Soutenance d'HDR


Héritages érudits et transmission des savoirs
dans la latinité tardive


Dossier présenté par Jean-Baptiste Guillaumin
en vue de l'obtention de l'habilitation à diriger des recherches, le 7 novembre 2024

Garant de l'HDR : Monsieur le Professeur Alessandro Garcea

Membres du jury :



Résumé

Intitulé « Héritages érudits et transmission des savoirs dans la latinité tardive », ce dossier, présenté en vue de l'obtention de l'habilitation à diriger des recherches, est le fruit d’une quinzaine d’années de travaux. Il explore la manière dont les textes latins de l’Antiquité tardive (IIIe s. — début VIIe s.) ont hérité, dans tous les domaines du savoir, d’une érudition ancienne qu’ils ont contribué à transmettre à la postérité, sauvant ainsi de l’oubli quantité de connaissances. Cette sauvegarde, réalisée durant une période qui assiste à de profonds bouleversements politiques (fin de l’Empire romain d’Occident), religieux (triomphe du christianisme) et linguistiques (disparition progressive du bilinguisme gréco-latin), devient ensuite l’une des voies principales de la redécouverte des savoirs anciens, en latin, dans le monde médiéval. Insistant sur ce processus dynamique, entre héritage de sources anciennes, circulation tardo-antique, fixation dans des formes littéraires variées et transmission à la postérité, ce travail s’appuie sur plusieurs approches complémentaires : histoire des sciences dans l’Antiquité (en particulier astronomie, géographie, théorie musicale, auxquelles j’ai consacré des études spécifiques), émergence et développement d’une conception du savoir comme un tout organique dans le contexte néoplatonicien de l’Antiquité tardive, et étude des Noces de Philologie et de Mercure de Martianus Capella, dont j’ai édité le livre IX (sur la musique) dans la CUF en 2011, et dont le livre VIII (sur l’astronomie) constitue le volume inédit de ce dossier d'HDR.


* Martianus Capella comme point de départ

Point de départ et fil directeur de ce dossier, l'œuvre de Martianus Capella fournit un accès efficace à l’histoire des savoirs, permettant d’aborder des connaissances souvent anciennes compilées au Ve siècle ap. J.-C. et mises en forme au sein d’un roman allégorique de coloration néoplatonicienne, qui situe les exposés scientifiques dans le cadre du mariage du dieu Mercure et de la mortelle Philologie. Par sa popularité au Moyen Âge, l’œuvre de Martianus constitue un trait d’union de première importance entre les deux époques, et donne lieu à toute une série de réinterprétations, dont témoignent les corpus exégétiques divers qui se développent dès l’époque carolingienne. Au-delà de la compilation et de la fixation de sources anciennes au Ve s. de notre ère, je me suis donc intéressé (en lien avec mes travaux sur l’histoire du texte pour préparer l’édition critique) à la manière dont l’œuvre de Martianus devient à son tour le point de départ d’une réception érudite voire philosophique au Moyen Âge.


* Structuration du savoir dans l’Antiquité tardive

Martianus étant l’un des premiers auteurs à mettre en évidence une structuration du savoir en un cycle fermé de sept disciplines, j’ai étudié le contexte intellectuel et j’ai travaillé plus particulièrement sur les conceptions néoplatoniciennes qui sous-tendent son œuvre et fournissent probablement une explication de ce cycle promis à une large postérité. Cela a guidé mes travaux vers deux champs complémentaires : d’une part les différentes formes du néoplatonisme latin dans l’Antiquité tardive (de Martianus Capella à Boèce, essentiellement), d’autre part la manière dont ce cycle devient par la suite un point de référence canonique.


* Histoire des sciences antiques

Étudier la théorie musicale à partir du livre IX de Martianus (mon point de départ) m’a amené à envisager l’histoire de cette discipline dans la durée, abordant en particulier les processus d’adaptation du grec au latin. Plusieurs de mes travaux sont donc consacrés à l’histoire de la théorie musicale antique, à son inscription dans le cycle des quatre sciences mathématiques que Boèce nommera le quadrivium, et à la conception philosophique qui sous-tend la définition de l’harmonie, en particulier en contexte néoplatonicien.

Eu égard aux contacts entre les différentes disciplines dans la conception organique étudiée, j’ai étendu mon étude à l’astronomie. Si le texte de Martianus Capella m’a là encore servi de point de départ, j’ai d’emblée complété cette approche par une lecture des textes parallèles latins (Macrobe, Calcidius notamment) et grecs (Géminos, Cléomède par exemple) afin de mieux appréhender l’état de la théorie astronomique qui y est présenté. Cela a constitué l’objet d’une série de travaux préparatoires à la réalisation du travail inédit présenté dans le cadre de ce dossier d'HDR.

Parallèlement, j’ai abordé la question de la géographie tardo-antique par l’intermédiaire d’un poème de la seconde moitié du IVe s., l’Ora maritima d’Aviénus. Ce poème en trimètres iambiques et à l’esthétique archaïsante m’a permis d’envisager des modalités complémentaires de rapport aux savoirs anciens à une période proche de celle de Martianus. J’ai pris en charge l’édition critique, la traduction française et une partie du commentaire de cet ouvrage dans le volume paru dans la CUF en 2021.


* Transmission littéraire des savoirs

Ces différentes œuvres érudites se caractérisent par leur inscription dans un projet littéraire, qui implique des choix à la fois formels (travail de la prose, mélange de prose et de vers, poésie didactique...), intertextuels (fréquentes réminiscences des classiques, qui attirent l'attention sur des aspects du propos tout en établissant une connivence avec le lecteur) et énonciatifs (construction de la figure de l'auteur, jeux polyphoniques). Une dimension fondamentale de mon travail consiste donc à étudier l'ancrage et l'originalité de ces textes dans l'histoire de la littérature latine, ce qui m'a par ailleurs amené à étudier plus directement, à partir du corpus tardo-antique latin, des phénomènes comme la dédicace dans la transmission des savoirs ou les rapports entre prose et vers.


* Réception des savoirs antiques au Moyen Âge et à la Renaissance

Dans le cadre de mon étude de la circulation des textes, préalable à la confection d’une édition critique, je me suis intéressé à la manière dont ils sont copiés, interprétés, modifiés durant leur réception. Mon dossier comporte donc plusieurs études d’histoire des textes, et, plus spécifiquement, de réception, au sens où j’étudie, sur quelques points précis (concernant en particulier la théorie musicale, les représentations astronomiques, les débats cosmologiques), les interprétations divergentes dont les savoirs ont pu faire l’objet à des périodes différentes. C’est à cette approche que se rattache aussi mon travail d’édition d’un corpus de gloses du XIVe s. sur le livre I de l’Ovide moralisé.


* Présentation du volume inédit

Revenant à Martianus Capella au terme de cette ouverture des perspectives, je propose une nouvelle édition critique du livre VIII des Noces de Philologie et de Mercure, complétée par une traduction française qui cherche à rendre les effets stylistiques du texte latin, et par un commentaire qui se veut aussi exhaustif que possible, portant à la fois sur des questions ecdotiques, sur les enjeux littéraires du texte et sur la mise en parallèle de sources antiques qui permettent de rendre compte des théories astronomiques présentées. L’introduction situe le texte dans son contexte littéraire et théorique, et fournit une étude des différentes formes de la circulation médiévale du texte.