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Histoire et mémoire en Pologne

§ Les Jagellons (1385–1569) §

Vers la Pologne-Lituanie

L'Union de Krewo (1385) instaurait une alliance avec le Grand-duché de Lituanie, huit ans à peine après la grande expédition militaire de Louis d'Anjou contre les Lituaniens. Les motifs d'affrontement entre les deux pays ne manquaient pas (rivalité territoriales à l'est), tout comme les facteurs de rapprochement (menace des chevaliers teutoniques). Par ailleurs, les Lituaniens, dont le paganisme devenait diplomatiquement intenable, avaient intérêt à choisir le catholicisme pour ne pas perdre leur identité culturelle, qui aurait pu se dissoudre dans celle de leurs sujets orthodoxes. En choisissant le catholicisme romain, le grand-duc † Ladislas ôtait aussi toute raison d'être aux croisades des chevaliers teutoniques.

En échange de son mariage avec Edwige, Ladislas fut baptisé en février 1386. Par contre, il ne put honorer ses promesses de reconquête militaire, car il dut affronter l'opposition des partisans lituaniens de † Vytautas (Witold), hostiles à toute forme d'union. Cette opposition ne fut surmontée qu'avec le compromis de 1401 (Union de Radom-Vilnius) : Ladislas cédait son titre de grand-duc à Vytautas, qui devenait son vassal. Le Grand-duché conservait ses institutions et son autonomie.

Cette nouvelle union permit à la coalition polono-lituanienne d'écraser les troupes teutoniques à Grunwald (Tannenberg) le 15 juillet 1410. L'alliance avait cependant ses limites : effrayé par le profit que la Pologne pouvait tirer de cette victoire, Witold retira ses troupes. Les chevaliers teutoniques purent alors arracher une paix relativement favorable.

Il fallut en fait beaucoup de temps pour consolider cette union polono-lituanienne. Un nouveau pas fut franchi en 1413 (Union de Horodło) : les deux pays s'engageaient à s'entendre pour choisir leurs souverains ; cette union amorçait un rapprochement institutionnel, puisque le grand-duché adoptait certaines institutions polonaises comme la charge de † voïvode tandis que 47 familles lituaniennes entraient, à égalité de privilèges, dans les registres de noblesse polonais.

Le long règne de Casimir Jagellon, grand-duc de Lituanie (1440-1492) et de roi de Pologne (1446-1492), fit beaucoup pour atténuer les craintes des Lituaniens, qui redoutaient une hégémonie polonaise, d'où leur neutralité lors de la Guerre de Treize Ans. Si les différences culturelles restaient fortes, les unions personnelles devenaient de plus en plus fréquentes, resserrant les liens politiques et militaires (Union de Vilnius, 1499) entre les deux pays. Ce rapprochement aboutit à l'Union de Lublin (1569). Celle-ci instaurait une union des deux couronnes, une Diète et une politique étrangère commune, ainsi qu'une unité monétaire. L'armée, les offices, l'administration et le trésor restaient autonomes.

La domination des Jagellons

Le sacre de Ladislas comme roi de Pologne installait sur le trône une nouvelle dynastie, les Jagellons, qui entendit vite jouer un rôle régional. Cet échec n'empêcha pas cette famille de dominer l'Europe du Centre-Est. Entre 1490 et 1526, ses membres occupèrent ainsi les trônes de Bohème, Hongrie, Pologne, et Lituanie. Seul l'État des chevaliers teutoniques échappait à leur emprise. La Guerre de Treize Ans (1454-1466) l’avait néanmoins considérablement affibli: en signant la paix de Toruń (1466), les Teutoniques cédèrent la Poméranie, la plus riche partie de la Prusse (désormais appelée Prusse royale) et la Varmie à la Pologne. Les Teutoniques devinrent vassaux de la couronne polonaise, entre 1466 et 1498, puis à partir de 1525, lorsque le grand-maître de l’ordre se convertit au protestantisme et prit le titre de duc.

La domination régionale des Jagellons fut toutefois contrebattue par l'action de deux puissances militaires. Les Ottomans n'étaient pas des nouveaux venus dans les régions. En 1444, un roi de Pologne, Ladislas III avait déjà trouvé la mort à la tête des armées croisées vaincues par les Ottomans à Varna. Lorsque le roi de Bohème et de Hongrie Louis Jagellon connut le même destin à Mohács en 1526, c’est cette fois l’ascension de toute la famille qui se trouva brisée. Les Habsbourgs devinrent souverains de Bohème et de Hongrie, dont la majeure partie était soumise aux Ottomans — qui finirent par annexer ces terres en 1541. Le souvenir des défaites passées incita les Polonais à faire de la paix perpétuelle conclue en 1533 avec les Ottomans l'une des lignes directrices de leur politique étrangère. Cela n'excluait pas des luttes par vassaux interposés (Tatars, Moldavie), lesquels exploitaient aussi la moindre marge d'autonomie.

