bébé
Le temps irrévocable a fui. L'heure s'achève.
Mais toi, quand tu reviens et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.

Les Contrerimes
Le tremble est blanc
PJ TOULET


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Comment effacer la mémoire de sa mère, ou pourquoi les bébés naissent-ils très jeunes ?

© 2014-2018  Antoine Danchin   唐善•安東   &   l'Archicube (a-Ulm)

Le texte ici présenté à été publié dans l'Archicube, le magazine de l'Association des Anciens Élèves, Élèves et Amis de l'École Normale Supérieure, volume 16, juin 2014, pp. 55-61

La rumeur veut que nous progressions vers l'immortalité. Notre espérance de vie augmente bien, mais ce n'est nullement le cas des extrêmes de la vie. En dehors de l'absurdité de cet espoir—même les bactéries ne sont pas immortelles—on se demande ce que serait une vie sans fin. Ce qui fait le Moi est la certitude d'une continuité. Or cela repose sur la transmission d'une mémoire, celle qui permet de penser qu'hier, qu'il y a dix ans, ou qu'il y a plusieurs décennies, j'étais la même personne. Il faut qu'il reste en nous quelque chose de ce passé, une trace, qui ne peut qu'avoir une réalité physique, et ne peut donc grossir à l'infini. En dehors de l'intégrité du corps, c'est une trace cérébrale qui marque la mémoire. Cette trace procède de la sculpture progressive des innombrables connexions qui organisent la masse du cerveau en un tout cohérent. La mémoire se constitue au cours de pertes successives de synapses, transformant peu à peu le temps qui passe en la géométrie d'un immense filet dont la suite des nœuds forme son tissu. Dans le cas favorable à la continuité de l'individu, être pérenne suppose le maintien d'un « quelque chose » qui se superpose au changement continu de la matière du support, tout comme se renouvelait le Vaisseau de Thésée décrit par Plutarque*, à la fois toujours le même et jamais le même. Ne peut-on concevoir qu'il puisse exister une autre forme d'immortalité, qui serait au contraire amnésique ? Et que savons-nous de la solution trouvée chez les êtres vivants ?.

Une immortelle méduse

Un animal a domestiqué l'immortalité, et c'est sous sa forme amnésique. C'est la méduse Turritopsis dohrnii (nommée en mémoire d'Anton Dohrn, fondateur du célèbre laboratoire de biologie marine, l'Istituto Zoologica de Naples). Cet animal sait inverser le cours de sa vie. Adulte, il redevient l'œuf qu'il était et reprend le chemin d'un nouveau développement : il inverse les étapes de la différenciation cellulaire, se métamorphose du stade adulte aux stades juvéniles puis à la masse des quelques cellules du début de sa vie, pour reprendre son développement le cas échéant. Son cycle de vie comprend deux phases. Dans la phase la plus stable, l'œuf forme un organisme mobile qui se fixe sur les roches et se transforme en un polype tapissant les fonds marins des eaux chaudes : C'est au large de Lecce, en Italie du Sud, que Stefano Piraino et ses collègues ont mis au jour le détail du cycle de son développement. Ce polype produit de temps à autre des structures verticales qui se différencient et éjectent dans la mer une méduse adulte. Celle-ci atteint sa maturité sexuelle et produit des œufs qui poursuivent le cycle. Dans certaines conditions adverses, le chemin de la différenciation s'inverse. L'organisme régresse et revient aux premières étapes de l'œuf, et se métamorphose à nouveau en polype puis en méduse. Par ce cycle sans fin, cet animal est immortel. Mais cette immortalité est trompeuse. Ce rajeunissement se fait au prix de l'effacement de la mémoire de l'adulte. L'individu rajeuni n'est pas différent du jumeau ou du clone, dont on ne peut certainement pas fondre l'identité dans celle d'un même et unique être. Cette métamorphose réversible pose question. Il faut expliquer comment se remplace le matériel vieilli par du matériel jeune sans garder la forme de l'adulte. Il est donc loin du Vaisseau de Thésée qui gardait sa forme mais renouvelait sa matière et aurait conduit à une autre forme d'immortalité, car il conservait sa mémoire (avec la limite, cependant, qu'elle restait figée à l'instant ultime où le vaisseau revenait de Crète avec Thésée vainqueur).

