perrin
Une classe naturelle résulte de l'assemblage d'un certain nombre d'espèces qui se tiennent entre elles par un nombre de rapports plus grand qu'il n'en existe entre chacune d'elles et les espèces des autres classes. Pour qu'un individu puisse faire partie d'une classe, considérée sous ce point de vue, il n'est pas nécessaire qu'il en réunisse tous les caractères : il suffit qu'il en offre le plus grand nombre ; d'où il résulte qu'il serait possible qu'une classe fût très naturelle, et qu'il n'y eût pas un seul caractère commun à toutes les espèces qui la composent.

VICQ d'AZYR


Table des Matières

Avant-Propos
1927-1945
1945-1965
1965-1977

Avant-Propos

Au moment de la création de l'Institut de Biologie Physico-Chimique (IBPC), la science, à la fois pour des raisons épistémologiques et technologiques, se trouvait séparée en compartiments artificiels selon la classification hiérarchique résumée au milieu du siècle dernier par Auguste Comte : Mathématiques, Physique, Chimie, Biologie. Mais le développement des idées qui conduisait à une conception unitaire de la science atteignait à cette époque un point culminant. Dans son allocution à l'occasion du 25e anniversaire de la fondation de l'Institut de Biologie Physico-Chimique, André Mayer (1875-1956), Professeur au Collège de France et Directeur du Service de Physiologie, distinguait trois cas où la création d'une institution de recherche est nécessaire : celui où cette institution doit donner refuge à la liberté de recherche menacé par un conformisme imposé, ainsi est né le Collège de France ; le second cas est celui où l'on veut rassembler des hommes de science avec des praticiens voués à l’application des découvertes et ce fut la raison de la création de l'Institut Pasteur ; le troisième cas est celui où l'on veut faire vivre et travailler côte à côte des chercheurs de différentes disciplines sur des problèmes aux frontières de ces disciplines, et c'est ce qu'a voulu le baron Edmond de Rothschild en fondant l'Institut de Biologie Physico-chimique. L'IBPC est donc né de la rencontre de deux facteurs exceptionnels, d'une part l'espoir syncrétique d'associer des sciences que l'on traîtait encore comme séparées, d'autre part la disposition de fonds pour une recherche fondamentale dont l'objet est la création de la connaissance.

C'est au baron Edmond de Rothschild (1845-1934) que l'on doit d'avoir eu à la fois cette largeur de vues et cette générosité. Il avait bien connu Claude Bernard (1813-1878) auquel il vouait une amitié profonde et avait assisté à la floraison de ses découvertes et aux énormes progrès qu'il avait fait faire à la biologie. En particulier, E. de Rothschild avait faites siennes les idées exposées dans l'Introduction à la Médecine expérimentale où Claude Bernard conjecture que les phénomènes biologiques doivent s'expliquer en dernière analyse par des réactions physico-chimiques identiques à celles qui gouvernent la matière inerte. Jacques Duclaux (1877-1978), Professeur au Collège de France et Chef du Service des Colloïdes, dans son hommage à Pierre Girard (qui fut administrateur de l'Institut jusqu'à sa mort, en 1958) rappelle qu'Edmond de Rothschild, qui estimait que le succès des études sur les micro-organismes avait détourné les savants de la physico-chimie, écrivait en 1927 : « J’ai vécu toute une époque où tous ces grands travaux de biologie étaient en partie abandonnés : il m'a semblé qu'il était bon et qu'il pouvait être utile de les reprendre, mais avec les connaissances modernes sur la physique et la chimie. »

Ainsi le caractère tout nouveau et essentiel de l'Institut de Biologie Physico-Chimique étaient de réunir dans la même maison des biologistes, des physiciens et des chimistes, déchargés de toute contrainte d'enseignement et qui pourraient ainsi consacrer leur activité à l'étude des problèmes que posent l'organisation et le fonctionnement des êtres vivants. Il n'existait à l'époque en Europe aucune institution de ce genre et nos universités malgré leurs noms, n'avaient jamais réalisé une collaboration stable entre les disciplines séparées dans la classification d'Auguste Comte.

