cristaux imparfaits
L'utilisation de l'entropie dans la formulation du deuxième principe et le conflit entre l'irréversibilité de la thermodynamique et la réversibilité de la dynamique sous-jacente reste un thème porteur de la mécanique statistique. En effet, l'observation que dans un système fermé TRρ lnρ est une constante du mouvement a été (et reste) l'une des raisons majeures de l'échec des définitions traditionnelles de l'entropie

Wojciech ZUREK


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Les premières formes de vie

Entretien avec Ruth Scheps
Radio France, France Culture Le Seuil 1992

RUTH SCHEPS : Remonter aux origines de la vie, Antoine Danchin, implique tout d'abord de définir ce qu'est la vie. Or, les définitions de la vie (ou du vivant) sont très nombreuses, ce qui nous montre à quel point chacune est incomplète ...

ANTOINE DANCHIN : Je ne vais certainement pas pouvoir définir la vie en quelques minutes ! Je ne voudrais donc simplement en retenir que quelques aspects : deux aspects qui sont souvent oubliés et deux aspects qui sont souvent retenus.

Les aspects oubliés sont, d'une part, le fait que la vie transforme son environnement — elle est essentiellement ce qu'on appelle un métabolisme, c 'est-à-dire l'incorporation, la transformation et l'utilisation de certains produits de l'environnement — et, d'autre part, le fait que la vie ne se définit jamais sans une individualité : elle est formé d'être dont l'intérieur est séparé de l'extérieur par une membrane. une peau. Au contraire, on a surtout retenu la reproduction à l’identique, c'est-à-dire le fait qu'à la vie correspond un patrimoine transmis de façon héréditaire et qui s'exprime selon des processus particuliers réalisant les catalyses nécessaires au métabolisme.
Ensuite, l'un des caractères essentiels du système vivant est le passage du programme à sa réalisation a partir de ce qu'on appelle le code génétique. Il s'agit là d'une boucle particulière (sur laquelle je ne pourrai pas insister ici) qui est centrale à la définition de la vie.

RS : Il faut donc avoir en tête ces quatre processus, et si l'on veut remonter à l'origine, il me semble que c'est dans le métabolisme qu'il faudra chercher la réponse aux premières questions. Précisément ces premiers métabolismes diffèrent-ils beaucoup de ceux que l'on peut observer aujourd'hui dans les organismes vivants ?

AD : La question telle que vous me la posez recouvre en fait une idée un peu particulière du métabolisme. On a eu depuis longtemps l'idée que les êtres vivants étaient nés dans une petite mare tiède et qu'il s'agissait pour eux de transformer des petites molécule au squelette carboné, ce qui est aujourd'hui du domaine de la chimie organique. Beaucoup se sont attachés à découvrir ces molécules dans l'environnement et ont cherché à démontrer l'existence de la vie et des possibilité d'un premier métabolisme à partir de ces molécules.
Il semble en fait que l'idée d'une soupe, ce mélange dans lequel la vie serait née est une idée inappropriée et que ce que l'on doit rechercher dans le métabolisme aujourd'hui est lià a une sélection de métabolites particuliers. Il faut donc trouver un processus capable de trier, parmi les différentes molécules organiques qui peuvent exister sur Terre, celles dont l'enchaînement va fonder la vie.

De nos jours, ce sont les membranes qui jouent ce rôle de filtre ...

AD : De nos jours, en effet, les membranes jouent en partie ce rôle et c'est pour cette raison qu'elles sont si importantes dans la définition de l'individualité biologique ; mais on peut imaginer qu'initialement, le tri se soit fait surtout par les surfaces des pierres et des poussières : les molécules qui sont à l'origine du métabolisme auraient été triées par leurs charges électriques, en particulier par leurs charges négatives, qui leur permettaient de s'associer aux surfaces les plus courantes de la croûte terrestre. Si l'on se pose la question de l'origine en ces termes, on est ramenà à un problème qui est très différent de celui de la soupe prébiotique puisqu'il s'agit de regarder ce qui se passe à la surface de solides, et non en solution. Or, ce qui se passe en surface est extrêmement différent de ce qui se passe en solution ; en particulier, les propriétés de désagrégation des gros édifices moléculaires, très importantes en solution, disparaissent en surface et, dans ce cas, c'est non pas la désagrégation mais la polymérisation qui se trouve favorisée. L' idée de base est donc de rechercher s'il existe aujourd'hui des traces de ce qui aurait pu être initialement un métabolisme de surface utilisant des molécules chargées.

J'imagine qu'il en existe effectivement, sinon l'idée ne serait peut-être pas apparue ...

