論語
Confucius
Plaidoyer pour le séquençage des génomes 1996
Lettre au Conseil
Scientifique de l'Institut Pasteur
10 octobre 1996
Assurant la présidence du Conseil Scientifique de l'Institut Pasteur, il m'a semblé que mon devoir était de tenter de déclencher un sursaut dans la participation de la France dans l'effort international qui développait la génomique. C'est que, témoignant de l'archaïsme inhérent aux structures étatiques françaises, ni le Ministère de la Recherche, ni le CNRS, ni l'INSERM n'avaient cru bon d'aller dans ce sens. Alors que la France, en 1992, était au premier rang dans le monde pour ces recherches —dont on sait aujourd'hui toute l'importance— elle a rapidement reculé pour presque disparaître de la scène. On voit ici comment un grave défaut de jugement peut conduire un pays entier à perdre la place qui devrait être la sienne. Hélas, seule l'Histoire condamne. Voici le courriel que j'ai adressé aux membres de ce Conseil Scientifique et qui explique pourquoi j'ai choisi ensuite de partir pour Hong Kong et tenter d'y développer la génomique microbienne.
Chers collègues,
Bernard Dujon et moi-même revenons de la 8e conference sur
les génomes et leur analyse qui s'est tenue a Hilton Head. Il nous
semble nécessaire de faire le point sur une situation qui marque un
tournant décisif pour l'ENSEMBLE de la recherche dans les sciences de
la vie. Il est en effet essentiel que notre institut ne manque pas
l'occasion d'être présent pour la recherche de l'avenir.
Il était excellent de fêter
en 1995 le centenaire de la naissance de Louis Pasteur, mais
cela devrait être pour nous l'occasion de préparer l'avenir, et non de
nous rassurer en célébrant le passé. Il y avait plus de 900 personnes
à Hilton Head, et 1200 sont prévues l'année prochaine. La raison en
est simple : la véritable explosion du séquençage de génomes entiers
change radicalement toutes les perspectives expérimentales non
seulement en génétique moléculaire, mais dans tous les domaines des
sciences de la vie (y compris les sciences du comportement, comme nous
en avons eu un exemple à Hilton Head). Cela signifie bien sûr la
physico-chimie et la biochimie (par l'accès sélectif à toutes les
macromolécules qu'un spécialiste peut souhaiter), la génétique (toutes
les questions possibles d'expression génétique sont accessibles sous
une nouvelle forme grâce aux génomes), la biologie cellulaire, la
biologie du développement (les travaux de G Rubin sur la drosophile,
et leur contrepartie sur la souris sont merveilleux et
spectaculaires), l'évolution, l'immunologie, la génétique des
populations, l'étude du système nerveux, l'étude des maladies (agents
pathogènes et hôtes), etc.
Ce qui est le plus remarquable est que, loin de montrer que nous
sommes à la fin du séquençage, comme certains observateurs archaïsants
le pensent malheureusement en France, il apparaît que le séquençage de
toujours plus d'organismes nouveaux, ou de grands fragments
d'organismes sera plus que jamais à l'ordre du jour. Il nous semble
impensable que l'Institut Pasteur ne soit pas en mesure d'être partie
prenante dans cette nouvelle façon de concevoir la technologie à la
base de la recherche en biologie. Il nous faut donc une structure
permettant une veille technologique, et un support nécessaire à la
recherche qui va se développer désormais.
Cela suppose la création d'une unité de recherche qui séquencerait au
moins 10 mégabases par an, et le développement des technologies
associées : électrophorèse bi-dimensionnelle associée à une
spectrographie de masse de très haut niveau. D'autres approches
technologiques avancées sont aussi nécessaires, mais elles ont déjà
leur place à l'Institut (même s'il faut sans doute revoir leur
orientation vers l'avenir). Cette analyse peut paraître farfelue ou
utopique. Elle ne l'est pas : actuellement 1% seulement du budget de
l'IP devrait suffire à réaliser l'objectif de 10 Mb par an, pour peu
qu'on se donne les moyens humains de mettre en œuvre cet objectif. Je
suis certain qu'il est possible de trouver un chercheur ayant fait ses
preuves et qui souhaiterait réaliser cet objectif (j'ai au moins un
nom, celui d'un chercheur qui travaille sur le continent américain, et
qui souhaite revenir en Europe).
Qu'en pensez vous ? Si vous êtes sceptique, il serait bon que vous
assistiez à l'une de ces nombreuses conférences sur les génomes, où
l'on voit comment non seulement les laboratoires américains mais les
industriels ou les hommes de terrain se tournent vers ce domaine qui
est sans aucun doute une révolution extraordinaire en biologie. Il me
semble donc que nous devrions mettre cette question à l'ordre du jour.
Il est plus que temps si nous ne voulons pas être rapidement
provincialisés, ou pire.
Bien à vous,
Antoine Danchin