Est-ce bien l'immortalité que souhaite le narcissisme généralisé du « transhumanisme » ? Certainement pas, car l'espoir de la vie sans fin imagine qu'on continue non seulement à garder sa mémoire, mais aussi à acquérir de nouveaux souvenirs. C'est pourtant ce qui nous attendrait si nous devions devenir immortels. Revenons à notre méduse. Quel scénario imaginer pour rendre compte de sa métamorphose inverse. N'est-elle pas semblable à ce qui arrive tous les jours lorsqu'un ovule fécondé va donner naissance à un bébé bien plus jeune que sa mère ?

Un détour par la physique de Maxwell et de Landauer

Lorsqu'on invoque la mémoire, on pense au dépôt d'un je-ne-sais-quoi appartenant à une catégorie souvent invoquée, l'information. Le physicien Rolf Landauer, ingénieur au cœur des développements conceptuels et technologiques d'IBM où le concept de mémoire est essentiel, a souhaité affirmer de façon solennelle que « l'information est physique ». Il soulignait ainsi que l'information est une authentique catégorie du Réel, au même titre que la masse, l'énergie, l'espace et le temps. Si cette façon de voir est bien acceptée par la plupart des physiciens, l'utilisation concrète de la catégorie information n'a pas beaucoup progressé en dehors de la physique depuis le temps où ce même Landauer démontrait que la création d'information nouvelle est possible sans demander d'énergie pour le faire. Cette lenteur dans la diffusion de la pensée vient de ce qu'il ne s'agit pas d'une vue intuitive. Dire qu'une création de novo est toujours possible et même constante, contredit la position adamiste qui postule l'existence d'une unique origine, passée, à toutes choses. Comme le remarquait Landauer, suivi par un autre physicien d'IBM, Charles Bennett, le problème n'est pas tant de créer de l'information que de l'accumuler. La réversibilité nécessaire à cette création suppose en effet un espace mémoire considérable. Réaliser une succession de créations demande d'effacer la mémoire pour la remettre à zéro et en réutiliser l'espace, et c'est cet effacement qui est énergivore. En bref, pour accumuler de l'information nouvelle—ce qui est nécessaire si du neuf doit remplacer du vieux—on doit consommer de l'énergie, et pas seulement pour construire l'objet nouveau, mais pour pouvoir le distinguer de l'objet vieilli.

Revenons à la cellule. Lors de la croissance, des molécules neuves se mêlent à celles qui étaient déjà là. Former une jeune cellule suppose séparer ce qui est jeune de ce qui est vieilli. C'est là qu'apparaît la réflexion antérieure d'un autre physicien célèbre, James Clerk Maxwell. Séparer jeune et vieux, mélangés, évoque la fonction d'un être hypothétique invoqué par le physicien dans sa Théorie de la Chaleur. Dans cet ouvrage, afin d'illustrer un paradoxe de la physique qui aurait permis la création d'un nouveau type de mouvement perpétuel, Maxwell analyse les racines du deuxième principe de la thermodynamique en réalisant une expérience de pensée. Dans un système fermé la température tend à devenir uniforme. Fondée sur cette propension, la dissymétrie entre un ensemble chaud et un ensemble froid permet de construire une machine produisant du travail (c'est le principe de la machine à vapeur). Afin d'imaginer un mouvement perpétuel, Maxwell revient à une description moléculaire de la matière, où le mouvement est central et où la température mesure l'agitation des atomes. Dans un gaz, partant d'une répartition dissymétrique d'atomes placés dans deux compartiments séparés par un orifice, les atomes du gaz chaud dans un compartiment, et les atomes du gaz froid dans le compartiment contigu, le système évolue de telle sorte que la température devienne la température moyenne. L'agitation des atomes est rapide dans la partie chaude, lente dans la partie froide. Pour construire son mouvement perpétuel, Maxwell invente un être hypothétique (ce sera le « démon de Maxwell »), capable de répartir de façon dissymétrique les atomes dans un récipient où la température initiale des deux compartiments serait la même. Le démon mesure la vitesse des atomes qui se dirigent vers l'orifice séparant les compartiments et ouvre ou ferme un clapet placé entre eux, les maintenant d'un côté s'ils vont vite, et de l'autre côté, s'ils sont lents. Cette action construit une dissymétrie, avec un compartiment chaud et l'autre froid, ce qui permettra la production de travail. Le démon inverse donc l'ouvrage du temps, contre le second principe de la thermodynamique. De nombreuses études ont montré pourquoi le démon de Maxwell ne pouvait pas fonctionner sans énergie, lui interdisant donc de réaliser le mouvement perpétuel. Parmi celles-ci certaines invoquent la catégorie physique « information ». L'idée est que le démon de Maxwell doit mémoriser les vitesses des atomes pour agir sur le clapet. Comme le transfert de cette information implique un changement dans l'état du démon lui-même, il doit pour fonctionner à nouveau remettre à zéro sa mémoire. Cela suppose l'utilisation d'une certaine énergie (comme l'a établi Landauer). Ce que produirait le démon en créant la dissymétrie thermique sera alors perdu dans la consommation de l'énergie nécessaire à la réinitilisation de sa mémoire. Ainsi, ce mouvement perpétuel est impossible. Mais, au delà de la démonstration de l'impossibilité de produire du travail à partir de rien, cette expérience de pensée nous ouvre de remarquables perspectives : si l'on peut utiliser de l'énergie, il devient possible de séparer des atomes, des molécules ou des structures plus compliquées, simplement en opérant une mesure et en utilisant de l'énergie pour remettre à zéro l'appareil de mesure.