A l'origine de l'IBPC, il y a d'abord l'intention et l'activité organisatrice de Jean Perrin (1870-1942) ; son élève Pierre Girard, mis en relation avec le baron Edmond de Rothschild, fit sur proposition de Jean Perrin appel aux maîtres les plus éminent de l'époque : Jean Perrin lui-même (pour la physique), André Job (mort en 1928), puis Georges Urbain (1872-1938), pour la chimie, André Mayer (1875-1956), pour la biologie. Pierre Girard fut choisi pour assurer l'organisation matérielle et la mise en route des différents services.

Le renom de ces savants avait attiré dans leurs laboratoires la jeunesse la plus ouverte et la plus passionnée et c'est sur cette jeunesse que Jean Perrin comptait pour que se forme un état d'esprit commun permettant d'aborder les nouveaux problèmes avec les ressources des diverses disciplines.

Pour terminer ces quelques souvenirs sur la fondation de l'Institut de Biologie Physico-Chimique, il faut souligner combien elle s'accordait à l'idée que Jean Perrin avait de l'unité de la science et, ainsi, joua un rôle primordial dans la création du Centre National de la Recherche Scientifique en 1936, précisément à l'instigation de Jean Perrin.

Le contexte

L'Institut de Biologie Physico-chimique est né à un tournant de l'histoire de la biologie : l'étude de l'organisme avait fait place à celle de la cellule et la cellule, elle-même, commençait à pouvoir être résolue en composants plus simples. Le XIXe siècle avec Schleiden et Schwann, puis le médecin Virchow, avait consacré la théorie cellulaire : tout l'organisme est composé de cellules et toute cellule provient d'une autre cellule qui existait avant elle. C'était le premier pas d'un réductionnisme moderne qui aboutira à la biologie moléculaire.

Une deuxième contribution du XIXe siècle fut l'introduction de la notion de hasard dans l'expérimentation et dans l'explication des propriétés évolutives de la vie. Mendel fonde la génétique formelle grâce à l'analyse statistique des populations et Darwin postule que l'évolution des espèces se fait dans une population d'individus dont le patrimoine génétique possède quelque propriété de fluctuations stochastiques.

Il s'agit encore d'une vision trop macroscopique du monde vivant mais Pasteur, dans ses études sur les fermentations, détruit l'idée de la génération spontanée, renforce la théorie cellulaire par la découverte des unicellulaires que sont les microbes, et montre de façon formelle que la vie est liée à des propriétés de dissymétrie, propriétés que l'on retrouve dans les substances simples sécrétées par les êtres vivants. Claude Bernard introduit plus de raisonnement que son maître Magendie dans la physiologie, isole les organes et contrôle le milieu dans lequel il les étudie comme Pasteur développe des conditions de cultures microbiennes et il écrit dans ses Leçon de Pathologie expérimentale (1872) : « De même que la physique et la chimie arrivent, par l'analyse expérimentale, à trouver les éléments minéraux des corps composés, de même lorsqu'on veut connaître les phénomènes de la vie qui sont complexes, il faut descendre dans l'organisme, analyser les organes, les tissus et arriver jusqu'aux éléments organiques. » Parallèlement, les première grandes synthèses de la chimie organique dues à Woehler et Berthelot permettent de confirmer qu'il n'existe pas de différence entre les molécules simples élaborées par les êtres vivants et les molécules synthétisées artificiellement.

