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Histoire et mémoire en Pologne

§ La Deuxième Guerre mondiale §

Une double occupation criminelle

La campagne de Pologne fut courte : Varsovie, Modlin et Hel capitulèrent fin septembre- début octobre. Les Allemands ne sortaient pas pour autant d'une promenade militaire. Leurs pertes (30.000 morts) furent deux à trois fois supérieures à celles subies plus tard en France. Malgré son infériorité militaire et numérique, l'armée polonaise avait rempli ses objectifs, tenir deux semaines. Le 17 septembre brisa tous les espoirs. Tandis que les Français renonçaient à ouvrir le second front promis aux Polonais, l'Armée rouge envahit le pays, comme le prévoyait le pacte Molotov-Ribbentrop. Le gouvernement et l'armée passèrent alors en Roumanie. En octobre, le Reich et l'URSS officialisèrent un nouveau partage de la Pologne. Les régions non annexées furent soumises à un Gouvernement Général dirigé par Frank depuis Cracovie.

La description de la prise de Lwów par les nazis, en 1941, donne une bonne idée de la terreur à laquelle fut soumise la Pologne. Les prisons étaient remplies de cadavres exécutés par la police politique soviétique (NKVD) à l'arrivée de la Wehrmacht. Dans le sillage de ces premiers soldats, les Einsatzgruppen nazis fusillèrent des milliers de juifs et les principaux universitaires polonais… Staline entendait éliminer les « ennemis de classe » qui pouvaient freiner la mise en place du socialisme. Plusieurs centaines de milliers de personnes prirent ainsi le chemin du goulag. En mars-avril 1940, le NKVD assassina 15.000 officiers polonais. Aux yeux de Hitler, la Pologne devait être intégrée à l'« espace vital » allemand. Les « sous-hommes » polonais devaient être réduits en esclavage. L'intelligentsia était vouée à l'extermination, le reste de la population ne devait recevoir qu'une éducation élémentaire. L'enseignement supérieur et secondaire polonais fut interdit. La Grande-Pologne, rebaptisée Wartegau, servit même de champ expérimental à la politique antireligieuse nazie. Les églises y furent fermées. A l'est, les nationalistes ukrainiens se livrèrent à partir de 1943 à une épuration ethnique, avec son cortège de massacres de civils de part et d'autre.

La situation terrible des Polonais restait enviable par rapport à celle réservée aux juifs. Ceux qui échappaient aux exécutions accompagnant l'arrivée de la Wehrmacht étaient parqués dans des ghettos exigus, où la faim et la maladie avaient vite raison des plus pauvres et des plus faibles. À partir de 1942, les ghettos furent « liquidés » les uns après les autres. Leurs habitants étaient tués sur place ou déportés dans les camps d'exterminations, situés pour la plupart en Pologne. Malgré les soulèvements de quelques ghettos, en particulier à Varsovie, près de 90 % de la population juive mourut durant la guerre. Une communauté riche de mille ans d'histoire disparaissait.

Les convois de déportés venus de toute l'Europe furent la face la plus sinistre de colossaux transferts de population. Plus de vingt millions de personnes furent ainsi déplacées entre 1939 et 1947. Les mouvements allaient aussi bien d'est en ouest, pour les travailleurs forcés raflés dans les rues et envoyés en Allemagne ou les prisonniers de guerre, que d'ouest en est, les colons allemands prenant alors la place de centaines de milliers de paysans polonais déplacés de force, notamment dans la région de Zamośc. La fin de la guerre ne tarit pas le flux des déplacés, au contraire : les Allemands des territoires cédés à la Pologne furent alors remplacés par des Polonais chassés d'Ukraine occidentale.

La Pologne combattante

La Pologne eut pour particularité de ne pas signer d'armistice, ni de capituler en 1939. Officiellement, la Pologne restait en guerre, sous les ordres d'un gouvernement en exil en France, puis à Londres. Par ailleurs, la résistance s'était organisée assez vite dans la Pologne occupée. Les partis politiques, l'armée ou les scouts avaient formés leurs réseaux. Ceux-ci se fédérèrent progressivement sous l'autorité du gouvernement de Londres, à laquelle se rallièrent toutes les tendances politiques, communistes et ultra-nationalistes exceptés. Un véritable État souterrain relayait les instructions londoniennes. Il disposait d'une variété de moyens allant des tribunaux spéciaux appelés à juger les collaborateurs aux usines d'armement clandestines. Sa structure militaire, rebaptisée Armée du Pays (AK) en 1942, comprenait des dizaines de milliers de soldats. Malgré la terreur qu'ils faisaient régner, les Allemands ne purent jamais se sentir en sécurité. Plusieurs généraux, dont le chef SS de Varsovie, Kutscher, tombèrent sous les balles de la résistance.

Les Polonais luttaient aussi aux côtés des Alliés. Suite aux accords polono-soviétiques de 1941, le général Anders forma une armée de rescapés du Goulag qui combattit sous commandement britannique en Afrique, Italie, France, Belgique et Hollande. En 1943, les soviétiques formèrent à leur tour une armée, commandée par le général Berling. Celle-ci combattit sur le front oriental.

Les relations entre le gouvernement en exil et Moscou se dégradèrent considérablement après la découverte du charnier de Katyń. Staline rejeta la responsabilité du massacre sur les Allemands, ce qui entraîna une rupture des relations diplomatiques. Staline dictait de plus en plus ses conditions. Lors de la conférence de Téhéran (1943), il obtint l'annexion des territoires orientaux de la Pologne. L'Armée rouge attaqua ainsi les partisans polonais qui luttaient dans ces régions. De même, les chefs de l'AK qui avaient participé à la libération de Lwów et Wilno en juin-juillet 1944 furent arrêtés. Le 22 juillet 1944, le Comité Provisoire de Libération National (PKWN) communiste proclama un manifeste dans lequel il se revendiquait comme la seule autorité légale. Le soulèvement de Varsovie, lancé par le gouvernement de Londres pour faire la preuve de sa légitimité, ne changea rien. Non seulement Staline ne vient pas au secours des insurgés, mais il fit tout pour faire durer le soulèvement et laisser les nazis le débarrasser d'opposants potentiels. Varsovie capitula après deux mois de combats (1er août-2 octobre 1944).

On peut comprendre pourquoi le 8 mai n'est pas célébré en Pologne. Le pays avait souffert comme aucun autre de la guerre. Selon les estimations les plus répandues, jusque six millions de citoyens Polonais de 1939 seraient morts pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le bilan matériel n'était guère plus favorable. Le pays était ruiné. Varsovie, rasée sur l'ordre d'Hitler et vidée de ses habitants, était un cas extrême, mais révélateur. Surtout, le pays passait d'une domination étrangère à une autre. La guerre avait commencé pour défendre l'intégrité de la Pologne, et celle-ci, bien que pays vainqueur, en sortait avec des frontières qui lui étaient imposées et un régime à la solde de Staline.

Bibliographie