AD : L'idée est venue à un Allemand, Gunther Wächtershaüser, qui s'est attaché à regarder ce qui, dans la partie constructive du métabolisme actuel, est créateur de formes vivantes. Il s'est rendu compte — c'était d'ailleurs une observation commune — que cette partie constructive appelé anabolisme est constituée essentiellement de molécules soit porteuses d'un groupe phosphate, soit porteuses de groupes carboxylate. Ce sont dans les deux cas des groupes chargées négativement dont on pourrait penser qu'ils servent de pattes pour s’attacher à des surfaces solides. Cette observation est très frappante, car lorsqu'on regarde les transformations métaboliques et la chimie organique qui s'y rattache, on se rend compte qu'aucun chimiste organicien ne procéderait de la manière (apparemment farfelue !) dont les choses se passent dans une cellule vivante. Au contraire, dès qu'on tente de l'imaginer, non pas comme le ferait un chimiste organicien dans une solution — incidemment d'ailleurs, les chimistes organiciens travaillent très rarement dans l'eau —, mais si l'on regarde ce qui se passe à la surface, on s'aperçoit que ces molécules sont parfaitement bien constituées pour fonctionner en surface et réagir les unes avec les autres a la surface d'un solide.

Il a bien fallu pourtant que, a un moment donné ces molécules passent en solution, car les cellules des organismes vivants sont un milieu plutôt liquide !

AD : Bien sûr. La question qui se pose alors est évidemment la création de la deuxième structure que j'ai mentionnée tout au début à savoir la membrane. La création d'une membrane est ce qui permet le passage en solution en empêchant la dilution à l'infini dans le milieu. Il est donc essentiel de regarder si, dans le métabolisme actuel, on peut imaginer un métabolisme de surface qui ait produit des molécules créant des membranes. Or, on observe quelque chose de très remarquable, c'est que la formation des lipides, qui sont des constituants essentiels des membranes, se fait a partir de précurseurs phosphorylés, ce qui est tout à fait étrange en dehors de l'hypothèse d'un métabolisme de surface. La polymérisation de ces molécules phosphorylées permettant la fabrication de lipides, on peut tout à fait imaginer qu'un métabolisme de surface ait produit des lipides, créant ainsi, autour des petites particules sur lesquelles ce métabolisme de surface est apparu, une membrane qui effectuera la sélection entre l'intérieur et l'extérieur et donc autorisera le passage en solution du métabolisme. Mais il faudra ensuite qu'intervienne un nouveau processus, tout à fait essentiel, à l'issue duquel la surface solide modifiée formera une matrice susceptible de passer en milieu liquide.

Disposez-vous aujourd'hui de montages expérimentaux vous permettant de tester ces hypothèses ?

AD : De façon très simple, non ! Les montages expérimentaux sont les être vivants actuels. L'idée est donc de les utiliser, d'essayer de comprendre comment ils sont construits, d'étudier leurs parentés et de voir comment on peut remonter vers l'origine en cherchant quels étaient les ancêtres métaboliques. Un des points essentiels est alors de trouver le substitut de la matrice solide. Or, on a de véritables raisons de penser que ce sont des acides ribonucléiques, des ARN, qui ont été les substituts des surfaces, car ces molécules sont justement un peu comme les surfaces argileuses, par exemple, des polyanions qui attirent à leur surface des charges positives, et peuvent ainsi servir de supports à d'autres charges négatives ; ce sont donc éventuellement des intermédiaires obligés.
Or, parmi ces molécules il y a une classe, celle des ARN de transfert, qui est justement au cœur du passage du programme génétique à son expression, et ces molécules sont très impliquées dans le métabolisme actuel ; elles sont d'ailleurs fortement affectées par de petites modifications semblables à celles qui se déroulent dans le métabolisme intermédiaire, et on les découvre aujourd'hui dans un grand nombre de réactions qui n'ont rien à voir avec la réaction de fabrication des protéines qui est leur lieu normal de fonctionnement. On peut les trouver, par exemple, associées à la fabrication de liens peptidiques (entre acides aminés — le cœur de la synthèse des protéine) , et l'on peut donc très bien les imaginer comme étant des ancêtres de cette réaction, auquel cas la formation de liens peptidiques à partir de molécules comme les ARN de transfert aurait été antérieure à l'utilisation de cette formation de liens peptidiques dans la synthèse des protéines comme on la connaît aujourd'hui. Voici donc des objets bien réels qui ont pu jouer ce rôle de support métabolique, ce qu'on peut essayer de mettre en évidence dans un certain nombre d'organismes.

