Mon avis personnel sur les disques de Therion
- Therion - Of darkness... (1991) ★ ★
Therion, c'est depuis quelques décennies l'un des fers de lance du metal
symphonique à forte influence classique. Difficile à anticiper toutefois
quand on se met dans les oreilles leur premier album, dont la pochette
annonce assez fidèlement la couleur : du death technique (ça va souvent
très vite, et c'est parsemé de solos bizarroïdes) bien caverneux (chant
guttural évidemment, guitares salement saturées sans que ça ne soit
inaudible), ambiances qui tirent vers la cérémonie occulte sans être
complètement morbides, on est dans de l'extrême de niche. Si on aime le
style, c'est d'ailleurs plutôt bien fichu, mais bien que le disque ne
soit pas bien long (huit titres pour une quarantaine de minutes), une
certaine monotonie pointe assez rapidement le bout de son nez. On est
clairement loin ici d'une découverte majeure, un album sympathique mais
à réserver aux fans du genre.
- Therion - Beyond sanctorum (1992) ★ ★ ½
Pour son deuxième album, Therion reste clairement fidèle à la ligne
extrême du premier. Le début du Future consciousness qui démarre
le disque en mode bordel total laisse même franchement craindre un
disque à jeter à la poubelle, mais ce n'est en fait pas représentatif
des expérimentations diverses proposées par le groupe. Les tempi sont
globalement lents (l'intro de Enter the depths of eternal
darkness est même carrément glauque), l'utilisation des voix parfois
vraiment surprenante (les voix claires geignardes qui donnent une teinte
gothique à Symphony of the dead) mais surtout les passages
quasiment atmosphériques prennent une place assez prépondérante (et sont
infiniment plus intéressants que les moments plus speed), et les parties
instrumentales (claviers compris) sont fouillées (le très long The
Way est d'ailleurs largement instrumental). Intéressant à défaut
d'être excellent (ça reste du death de niche qui ne convertira pas grand
monde au genre).
- Therion : Symphony masses : Ho Drakon ho megas (1993) ★ ★ ★
Après seulement deux albums de death underground, Therion opère son
changement de style sur ce troisième opus au titre absurdement pompeux.
Ou plutôt, il démarre une transition pas encore clairement assumée, car
on se trouve ici entre deux styles, dans une sorte de no man's land
assez indescriptible : on conserve des vocaux extrêmes (quoique ça soit
plus varié que sur les deux premiers disques), le côté cérémonie occulte
est toujours très présent (les passages parlés de la chanson titre et de
l'improbable Symphoni drakonis inferni), mais avec un fond
instrumental hyper mélodique et un son nettement plus propre qui
éloignent complètement le rendu du metal extrême. Et puis bien sûr, il y
a le symphonique promis par le titre ! Ah ben en fait, faute de moyens
certainement, ça se limite à deux ou trois pouet-pouet de clavier
Bontempi absolument risibles (l'apparition du clavier au beau milieu de
la chanson titre est fabuleuse). Mais curieusement, cet album hybride et
mal fagoté (les chansons sont souvent très courtes, on sent que le
groupe ne sait pas trop où il veut nous mener) a une atmosphère
prenante, des mélodies efficaces, je l'aime bien malgré ses défauts
évidents !
- Therion - Lepaca Kliffoth (1995) ★ ★
Sur ce quatrième album au titre mystérieux (de l'égyptien ancien, si
j'ai bien compris, on nage toujours dans le mystique et l'occulte),
Therion continue sa mue. Le côté instrumental, du mélodique symphonique
(toujours basé sur des claviers de qualité douteuse, hélas) teintées
d'orientalisme, est désormais bien en place, et il est ma foi plaisant
dans l'ensemble sans proposer grand chose de vraiment mémorable (et puis
ça part encore parfois dans tous les sens, la piste finale Evocation
of Vovin ne ressemble vraiment à rien). Mais c'est désormais aux
vocaux que s'attaque Cristofer Johnsson, qui délaisse ici à peu près
complètement les growls. Le souci, c'est que toutes les tentatives qu'il
fait pour les remplacer foirent assez lamentablement. C'est pourtant
assez varié : du gémissement "gothique" insupportable (sur Sorrow of
the moon, piste heureusement isolée de l'ensemble à zapper
absolument), du chant féminin plus ou moins lyrique (utilisé très
parcimonieusement sur ce disque, assez cliché et sans grand intérêt), et
la plupart du temps un chant clair hurlé d'une laideur assez
terrifiante, qui gâche une bonne partie de l'album. Dommage, car les
ambiances sont réussies dans l'ensemble, et il y a même des moments
vraiment réussis (l'introduction The Wings of hydra). Mais le
groupe ne s'est manifestement pas encore complètement trouvé sur ce
disque, finalement moins convaincant que le précédent.
