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Histoire et mémoire en Pologne

§ Le réalisme socialiste §

Banderole du musée du réalisme socialiste de
     Kozłówka avec l’inscription „Wróg cię kusi coca-colą“

« L'ennemi te tente avec le coca-cola » : la banderole accueillant le visiteur de la Galerie du réalisme socialiste, à Kozłówka, donne une idée assez nette des excès manichéens de la propagande communiste, marquée par un fort † complexe obsidional. Ce slogan témoigne aussi du † totalitarisme du régime communiste au moment de son implantation. La volonté de créer un nouvel art en était une caractéristique.

Le contexte : la mise au pas de la société

La première phase du projet communiste de transformation de la Pologne passait par la destruction de l'opposition, qu'elle soit légale ( † agrariens du PSL) ou militaire (le maquis). Pour y parvenir, le pouvoir avait ménagé des sphères de liberté publiques assez larges : l'Église catholique pouvait organisait ses cérémonies sans entraves majeures, la propriété privée était autorisée, etc. Une fois leurs adversaires politiques écartés, les communistes purent mettre en oeuvre la deuxième phase de leur entreprise. Il s'agissait cette fois de construire une société nouvelle, dont les membres suivraient les mots d'ordre du POUP, né de la fusion des partis communistes et socialistes en décembre 1948. Pour y parvenir, il fallait briser toutes les forces sociales porteuses d'un point de vue différent de celui du régime.

À partir de 1947/1948, le pays fit l'objet d'une communisation forcée. L'économie fut planifiée, selon les normes soviétiques : le premier plan de six ans (1949-1955) lançait le pays sur la voie d'une industrialisation à marche forcée, privilégiant l'industrie lourde. La propriété privée fut réduite à sa plus simple expression (petit commerce), nombre d'exploitations agricoles furent collectivisés. Les associations de jeunesse indépendantes furent liquidées ou transformées en organisation communiste, tandis que l'Église voyait ses libertés grignotées les unes après les autres. Même le POUP sortit transformé de cette offensive, qui aboutit à une soumission étroite du pays aux intérêts soviétiques, incarnés par la présence du maréchal † Rokossovski.

Du totalitarisme en art : le réalisme socialiste

Certains canons du réalisme socialiste, importés d'URSS, avaient été utilisés dès 1945, ce dont témoignait l'affiche qui faisait de l'AK, branche armée de la résistance pro-londonienne au nazisme, le « nabot hideux de la réaction ». Les nouveaux cadres culturels du régime furent cependant définis lors de la conférence de Szklarska Poręba (septembre 1947). Le monde était désormais divisé de manière manichéenne : le camp « démocratique » dirigé par l'URSS, s'opposait aux « impérialistes », États-Unis en tête. Toutes les forces vives devaient se mobiliser contre cette menace, selon la logique du « qui n'est pas avec nous est contre nous ». Les milieux culturels furent donc fermement invités à soutenir la construction du socialisme. En 1949, les unions professionnelles d'artistes firent ainsi du réalisme socialiste une norme obligatoire, condamnant au passage l'art « bourgeois ».

Le réalisme socialiste devint une forme d'expression artistique quasi exclusive en 1950-1953. Du cinéma au roman, en passant par la musique, la peinture, la sculpture ou bien entendu l'affiche, média privilégié de la propagande, les créateurs, véritables « ingénieurs des âmes » mettaient en scène la communisation du pays et invitaient les Polonais à se joindre à cet effort. Les chansons populaires, de tonalité martiale, avaient pour refrain « Réalise le Plan » ou « Au travail ! ».

Les oeuvres réalistes socialistes mettaient en scène des héros triomphant des complots contre-révolutionnaires. Elles tentaient ainsi d'ancrer dans les mentalités l'idée que toutes les difficultés de la vie quotidienne étaient provoquées par de vastes réseaux de saboteurs à la solde des États-Unis (en fait, il s'agissait souvent des conséquences du gaspillage effroyable accompagnant la modernisation socialiste). Cette production artistique exploitait donc un large catalogue de stéréotypes, avec d'un côté les héros socialistes : Staline, objet d'un vaste culte de la personnalité, le « Parti », le soldat de l'Armée rouge, Polonais ou Soviétique, ou les héros du travail, le † stakhanoviste … Les antihéros allaient de l'ingénieur saboteur au traître contre-révolutionnaires, affiliés à des réseaux trotskistes et/ou occidentaux (sic), au „bikiniarz“ (fêtard) et au „bumelant“ (tire-au-flanc).

Certains artistes participèrent au mouvement en jouant d'un registre plus neutre. Ils se concentraient alors sur l'alphabétisation, la mise en scène du monde du travail ou des efforts entrepris pour rapprocher beaux-arts et publics populaire, une préoccupation qui traversait alors toute l'Europe (cf. les efforts contemporains de Jean Vilar au théâtre National Populaire en France).

La postérité du réalisme socialiste

Le réalisme socialiste ne survécut pas à l'essoufflement de cet élan totalitaire. L'apparition d'oeuvres alternatives, dès la fin de 1953, marqua le passage de la « construction du socialisme » à la « petite stabilisation ». À partir d'octobre 1956, les élites communistes accordèrent à la société civile un droit à l'autonomie tant qu'elle ne contestait pas le monopole du POUP sur la vie publique. La question de savoir si le régime conservait des buts totalitaires à long terme reste ouverte ; il y a cependant consensus pour dire que sa pratique n'était plus totalitaire. Dans une Pologne devenue la « baraque la plus gaie du camp socialiste », le réalisme socialiste n'avait plus cours.

Au fil des ans, les citoyens prirent l'habitude de mener une double vie : adhésion au système en public, profession d'autres valeurs en privée. Après l'accession de † Gierek au pouvoir, les † apparatchiks eux-mêmes eurent tendance à faire du discours officiel un rituel vide de sens. Les banderoles rouges devenaient objet de sketch dans les comédies de K. Kutz pour critiquer le côté kitsch des premiers films, apolitiques, de Bareja, fut repris bloc par les partisans du régime. ">† Bareja , qui mettaient en évidence les absurdités du système.

Que reste t-il aujourd'hui du réalisme socialiste ? Peu de chose. Les statues des dignitaires ont été renversées en 1989-1990, mais elles étaient beaucoup moins nombreuses que dans les « pays frères ». † Dzerjinski, à Varsovie, et Lénine, à Nowa Huta furent sans doute les déboulonnés les plus en vue… Le réalisme socialiste fait toujours office de repoussoir. Les affiches du régime, en raison de leur qualité plastique, font l'exception. Certaines d'entre elles servent aujourd'hui d'enseignes de cafés décorés selon les standards de la Pologne Populaire.

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