A l'époque où est fondé l'Institut de Biologie Physico-chimique, les chapitres de pointe de la biologie sont l'embryologie expérimentale et la génétique. Cette dernière se perfectionne avec Thomas Hunt Morgan, non seulement par l'introduction d'un nouveau matériel expérimental, la mouche drosophile, mais aussi grâce au développement de l'analyse statistique. Pourtant, ni les idées, ni la technique de l'époque ne permettaient une approche physico-chimique systématique, et l'œuvre d'Emmanuel Fauré-Frémiet (1883-1971), qui fut chargé du Service de Cytologie expérimentale, est à cet égard une exception : l'étude de la dynamique des flux moléculaires dans les êtres vivants restait l'affaire de la physiologie qui, loin d'être générale comme l'avait voulu Claude Bernard, ne s'aventurait pas dans les recherches sur la croissance, la morphogenèse et surtout mettait plus l'accent sur le catabolisme que sur l'anabolisme. Cependant une orientation vers ces questions essentielles commence à se dessiner : l'étude physiologique globale tend de plus en plus à être remplacée par l'analyse du métabolisme cellulaire. En 1927, Keilin vient de découvrir les cytochromes et Szent-Gyorgyi a mis en évidence le rôle de l'acide succinique dans les oxydations cellulaires. C'est aussi la fin d'une controverse entre les partisans de la théorie de Wielander de celle de Warburg sur les mécanismes catalytiques de ces oxydations. L'intérêt des chercheurs va se porter sur l'aspect énergétique du métabolisme intermédiaire et par conséquent sur les synthèses que réalisent les être vivants. En Allemagne, Otto Meyerhof (1884-1951) entreprend la description des réactions chimiques couplées par lesquelles l'énergie potentielle des aliments est rendue utilisable. Il choisit le muscle comme principal matériel d'étude, en isole les enzymes et commence à élucider les différentes étapes de la glycolyse : l'aboutissement de ces recherches sera la fameuse chaîne d'Embden-Meyerhof.

On constate en France la même préoccupation pour l'étude de la biosynthèse des constituants cellulaires. Marin Molliard (1866-1944) d'une part, et Emile Terroine (1882-1974) et René Wurmser (1890-1993, qui sera Chef du Service de Biophysique et Administrateur de l'Institut) de l'autre, établissent quantitativement le rôle des réactions couplées dans le développement d’Aspergillus niger (1922). En outre, la régulation des biosynthèses est envisagé par R. Wurmser à la suite d'un travail sur l'assimilation chlorophyllienne (1921) d'où il résulte que la réduction du gaz carbonique est spatialement séparée de l'action de la lumière et qu'une oxydo-réduction assure le transfert de l'énergie provenant de la photoréaction. La généralisation de ce concept démontre l'importance de la structure des organites cellulaires et pose le problème de l'existence de régulations fondamentales pour les biosynthèses. Elle permet d'écarter une intervention directe de la molécule d'oxygène dans ces réactions. Une autre conséquence est que le maintien entre d'étroites limites du potentiel d'oxydo-réduction intracellulaire correspond aux exigences thermodynamiques des synthèses fondamentales.

Dans le même esprit, Eugène Aubel (1884-1952), déjà connu pour ses travaux sur la fermentation pyocyanique (thèse, 1922), étudie les variations de ce potentiel d'oxydo-réduction dans les tissus en anaérobiose et les cultures de différents micro-organismes. Ainsi sont établis les paramètres de l'oxydo-réduction correspondant à divers types de métabolisme. Malgré ce courant d'idées les progrès restaient circonscrits à ce que permettaient les concepts de la chimie de l'époque. On ne savait presque rien de la structure des grosses molécules caractéristiques des systèmes biologiques et l'on s'y référe souvent encore par la dénomination bien imprécise de colloïde par rapport aux cristalloïdes. Ce manque d'une connaissance appropriée limitait les progrès de la biophysique : il y a plus de vingt ans que Victor Henri avait fondé la cinétique des réactions « diastasiques » et qu'Emil Fischer avait conçu la notion de « complémentarité » pour expliquer la spécificicité catalytique des enzymes, mais on n'avait aucune idée précise de la nature des interactions moléculaires engagées dans le complexe enzyme-substrat supposé.