- Therion - Theli (1996) ★ ★ ★ ½
Ce cinquième disque de Therion est souvent considéré comme la deuxième
naissance du groupe, l'album culte qui aurait révolutionné le metal
symphonique (il est de fait sorti juste avant la résurgence du genre, je
vais comme d'habitude citer ma référence Rhapsody pour
comparaison, le premier album des italiens date de 1997). Pourtant, en
l'écoutant à la suite des précédents disques du groupe, on reste dans
une évolution logique, à la seule différence que Johnsson a enfin trouvé
la bonne formule vocale, en supprimant quasiment entièrement le chant
agressif pour caser absolument partout des choeurs "lyriques". Je mets
quand même le terme entre guillemets car la soi-disant influence
classique du groupe reste une vaste blague, le fond étant toujours
composé d'une musique mystique pseudo-symphonique laissant la part belle
à des claviers qui font plus penser aux bidouillages électro de Vangelis
(sur le très réussi Preludium) qu'à quoi que ce soit de
classique. Ce qui est sûr, par contre, c'est que les choeurs contribuent
vraiment de façon efficace aux ambiances souvent prenantes du disque,
réussissant même à procurer quelques instant réellement magiques
(typiquement, dans The Siren of the woods, titre beaucoup trop
long aux sonorités bien kitsch, un trait de trompette synthétique
accompagné d'un glissando de choeur suffit à sauver la mise). L'ensemble
reste très inégal (le finale orchestral est un grand fourre-tout sans
direction claire, quand à l'inverse Opus eclipse qui n'est pas
vraiment chanté non plus, est excellent), on sent que le groupe
expérimente sans tout maîtriser (ceux qui attendent de l'album un truc
définitif et parfait risquent d'être très circonspects devant le produit
fini), mais il y a quand même quelque chose de très attachant dans cette
musique. Ah, j'allais oublier, il faut aussi réussir à passer outre
l'une des plus hideuses pochettes du genre...
- Therion - Vovin (1999) ★ ★ ★
Après le tournant de Theli, Therion continue tranquillement sa
mutation en faisant disparaître quasiment complètement les dernières
traces de chant solo (à quelques interventions lyriques près, il n'y a
que des choeurs dans cet album) et en utilisant pour la première fois de
vrais instruments à cordes. Combinée à la prédominance de titres lents
qui jouent beaucoup sur les atmosphères, ça donne à ce disque un cachet
curieusement apaisé (on est très très loin du kitsch spectaculaire d'un
Rhapsody ici) dans lequel les influences classiques ressortent
assez naturellement, même si elles restent mêlées à l'orientalisme de
bazar cher au groupe. On est souvent à la frontière du gnangnan, mais ça
fonctionne finalement assez bien, par exemple sur Clavicula nox,
long titre mélodique qui finit par être prenant. On en vient même à
regretter l'irruption de rares titres rapides (The Wild hunt, le
seul qui soit chanté "normalement") qui déboulent comme un cheveu sur la
soupe. Peut-être même que le groupe aurait du pousser plus loin le
concept et faire un album complètement expérimental avec des choeurs
nimbés de mélodies aux cordes sur toute la durée. Mais je m'emballe un
peu, tel quel, le disque n'est pas inoubliable mais c'est une pause
rafraîchissante si on l'écoute entre deux disques de black metal obscur.