Une autre question que l'on pose toujours à propos de l'origine de la vie est la suivante : cette origine a-t-elle été unique ou bien multiple ? Y a-t-il aujourd'hui de nouvelles réponses à cette question ?

AD : Poser la question sous cette forme est évidemment biaiser un peu. Au départ, la formation des molécules organiques, en particulier des molécules chargées a certainement été fréquente et l'on peut constater sans grande difficulté l'existence de molécules organiques dans les étoiles (ou en tout cas dans leur voisinage) et d'acides aminés dans les météorites. E n revanche, dès qu'il s'agit d'arriver à la structure des molécules telles qu'elles se présentent aujourd'hui dans les systèmes vivants, on voit bien qu'il s'agit nécessairement de la mise en relation d'un grand nombre d'événements dont chacun pris isolément n'est pas rare, mais pour lesquels la conjonction précise dans la création, par exemple, d'un acide ribonucléique peut être extrêmement rare. Je crois qu'on ne sait pas évaluer du tout aujourd'hui quelle serait la probabilité de la création d'un acide ribonucléique car, pour cela, il faut fabriquer des sucres et des bases nucléiques liées aux sucres ; je pense d'ailleurs que ces bases nucléiques ont été faites à partir de peptides, et pas du tout comme on l'imagine d'habitude dans les modèles de soupe prébiotique, mais en calculer une probabilité me paraît hors de portée pour le moment. Le mélange de départ existe, et un métabolisme de surface est certainement présent dans beaucoup d'endroits de l'Univers, mais il ne donne pas nécessairement lieu à des polymères qui pourront jouer le rôle de substituts de surfaces.

Lorsqu'on parle de l'origine de la vie, on fait référence à un processus qui s'étend sur une période extrêmement longue, et il convient sans doute de distinguer les première étapes, celles qui conduisent jusqu'à la première cellule vivante, des étapes subséquentes non moins importantes ?

AD : Il est certain que les deux phénomènes sont tout à fait différents mais je crois qu'il s'agit surtout d'un processus arborescent. C'est là un point assez important : il s'agit presque toujours d'une fuite en avant, au moyen de choix, au minimum dichotomiques; par conséquent, chaque fois qu'une combinaison entre différents types de molécules se sera produite, elle engendrera un nouvel objet qui pourra lui-même créer les conditions de la fabrication d'un autre objet, et ainsi de suite. Ce qui devient alors évident lorsqu'on contemple des arbres de ce type, c'est que le nombre des chemins possibles à l'intérieur des arbres pour aller du tronc vers la périphérie peut être extrêmement grand. Par conséquent, la probabilité de retrouver précisément le chemin qui a conduit à la vie peut être rare, même s'il y a une très grande probabilité de créer toutes les conditions pour construire chacune des étapes formant ces arbres. On peut donc très difficilement calculer la probabilité ou évaluer la probabilité de l'évolution d'un système vivant. Vous suggérez qu'il y a deux niveaux différents, à savoir le niveau d'avant la première cellule, et ensuite l'évolution après la première cellule. C'est vrai ; mais je crois que l'idée de l'arbre est la même dans les deux cas. Supposons, par exemple, qu'à la suite d'une catastrophe sur la Terre (comme il peut parfaitement s'en produire), les mammifères disparaissent ... Je doute fort qu'ils puissent réapparaître ensuite, qu'ils soient réinventés à nouveau. D'autres animaux pourraient être inventés mais les mammifère en tant que tels, c'est très peu probable, car ils résultent de la conjonction de très nombreux choix dans des arbres ramifiés. C'est comme si la flèche du temps possédait ces sortes de barbilles qu'ont les flèches de chasseurs, et qui les empêchent de retourner en arrière. Il faut toujours aller de l'avant, toujours faire des choix sur lesquels il est impossible de revenir ...

Le processus fondamental qui est au cœur même de la vie, c'est la traduction du code génétique en protéines. Deux questions se posent à ce sujet : comment cette traduction a-t-elle été inventée et comment s'est-elle perfectionné pour atteindre la fiabilité que nous lui connaissons aujourd’hui ?