Pourquoi les bébés naissent-ils jeunes ?

Or c'est exactement ce qu'il faut pour engendrer une cellule jeune à partir d'un ensemble vieilli. On ne s'en rend pas compte, tellement c'est naturel : au moment de leur naissance les bébés sont bien différents de leur mère. Il suffit de toucher leur peau pour percevoir l'immense écart que leur jeunesse représente. Tout y est neuf. Bien sûr ils sont en cours de construction, et les entités qui les constituent sont donc nouvelles. Mais la peau de l'adulte se renouvelle aussi. D'où vient l'information correspondante, comment s'est distingué ce qui est neuf au cours des premières étapes de leur développement ? La fraction paternelle de l'œuf se réduit à un noyau cellulaire, mais l'ovule provient d'une mère qui a déjà derrière elle plus quinze ans de vie, et parfois plusieurs décennies. Sa peau a vieilli, pourquoi pas ses cellules germinales ? Et si la machinerie de l'ovule était du même âge que son hôte on devrait s'attendre à ce que la construction des premières cellules de l'embryon, puis du fœtus, soit fortement marquée par l'âge des cellules maternelles, héritant d'un passif reflétant l'histoire de la mère. Au cours des générations successives les bébés naîtraient alors de plus en plus vieux. Il n'en est rien. Tout se passe comme si, à chaque génération, l'ovule était remis à neuf, que sa genèse avait écarté tout ce qui est vieux et n'avait donc aucune mémoire de ce qui l'a précédé.

Pour comprendre sa jeunesse, revenons à la levure, celle du pain ou de la bière. Les protéines produisant son métabolisme et sa reproduction se modifient avec le temps pour toutes sortes de raisons : variation de température, action délètère de l'oxygène au cours de la respiration, altération chimique due à la grande réactivité des sucres... La disposition des acides aminés enchaînés les uns aux autres dans les protéines se modifie elle aussi spontanément, parfois en quelques heures. Par ailleurs les protéines sont sans cesse renouvelées, par néosynthèse et dégradation, chacune de façon spécifique, et en fonction de l'état de l'environnement. Tout cela altère leur fonction et leur associe une « horloge » qui n'est pas sans rappeler la demi-vie des isotopes radioactifs. A un instant donné, la cellule contient donc un ensemble de protéines d'âges divers, et pour assurer le renouvellement des générations en partant de cellules jeunes il faut en faire le tri. Ce champignon microscopique se reproduit par bourgeonnement. Une cellule va engendrer plusieurs bourgeons, puis mourir. On sait analyser l'âge des protéines, et reconnaître au microscope les jeunes et les vieilles. Et c'est là qu'une observation est venue apporter un éclairage inattendu : on note que la cellule-mère est la seule à contenir des protéines vieillies, alors que tout est jeune dans le bourgeon. En quelque sorte la mère se comporte comme une poubelle, accumulant les déchets, sans les transmettre à sa descendance. Comment cela est-il possible ? Une famille de protéines, les septines, contrôle le processus. Ces protéines utilisent de l'énergie pour faire leur tri.