- Therion - Deggial (1999) ★ ★ ★ ★
Ayant désormais trouvé une formule qui marche, Therion déploie sa
recette avec une prise de risque minimale, mais une efficacité
indéniable. Les guitares saturées occupent une place de plus en plus
secondaire (on ne peut d'ailleurs plus vraiment qualifier un tel album
de musique metal, sauf peut-être sur Flesh of the gods qui
convoque Hansi Kürsch de Blind Guardian pour une parenthèse heavy
qui semble d'ailleurs assez hors de propos), alors que choeurs et cordes
sont omniprésents. Les atmosphères sont soignées et parfois vraiment
prenantes (l'excellent Ship of Luna en témoigne), dans le même
style assez tranquille que sur l'album précédent du groupe. Si on rentre
dans le trip, on passe vraiment un moment très agréable, le seul bémol
venant donc d'une certaine paresse, on a un peu l'impression que le
groupe se repose sur ses acquis (les quelques riffs heavy sont assez
scolaires). On aurait préféré plus de titres à la limite de
l'expérimental comme The Flight of the lord of the flies (court
interlude avec choeur sans paroles sur fond de cordes vraiment
étonnant), et on se serait volontiers passé de la facilité consistant à
achever le disque sur une reprise de l'O Fortuna de Carl Orff (pas
vraiment ratée, mais sans intérêt). Mais il s'agit quand même jusqu'ici
de l'album le plus homogène du groupe, une belle réussite.
- Therion - Secret of the runes (2001) ★ ★ ½
Après avoir poussé assez loin son concept de musique basée sur les
choeurs et avoir plus ou moins déserté les terres du metal, changement
de cap pour Therion avec le changement de millénaire. Géographique déjà
puisque ce nouveau disque est centré sur les mythes nordiques. Mais
surtout un retour en arrière musical vers une musique nettement plus
heavy, virage clairement audible dès le début de Ginnungagap,
sympathique titre d'ouverture parsemé de trompettes synthétiques qui
feraient presque penser à Summoning. Et pourtant, malgré ce
détail, les sonorités restent clairement orientales, et donc pas
vraiment raccord avec le thème. Plus gênant, cette épopée nordique fait
sérieusement penser à Wagner (un titre comme
Schwarzalbenheim...), et c'est peut-être ce qui a convaincu
Johnsson de faire intervenir des chanteurs lyriques solo sur certaines
pistes. Si le ténor de Helheim s'en sort bien, la soprano
présente sur trois ou quatre titres est tout simplement très mauvaise.
En fait, le groupe semble à nouveau se chercher, entre guitares revenues
au premier plan et ambiances médiévales pas toujours maîtrisées : c'est
souvent sympathique mais pas inoubliable, ça part parfois complètement
dans le décor (l'espèce d'Orff sous amphètes de Muspelheim, au
fond assez rigolo), mais c'est globalement moins convaincant que leurs
deux disques précédents.
- Therion - Lemuria (2004) ★ ★ ½
En 2004, Therion décide de frapper un grand coup en sortant non pas un
nouvel album, mais deux (une sorte de faux double album pas bien clair
puisque les deux disques sont sortis en coffret en édition limitée avant
d'être ensuite traités comme des albums séparés). Qui plus est, les gros
moyens sont de sortie puisqu'on a droit à un vrai orchestre symphonique,
des choeurs (comme d'hab), et une grande variété de chanteurs solos
(lyrique, chant clair classique, growl, on a un peu de tout). Même au
niveau du style Therion ratisse plus large que d'habitude : sonorités
électro dans l'intro de Typhon, influence massive de musique de
film type Hans Zimmer sur Three ships of Berik (dont la
péroraison cuivrée est vraiment caricaturale), le groupe a probablement
voulu satisfaire tout le monde, et comme souvent dans ce cas, s'est un
peu égaré. Le style Therion si caractéristique avec ses choeurs
dominants est passé à la trappe (ce sont à nouveau les guitares qui sont
mises en avant la plupart du temps), l'orchestre ne sert finalement que
très épisodiquement, le chanteur "clair" est vraiment pas bon, et on a
quelques fautes de goût assez manifestes, comme ce titre final "hommage
à Rammstein" vraiment incongru. L'album reste sympathique à
écouter, notamment grâce à un sens de la mélodie intact, mais sa
chanson-titre le résume finalement assez bien : des passages inspirés
(ou simplement beaux), mais un tel patchwork de sections disparates (de
ma guitare acoustique, puis des choeurs, puis du chant lyrique, puis du
chant clair, puis un passage parlé) que la cohésion en prend un gros
coup. Comme souvent, le mieux est l'ennemi du vraiment bien.