AD : Ce sont deux questions de niveau tout à fait différent : la première est en effet l'invention de la traduction, c'est-à -dire d'une règle permettant le passage du gène à sa fonction, autrement dit la séparation entre la mémoire et la fonction. Il est presque certain que, initialement, les objets qui furent antérieurs à la vie avaient ces deux rôles à la fois. C'est donc la séparation entre les deux qui constitue la règle du code génétique (règle de correspondance entre un gène et son produit) caractéristique des système vivants. C'est un processus pour lequel il est difficile d'imaginer un mode de construction autre que celui auquel j'ai fait allusion initialement, à savoir le détournement d'une fonction préalable des ARN de transfert dans le métabolisme intermédiaire, la formation d'un lien peptidique, pour l'associer à l'existence d'une matrice qui sera ensuite transformée en programme. Par ailleurs, dans le modèle tel qu'on l'évoque brièvement ici, on est nécessairement conduit à imaginer que les premiers mécanismes, bien que sélectifs, n' étaient pas extraordinairement précis. C'est un point qui est assez important à souligner, car on a tendance à penser aujourd'hui que les système vivants ne peuvent subsister qu'au prix d'une extrême fidélité du code, c'est-à -dire d'un très petit nombre d'erreurs. En réalité il n'en est rien, et l'on peut montrer que les protéines c 'est-à –dire les effecteurs du code génétique, sont extrêmement robustes ; autrement dit, des variations dans leur organisation, dans leur séquence en acides aminés n'ont que très peu d'effets sur leur fonctionnement. C'est d'ailleurs une règle qui apparaît un peu partout : on se rend compte de plus en plus de l'extraordinaire robustesse des système vivants, ce qui amène a supposer l'existence de règles sous-jacentes très importantes, sélectionnées précisément pour maintenir cette robustesse.
Il existe des êtres vivants, des mutants microbiens par exemple, chez qui l'on a détruit cette aptitude à corriger les erreurs : de façon très frappante, ces êtres sont viables, mais ils ont une particularité qui a des conséquences importantes pour les théories de i'évolution, c'est que lorsqu'on observe de telles bactéries muter sur une boîte de Petri, on se rend compte qu'il n'y en a pas deux identiques ... C'est le concept même d'espèce qui devient flou. Si donc l'évolution a connu certains paliers au cours desquels des événements de ce genre se sont produits, il est clair qu'ils n'auront pu durer que peu de temps (et par conséquent on n'en verra pas la trace) ; que d'autre part, comme il n'existe pas deux individus identiques, on ne pourra pas les classer, et enfin que cette période, en raison de sa variabilité et de son instabilité peut avoir donné lieu a plusieurs branches ; autrement dit. le concept de dichotomie (très employée par les paléontologues pour construire leurs classifications) serait nécessairement non valable pour ces périodes, et plusieurs lignées pourraient naître d'un seul ancêtre à peu près au même moment.

Une autre manière d'aborder cette question de l'origine de la vie serait peut-être de l'envisager sur d'autres planètes. Imagine-t-on que les critères d'apparition que vous avez mentionnés seraient les mêmes ? Quelles sont les idées actuelles à ce sujet ?

AD : II me semble que si la vie existe ailleurs, plusieurs règles essentielles qui doivent être respectées sont celles correspondant aux quatre processus signalés initialement, à savoir la définition d'un individu, la définition d'un métabolisme, et une mémoire (transmise de génération en génération) et une fonction, avec le couplage par une boucle très particulière, qui est cette règle du code génétique que j’ai évoquée (transposition de la mémoire en fonction) permettant la création d'une activité métabolique spécifique. Je pense que ce type d'assemblage pourrait exister ailleurs ; mais il n'y a aucune raison a priori qu’il soit constitué des mêmes objets. En réalité on pourrait même tout à fait imaginer une vie entièrement symétrique de la nôtre : vous savez que les molécules qui constituent les êtres vivants sont dissymétriques en ce sens que leur image dans un miroir ne leur est pas superposable ; on pourrait donc imaginer une vie entièrement en miroir de la nôtre, vie qui aurait les mêmes propriétés, mais qui serait en fait totalement irréductible à la nôtre : vous savez qu'on reconnaît ce qui est lià a la vie par le fait que c'est assimilable, métabolisable, bref, que les êtres vivants sont mangeables ; eh bien, s'il y avait des êtres vivants ailleurs, ils seraient totalement indigestes !

Finalement, lorsqu'on y regarde de très près cette extraordinaire histoire des débuts de la vie apparaît davantage comme une succession d'innombrables événements très simples que comme le résultat de quelques faits décisifs. A se demander en quoi réside vraiment cette fameuse différence entre le vivant et le non-vivant ?

AD : C'est vrai que l'histoire de la vie est jalonnée d 'événements qui, en eux-mêmes ne sont ni importants ni même rares pour la plupart d'entre eux. Simplement, comme je l'ai dit, leur enchaînement est particulier, en raison de son arborescence qui empêche le retour en arrière et crée les propriétés originales de la vie. Ce qui fait que la vie est vie met en jeu un concept que nous ne pouvons pas discuter ici, le concept d'information comme authentique catégorie du Réel.