L'émergence de Moscou causa bien plus de problèmes aux Lituaniens. Ceux-ci ne surent pas empêcher Ivan III, tsar de 1462 à 1505, de contrôler Novgorod. Les succès militaires enlevés face aux Russes (bataille d'Orsza, 1514), ne purent prévenir la perte de plus de 300.000 km2 (Smolensk, Briansk, Kurtsk) au profit de Moscou. Leur perte ne menaçait toutefois pas directement les Jagellons.

Le rôle de la noblesse

Les succès dynastiques des Jagellons furent également lié au soutien de la noblesse. Celle-ci représentait une proportion de population plus élevée qu'a l'ouest. Elle était animée d'un fort idéal égalitaire, dans lequel on peut voir une survivance des sociétés barbares (les communautés de voisin, essentielles chez les paysans, en étaient une autre). Le roi sut jouer de ce sentiment pour contrer l'influence des seigneurs les plus puissants, mais il dut aussi régulièrement concéder des privilèges à la petite noblesse qui tirait parti des rassemblements militaires pour monnayer son soutien lors d'une "diète équestre" (rokosz). Elle obtint de la sorte les privilèges de Czerwińsk (1422, interdiction de saisir les biens nobiliaires sans arrêt du tribunal) et de Nieszawa (1454, renforcement du pouvoir des diétines de Grande-Pologne et de Petite-Pologne).

Alexandre Jagellon, qui n'avait pas de descendance dut faire d'importantes concessions pour pouvoir transmettre sa couronne à son frère Sigismond. En 1501, le privilège de Mielno transféra tout le pouvoir politique au Sénat  le roi devait se soumettre à ses avis et les exécuter, sous peine de voir le Sénat relever ses sujets de leur serment d'obéissance. En 1505, la constitution nihil novi établissait que le roi ne pouvait rien promulguer de neuf sans accord du Sénat.

Un âge d'or : humanisme et tolérance

La puissance des Jagellons permit à la société polonaise de bénéficier d'une longue paix favorable au développement intérieur. La population de la Pologne-Lituanie passa vraisemblablement de 7,5 à 11 millions d'habitants entre 1500 et 1650. Cette croissance était portée par l'insertion grandissante du pays dans les circuits économiques européens. Le sud et l'Ukraine exportaient essentiellement des céréales, l'aire baltique, ses produits forestiers (peaux, bois, cire). Le marché de Jarosław attirait les commerçants des pays voisins. Parallèlement, de nombreuses régions développaient une activité proto-industrielle. La croissance des échanges internationaux donna un rôle important aux grandes propriétés, au détriment des petits paysans. En 1496, le privilège de Piotrków Trybunalski limitait les départs de paysans à un par village et par an. Il fut vraisemblablement mal appliqué, mais il témoignait d'un lent mouvement de renforcement du servage, qui épargnait cependant les marges orientales du royaume, encore en phase de colonisation.

La paix et la bonne santé économique polonaise eurent pour corollaire un rayonnement culturel croissant. Le artistes adaptaient en Pologne les grands courants européens, le gothique (retable de Veit Stoss, église mariale de Cracovie) puis la renaissance (chapelle de Sigismond, cathédrale de Wawel). Celle-ci correspondit à un véritable âge d'or culturel. Les élites locales, polyglottes, formées le plus souvent dans plusieurs universités, participaient activement aux débats européens. Des traités comme le De optima senatori de Mgr Goślicki étaient commentés dans tout le continent ; Jan Łasicki entretenait une correspondance soutenue avec Calvin et de Bèze, et ses récits de voyage connurent plusieurs traductions. La maîtrise du latin affichée par les diplomates polonais venus négocier l'élection d'Henri de Valois fit ainsi l'admiration de la cour française. Le polonais lui-même acquit ses lettres de noblesse littéraires grâce aux écrits d'humanistes comme Jan Kochanowski ou Mikołaj Rej.

La tolérance religieuse polonaise était l'une des causes de ce rayonnement. Les Jagellons, souverains catholiques d'un Grand-duché peuplé d'orthodoxe avaient fait de celle-ci l'un de leurs principes de gouvernement. L'art religieux lui-même témoignait de contacts des deux confessions (chapelle Ste-Trinité, Lublin). Le succès de la Réforme, qui rallia une forte proportion de nobles polonais, ne déstabilisa pas le pays, car la noblesse restait attachée à la liberté de croyance. Le Royaume accueillit d'ailleurs de nombreux réfugiés, victimes de persécutions religieuses : les Ariens, combattus aussi bien par les catholiques que par les protestants, purent ainsi fonder leur école à Raków en 1602. Cette tolérance permit à la Pologne d'être un havre de paix dans une Europe déchirée par les guerres de religion. La Pologne put ainsi se permettre de présenter au roi de France Charles IX des Postulata polonica qui exigeaient plus de tolérance pour les protestants !

Bibliographie