- Therion - Sirius B (2004) ★ ★ ★
Voici donc le petit frère de Lemuria, sorti en même temps que ce
dernier, mais qui s'en démarque légèrement au niveau du contenu : là où
Lemuria s'éparpillait un peu trop, Sirius B a un champ d'action plus
restreint et propose sur la quasi-totalité des pistes un heavy
symphonique très mélodique et somme toute assez classique malgré la
présence de quelques marqueurs du groupe (les choeurs, un peu de chant
lyrique par-ci par-là). On regrettera, comme sur son jumeau, que
l'orchestre ne soit pas plus mis en avant (ce sont les guitares qui se
taillent la part du lion), d'autant que ses interventions sont plutôt
sympathiques (les appels de cor de Call of Dagon par exemple). On
regrettera aussi que Therion glisse lentement mais sûrement vers la
facilité en jouant de plus sur la carte mélodique (sur Son of the
sun, même si ça s'écoute sans déplaisir, on est vraiment plus proche
d'une espèce de pop métal symphonique, avec du chant féminin assez
cliché, que du metal choral mystérieux et presque expérimental que le
groupe proposait trois ou quatre albums plus tôt). Après, on ne peut pas
nier que, justement, les mélodies soient efficaces, et que l'ensemble
soit travaillé bien proprement et laisse une bonne impression à
l'écoute. Mais le manque de prise de risque (terminer sur un titre
purement speed était une idée intéressante, mais c'est hélas loin d'être
le meilleur du lot) empêche le disque de se hisser au niveau des plus
belles réussites du groupe. Un poil au-dessus de son jumeau Lemuria
quand même selon moi.
- Therion - Gothic Kabbalah (2007) ★ ★ ½
Trois ans après son pseudo double album Lemuria/Sirius B, Therion
revient avec... un vrai double album ! Autant dire que l'ambition n'a
pas été rangée au placard, puisqu'on a droit à plus d'une heure vingt de
musique répartie sur 14 chansons, avec orchestre symphonique, choeurs,
des tonnes de chanteurs de styles différents, des claviers, bref une
sorte de best of de tout ce que peut produire Therion qui confine au
gloubi-boulga indigeste. Cette sensation de trop plein est d'ailleurs le
principal défaut du, ou plutôt des, disques : quatorze titres c'est
vraiment trop, surtout quand on s'éparpille autant, et quand arrive le
morceau de bravoure final qu'est Adulruna rediviva (treize
minutes au compteur), on n'en peut plus (dommage, c'est peut-être la
chanson la plus intéressante du lot même si ça lorgne vraiment fort du
côté de la musique de film pour les passages symphoniques). Pris
séparément, la plupart des titres sont toutefois sympathiques (même s'il
y a deux ou trois vraies bouses, Chain of Minerva en tête) sans
être exceptionnels, la faute la plupart du temps à un manque de
cohérence et une certaine facilité au niveau des lignes vocales (on se
dirige de plus en plus souvent vers un chant typé pop, les choeurs si
caractéristiques du groupe n'étant là, comme l'orchestre et les
claviers, que pour ajouter des touches décoratives à un ensemble qui
tiendrait mieux la route si la barque était moins chargée). À écouter à
petites doses, histoire de ne pas saturer trop vite et de profiter d'une
musique qui reste dans l'ensemble agréable.
- Therion - Sitra Ahra (2010) ★ ½
Pour son douzième album, Therion revient à des proportions plus
raisonnables : onze pistes, une heure de musique. Faut-il y voir une
volonté de renouer avec l'intriguant côté intimiste des premiers albums
"avec choeur" du groupe ? Hélas non, pas du tout. Non seulement
Christofer Johnsson (toujours à la tête du groupe même si celui-ci a
connu beaucoup de renouvellement côté musiciens) continue à employer une
diversité vocale qui tourne à la galerie de curiosités (sur l'improbable
Hellequin notamment), mais ça contamine également les parties
instrumentales. Guitares en retrait, ajout d'instruments divers et
variés aux moments les plus inattendus (l'harmonica sur Land of
Canaan, ça ressemble à une provocation stupide), difficile de
proposer des titres puissants et cohérents quand on convoque un tel
bazar, surtout en faisant preuve d'un goût souvent très discutable (la
piste finale Children of the stone avec ses choeurs de gamins est
d'une nunucherie assez sidérante). Il reste pourtant quelques titres
réussis pour émerger, la chanson-titre est efficace, Unguentum
sabbati (le seul titre à réussir à se recentrer sur du heavy) est
pas mal du tout. Mais à force de vouloir trop en faire, Johnsson a pondu
un disque qui n'est pas à la hauteur des standards de son groupe.
Divertissant certes, mais ça s'arrête là.
