presse ou lors de meetings. Les amendements constitutionnels avaient cependant ôté au parlement de nombreuses prérogatives, le soumettant ainsi au pouvoir exécutif. Adversaire farouche des nationaux-démocrates, Piłsudski était surtout soutenu par la gauche. Son entente avec les conservateurs montra cependant qu'il voulait être au-dessus des partis. Lors des élections de 1928, il présenta ses candidats sous l'étiquette d'un « Bloc Électoral de Collaboration avec le Gouvernement ».

La crise économique affaiblit la popularité d'un régime longtemps porté par une conjoncture favorable. Des arrestations arbitraires (septembre 1930) brisèrent toutefois la coalition antigouvernementale de centre et de gauche. Le régime prit désormais une tournure nettement autoritaire, même si les partis d'opposition continuaient à exister et s'exprimer. En 1934, l’assassinat du ministre de l’intérieur par un nationaliste ukrainien entraîna la création du camp d'isolement de Bereza Kartuska, auquel les détenus étaient assignés sur simple décision administrative. L’adoption, dans des conditions douteuses, d’une constitution autoritaire (avril 1935) donnant de larges pouvoirs à un président responsable «devant Dieu et l’histoire» parachevait l’évolution du régime.

Peu après, la mort de Piłsudski (12 mai 1935) priva le régime de sa légitimité charismatique. Le «château», autour du président † Mościcki chercha une compensation dans la promotion du rôle modernisateur de l'État (création d'un « Bassin Industriel Central », en abrégé COP, 1937). Les partisans de Rydz-Śmigły préféraient s'appuyer sur le nationalisme, au moment où le boycott des étudiants juifs témoignait d'un regain de l'antisémitisme. Cette orientation culmina en 1938 (pacification des confins orientaux, saisie de toute la Silésie de Cieszyn). En exploitant la faiblesse du voisin tchécoslovaque, le régime firent un calcul à courte vue, motivé par les rancoeurs de 1920 et la volonté de ne pas se voir refuser ce que l’on accordait aux Allemands.

Passée l'enthousiasme de l'indépendance, les Polonais avaient dû faire face aux difficultés nées de la désintégration des empires, puis à une crise mondiale. Le niveau de production atteint en 1938 restait ainsi inférieur à celui de l’avant-guerre. Les traditions démocratiques étaient trop faibles pour soutenir un tel choc. La Deuxième République procéda néanmoins à un important travail d'intégration des traditions législatives en un tout cohérent. Sur le plan des infrastructures, celle-ci restait inachevée, malgré la création de toute pièce d'un grand port à Gdynia relié au charbon de Silésie par une voie spéciale. La constitution du COP répondait aussi à un besoin de rationalisation des réseaux économiques. La Pologne de l'entre-deux-guerres, avec sa forte croissance démographique, restait cependant rurale. En 1931, 60,6 % de la population vivait de l'agriculture. L'indépendance renforça cependant † l'intelligentsia, dont les effectifs augmentèrent de 40 %. Cette couche de la population, dotée d'une forte éthique de responsabilité (qui tend à être idéalisée pour mieux critiquer le matérialisme des années 1990-2000), fut l'objet privilégié de la politique d'extermination des occupants.

Bibliographie