Cette action remarquable se généralise, elle n'est pas spécifique à la levure. Elle existe aussi dans la genèse des ovules des animaux. Les septines se comportent comme le ferait un démon de Maxwell, et l'utilisation d'énergie sert à réinitialiser leur mémoire pour leur permettre d'agir à nouveau. Ces démons biologiques utilisent l'information présente dans la cellule pour contrer les effets d'un vieillissement inexorable, séparant efficacement le neuf du vieux. Ainsi, chaque naissance efface beaucoup des accidents de la vie maternelle, remettant à zéro chez l'enfant la mémoire du passé (tout en conservant, bien sûr, le programme génétique, l'algorithme de construction de l'animal humain, autre mémoire qui, quant à elle, se perpétue de génération en génération). Chacun dispose de deux hérédités, une hérédité génétique, très stable, et une famille d'hérédités épigénétiques, beaucoup moins stables, et dont une énorme partie est effacée (mais pas toute entière : on commence à mettre au jour de nombreux pans héréditaires de cette mémoire, qui, comme la fortune, se transmet, au moins partiellement) au moment de la conception et dans ces « cellules souches » dont on parle tant.

Quels gènes pour les démons de Maxwell ?

Le démon de Maxwell est une fiction. Pour illustrer une de ses manifestations concrètes nous avons décrit les septines. Mais il y a bien d'autres situations où ces démons sont nécessaires. L'originalité des organismes vivants est qu'ils sont capables de collecter systématiquement de l'information grâce à ces machines moléculaires, qu'il nous faut donc identifier. Comment faire ? Ces démons sont concrets. Ils réalisent des actions spécifiques en utilisant les informations du milieu général pour créer un environnement ordonné localement. Cette contrainte les oblige à consommer de l'énergie, afin de leur permettre de revenir à leur état initial sans garder la mémoire du tri sélectif qu'ils viennent de réaliser. Cette consommation d'énergie nous donne des pistes pour les identifier.

D'une part, comme elle est liée à la gestion de l'information, elle n'a aucune raison d'être en rapport direct avec la fonction identifiée de la protéine, elle doit paraître redondante, inutile ou même absurdement coûteuse. Par exemple, des protéines qui servent à décomposer (comme les enzymes de dégradation) sont naturellement sources d'énergie. Et la plupart en effet n'en consomme pas. Or certaines ont une signature spécifique qui indique qu'en sus de leur fonction reconnue elles utilisent de l'énergie. C'est donc une contradiction : pourquoi consommer de l'énergie si l'on en produit ? Nous avons là peut-être un démon de Maxwell. L'enzyme en question ne dégrade pas n'importe quoi, mais choisit ce qu'elle détruit. Ce choix nécessite une mesure, consommatrice d'énergie à chaque fois que l'enzyme aura reconnu ce qu'elle ne doit pas dégrader, mais au contraire laisser intact… D'autres protéines énergivores sont associées à des processus régulateurs, où, par conséquent, l'information est centrale. D'autres enfin gèrent la précision des machineries de biosynthèse, et minimisent les erreurs, là encore en consommant de l'énergie. On peut imaginer encore que des protéines de dégradation, à l'interface entre deux compartiments, n'agissent que dans un seul de ces compartiments, ce qui introduit une dissymétrie, marque de la présence d'une information signifiante. Bien d'autres actions soumises à ce démon sont aussi possibles et l'analyse fonctionnelle de ce qui constitue la vie ne cesse d'en identifier.