- Therion - Les Fleurs du mal (2012) pas de note
Dans les années 2010, voyant peut-être que son groupe commençait à
battre de l'aile malgré le renouvellement d'effectif, Christofer
Johnsson a lancé Therion dans des projets plus ou moins improbables et
éloignés du metal. Celui-ci est clairement le plus incongru : un disque
de reprises de chansons françaises des années 60-70 (apparemment,
Johnsson n'écoute pas que du Wagner quand il n'est pas occupé à
composer), des grands classiques (Poupée de cire, poupée de son)
mais aussi des titres nettement plus obscurs (trois chansons de Léonie
Lousseau, dont je n'avais jamais entendu parler). C'est évidemment
extrêmement exotique (le groupe de metal ne semble pas trop savoir où se
positionner la moitié du temps, et la soprano qui interprète une
majorité des titres en mode lyrique a un français, euh, intéressant),
mais on peut sûrement trouver un certain plaisir pervers à explorer
ainsi un pan oublié de notre répertoire national. Pas de note, comme
d'habitude, pour un disque de reprises dont l'intérêt reste de toute
façon bien limité.
- Therion - Beloved Antichrist (2018) ★ ★ ★ ★ ★
Comme je l'avais dit à propos de leur album précédent, la décennie 2010
est celle des projets inattendus pour Therion. Nouveau changement de cap
radical pour le groupe puisqu'après son improbable album "yéyé-metal" de
reprises de vieilles chansons françaises, Johnsson et sa bande se
lancent dans la composition d'un opéra. Non, non, pas un opéra metal à
la façon d'Avantasia ou même d'Ayreon, mais une oeuvre qui
reprend vraiment tous les codes de l'opéra classique (avec quand même,
bien sûr, l'ajout d'une batterie et de guitares à l'orchestre classique
pour accompagner le tout) : trois actes pour trois heures de musique,
chant lyrique et accompagnement orchestral en continu, énormément de
scènes dialoguées, si le style reste reconnaissable (très mélodique, pas
mal de choeurs, mais relativement peu heavy finalement, même pour du
Therion), l'écrin est complètement différent de ce que proposait le
groupe jusqu'ici. Au point d'ailleurs que je me demande un peu à qui
pouvait bien s'adresser cette tentative ultra ambitieuse (hélas, le
projet de mise en scène de l'ensemble a un peu été noyé sous le tsunami
du Covid), qui risque fort de ne pas vraiment emballer les metalleux,
notamment à cause du chant (de fait, l'album a reçu un accueil
relativement indifférent, ne dépassant guère le stade du respect poli),
et bien sûr de passer complètement sous les radars des amateurs d'opéra
classique. Peut-être que ça s'adressait aux quelques gugusses comme moi
qui jonglent entre classique et metal. En tout cas, si c'est le cas,
Therion aura au moins un fan totalement conquis sur ce coup, je trouve
que, malgré les maladresses (les chanteurs ne sont pas les meilleurs du
monde, certaines transitions orchestrales sont bien maladroites, et on
sent que Johnsson est beaucoup plus à l'aise sur les ambiances sombres
que sur les quelques moments plus légers), ça fonctionne incroyablement
bien, comme si le fait de s'émanciper du format un peu corseté de la
chanson metal traditionnelle permettait aux dizaines de mélodies de
l'oeuvre de vraiment prendre leur essor. En tout cas, je ne m'ennuie pas
une seconde à l'écoute de cet opéra (pourtant, le livret à base
d'apparition d'Antéchrist essayant d'unifier les différentes religions
n'est pas vraiment une réussite majeure, lui), et les moments forts sont
tellement nombreux que je ne vais même pas essayer de commencer à les
dénombrer. Franchement, si vous aimez sortir un peu des sentiers battus
(et que vous n'êtes pas allergique aux mélodies faciles, tout de même),
c'est à essayer, au moins comme curiosité, même s'il est peu probable
que vous accrochiez autant que moi.