Durant tout le premier quart du siècle de nombreux travaux, auxquels sont attachés notamment les noms de Jacques Duclaux, William Hardy, Victor Henri, Jean Perrin, avaient établi les règles générales de la stabilité des solutions colloïdales. Höber, Loeb, Schaeffer et Mayer avaient étudié plus particulièrement le cytoplasme. Les propriétés des membranes artificielles intéressaient les physico-chimistes en raison de leur rôle général dans la vie cellulaire et surtout depuis que, à la suite des travaux de Nernst, les premiers jalons de la théorie de l'influx nerveux avaient été posés. La sélectivité observée dans les membranes est expliquée alors au moyen de modèle fondés sur l'existence de couches solvantes non aqueuses (Overton) ou de pores de dimensions moléculaires (Michaelis), la charge des parois des canalicules - que l'on appelerait aujourd'hui ionophores - ayant dans ce cas un rôle déterminant. Pierre Girard, inspiré par les travaux de Jean Perrin sur l'électrisation de contact, met en évidence l'effet de la polarisation des membranes par les ions.

Cet ensemble de travaux avait permis de rendre compte, au moins qualitativement, de beaucoup de faits d'intérêt biologique (potentiels électro-chimiques aspects divers de la division cellulaire, échange des cellules avec le milieu, etc.). Pour aller plus loin dans l'analyse, il était devenu nécessaire d'avoir plus d'informations sur les molécules géantes présentes dans les cellules et intervenant dans leur construction et dans leur fonctionnement.

Or, précisément dans la deuxième moitié des années 1920, des voies nouvelles s'ouvrent à l'étude des protéines. Sumner cristallise l'uréase (1926). Svedberg détermine par ultracentrifugation analytique le poids moléculaire de l'hémoglobine (1927). Les premières investigations par diffraction des rayons X sur des macromolécules sont en cours. Lindestrøm-Lang (1924) établit une théorie électrostatique de l'effet de la force ionique sur les constantes de titrage des acides polyvalents et des ampholytes. Simms (1926) donne les premières interprétations précises des courbes de titrage de ces composés en termes de constantes d'ionisation microscopiques. Ce foisonnement des recherches sur les protéines ne pouvait manquer d'accroître l'intérêt des biologistes pour le traitement physico-chimique de leurs problèmes. On peut voir une consécration de cette tendance dans la création presque simultanée du Cold Spring Harbor Laboratory aux États-Unis et de l'Institut de Biologie Physico-Chimique à Paris.

En 1927, c'était pourtant un pari encore hasardeux de fonder un organisme de recherche pour tenter la réduction du phénomène vivant à l'étude moléculaire, seule capable de rendre compte des propriétés physico-chimiques à l'œuvre dans les cellules ou les organismes. A cette époque, en effet, les théories vitalistes - qui n'avaient pas été écartées par Pasteur lorsqu'il avait démontré l'inanité de l'hypothèse de la génération spontanée - étaient très en vogue, sous l'influence de la personnalité de Bergson en particulier, et Jean Perrin tenait beaucoup à les voir disparaître. Au cours de la même période se dégage cependant l'ensemble des concepts de la mécanique quantique qui ouvre le chemin vers une description formelle de la structure électronique des atomes et des molécules (Planck 1900, Einstein 1905, Louis de Broglie 1924) et consacre en physique un certain succès de la méthode analytique, méthode qui sera à la base de la biologie moléculaire. Il n'est donc pas inutile de rappeler dès maintenant la contribution fondamentale des travaux qui allaient se dérouler à l'IBPC et, bien sûr, un peu partout dans le monde, non pas dans leurs résultats directs, mais dans les implications quasi-philosophiques qui en découlent et qui marquent la pensée de notre temps : disparition de l'opposition entre holisme et réductionnisme grâce à la recherche d'un niveau minimum adéquat de l'analyse des phénomènes (l'échelle moléculaire) et disparition des hypothèses instructives au profit des théories sélectives, plus générales et plus puissantes.

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