Le déchiffrage des génomes des milliers d'espèces dont on connaît le texte nous offre une tout autre possibilité de prédiction. Leur comparaison est une Pierre de Rosette qui nous donne accès à la signification des gènes. Ce n'est pourtant pas aussi simple qu'espéré. Les fonctions des hypothétiques démons de Maxwell sont attendues chez tous les organismes. Un raisonnement simpliste voudrait les reconnaître via des structures communes, car on est tenté de penser que la structure dit la fonction. Mais il suffit de voir qu'on mange sans toucher sa nourriture aussi bien avec une fourchette qu'avec des baguettes pour se convaincre qu'il n'en est rien. Et l'on sait aujourd'hui qu'il n'y a aucune structure conservée telle quelle chez tous les organismes vivants. Cela pourrait faire craindre qu'il soit impossible d'avoir accès à ces démons en comparant les génomes. Heureusement cependant, lorsqu'une structure remplit une fonction, les gènes qui en définissent la construction tendent à être transmis à la descendance. Ce n'est pas toujours le cas, mais c'est assez fréquent pour être visible. L'analyse de cette « persistance » a permis d'identifier un ensemble de gènes qui codent les fonctions essentielles de la vie. Ces fonctions dirigent la construction, la reproduction et l'entretien des structures cellulaires et la réplication des génomes. Parmi celles-ci, certaines sont impliquées dans l'entretien ou le nettoyage de la cellule et utilisent l'énergie d'une manière qui paraît sans rapport immédiat avec leur rôle : l'utilisation inattendue d'énergie, apparemment en pure perte, est la marque de la présence d'un démon de Maxwell.

C'est la perpétuation des générations, le lignage, qui peut prétendre à l'immortalité

Un démon de Maxwell mesure une information locale et la mémorise afin de créer un ensemble cohérent (il fait le tri entre ce qui est fonctionnel et ce qui ne l'est pas). Son action répétée suppose qu'il remette périodiquement sa mémoire à zéro, et cela utilise de l'énergie. A l'échelle des individus et des espèces, c'est ce qu'on attend du processus de la sélection naturelle lui-même : son action d'élimination est constante, mais la sélection utilise des démons de Maxwell pour éviter de détruire ce qui est fonctionnel. Ce processus est myope, parce que le démon ne peut voir que ce qui se passe localement, mais il a pour effet d'accumuler toujours plus d'information. Dans ce contexte l'idée même de sélection est fondamentalement positive (au contraire de l'image répandue, à tort), car elle est ce qui permet d'accumuler progressivement plus de sens, à partir d'un environnement indifférencié ou soumis à l'inévitable épreuve du vieillissement. Dans le domaine des aptitudes cérébrales, l'apprentissage et la mémoire sont fondés sur un processus sélectif qui gère la connectivité des neurones dans le cerveau en supprimant systématiquement les synapses pour ne conserver que celles qui sont fonctionnelles, laissant ainsi une trace physique directement reliée au fonctionnement, et par conséquent à l'interaction de l'individu avec son environnement. Une variété de processus a été proposée pour expliquer ce phénomène, mais il est facile de concevoir un système sélectif, dépendant de l'énergie à la manière du démon de Maxwell, qui marquerait les régions où se trouvent les récepteurs des neurotransmetteurs fonctionnels, laissant le reste vulnérable à la dégradation.

Si c'est une sélection qui gère la capture d'information il va de soi que sa mise en œuvre sera limitée dans le temps. Au fur et à mesure que la mémoire s'accumule chez un individu, sa capacité à engranger plus se restreint. La seule issue est celle qui a été découverte par la vie, c'est que l'individu qui mémorise produise une descendance à la mémoire vierge, capable de renouveler le processus à l'infini, grâce à l'invention de démons de Maxwell. Ce qui pourrait devenir immortel n'est pas l'individu, mais son lignage, séparant la mémoire individuelle, labile, de la mémoire de l'espèce, transmise au sein du programme génétique. Et cela à condition qu'il ne détruise pas le milieu dans lequel il a vécu, sous prétexte de rechercher sa propre immortalité.



Notes

 * Umberto Eco (1932-2016), familier de ma quête de l'origine de ma mémoire de la Barque de Delphes, au travers de nos discussions en Chine, venait de choisir le nom du Vaisseau de Thésée pour la maison d'édition qu'il venait de créer (" La Nave di Teseo") au moment de sa mort.