- Therion - Leviathan (2021) ★ ★ ★ ½
Après une décennie consacrée aux expérimentations, Therion revient à du
standard, avec un album "normal" de durée classique. Enfin, presque,
puisqu'en fait ce Leviathan est le premier volet d'une trilogie
s'étalant sur trois ans. À croire que Johnsson a pris l'habitude de
composer trois heures de musique d'un coup. En tout cas, il le dit
lui-même, cette première livraison est une compilation de tubes, les
titres plus recherchés étant conservés pour les volets suivants. De
fait, on sent que l'opération "retrouvons le lien avec nos fans" bat son
plein ici : titres très calibrés et mélodiques, orchestre et choeurs
omniprésents, réapparition de formules déjà entendues quelques fois (les
motifs orientaux, notamment sur le speed Azi Dahaka qui n'aurait
pas déparé sur un des albums de la période médiane de Therion, il y a
vingt ans), et même une gentillette balade (Die Wellen der Zeit)
pour mettre en valeur la chanteuse et un refrain entêtant chanté en
espagnol sur El Primer sol. Mais tout ça n'empêche pas que
l'album soit très bon, les suédois maîtrisant clairement leur sujet, à
l'image d'un The Leaf on the oak of far épique et redoutablement
efficace malgré le recours agaçant à des voix trafiquées. Nul doute que
ce Leviathan aura fait plus que rassurer ceux qui n'avaient pas compris
Beloved Antichrist. Les autres, comme moi, qui avaient adoré ce
dernier, seront aussi satisfaits, malgré une pointe de regret devant le
manque flagrant de prise de risques.
- Therion - Leviathan II (2022) ★ ★ ★
Pour ce deuxième volet, Cristofer Johnsson avait promis quelque chose de
plus varié, de plus recherché, de plus sombre aussi. Soyons honnête, à
l'écoute, ce n'est vraiment pas flagrant. Comme dans le premier volet,
on a une suite d'une dizaine de titres hyper calibrés (à peu
systématiquement quatre minutes de musique, même quand le contenu aurait
justifié un peu plus de développement), qui étale tout le panel musical
du groupe (notamment les inévitables choeurs et orchestrations) en ne
cherchant surtout pas à sortir des sentiers battus. Pire, on revient
même à des poncifs orientalisants assez lourdingues sur la deuxième
moitié du disque (Marijn min nar notamment). On a donc, encore
plus que sur le premier Leviathan, le droit de se plaindre du manque de
prise de risques, mais malgré tout, on tient encore une fois un disque
fort agréable, qui passe tout seul et contient même quelques pépites
(les choeurs scnadés très orffiens de Litany of the fallen,
vraiment très bon, ou pour ceux que le côté pop dégoulinante ne rebute
pas, l'improbable Cavern cold as ice que Johnsson lui-même aurait
qualifié de "ABBA-metal", sûrement en partie à cause de la petite flûte
qui accompagne le tout ; c'est d'une mièvrerie terrifiante mais j'aime
beaucoup !). Un peu moins bon que le premier volet (et définitivement
pas plus aventureux) mais toujours recommandable malgré tout.
- Therion - Leviathan III (2023) ★ ★ ★
Bon, alors, pour cette troisième (et dernière) fournée, le Leviathan se
décide-t-il enfin à vraiment sortir un peu de sa zone de confort, comme
promis par le leader du groupe dès le deuxième volet (de façon assez
mensongère) ? Eh bien, cette fois-ci : oui, on a droit à un contenu plus
varié et moins calibré que sur les deux disques précédents, avec une
alternance de titres longs et d'autres parfois très courts (on descend
sous les trois minutes pour les plus brefs d'entre eux), à tel point en
fait qu'on a un peu l'impression que l'album est une sorte de
fourre-tout où on a casé pêle-mêle les chansons qui ne rentraient pas
trop dans le moule des deux autres volets. Plus gênant, la cohérence
n'est pas toujours au rendez-vous au sein d'un même titre, notamment sur
un A Unsung lament qui part vraiment dans tous les sens. On
regrettera aussi la conclusion Twilight of the gods hyper
poussive dans sa première partie. Mais dans le lot, on trouve quand même
un certain nombre de tentatives intéressantes à défaut d'être totalement
abouties (la curieuse Baccanale au style vocal inhabituel pour
Therion), et même quelques titres franchement réussis : l'espèce de
balade folk Ruler of Tamag, clairement le meilleur des titres
longs, mais aussi la vraie prise de risque que constitue le mélange
flamenco-metal de Duende, improbable et pourtant tout à fait
réjouissant ! De quoi regretter finalement que Therion n'ait pas eu le
courage de vraiment proposer un disque entier s'aventurant hors des
sentiers battus et construit de façon cohérente (ce que le groupe avait
pourtant su faire à une époque pas si lointaine que ça avant de revenir
à un style plus convenu). M'enfin, comme dirait Gaston, c'est quand même
un disque intéressant, c'est toujours ça de pris.