Mon avis personnel sur les disques de Rammstein
- Rammstein - Herzeleid (1995) ★ ★ ★ ★
Qu'on aime ou pas Rammstein (et il y a certes de bonnes raisons de ne
pas les aimer), le groupe a su, à défaut d'en être l'inventeur,
populariser à un niveau assez inattendu un nouveau type de metal, et
surtout un nouveau type de son, qui fera ensuite bien des émules.
Industriel ? Si on veut, plutôt du metal basiquement lourd croisé avec
des sons électro-technoïdes (de ce point de vue, le terme "Tanz Metal"
souvent utilisé par les membres du groupe eux-même est plutôt mieux vu),
et en tout cas reconnaissable des les premières de ce premier disque.
Avec Wollt ihr das Bett in Flammen sehen, on est même plongés
immédiatement dans une caricature totale de ce que les allemands vont
mettre en place (mais ils jouent de toute façon en permanence de cette
image caricaturale, notamment via leurs provocations faciles
probablement un peu trop systématiques) : motif de quatre notes
tellement basique qu'il pourrait être joué par un débutant complet au
synthé kitschouille, rapidement repris à l'identique par des guitares
bien musclées, chant "germanique" quasi parlé de Lindemann (ou du moins,
là aussi, l'image caricaturale qu'on peut s'en faire, avec ce côté
guttural accentué à l'excès et les r roulés en permanence), on répète ça
en boucle pendant cinq minutes et ... ça marche. C'est ça qui est fort
dans cet album : musicalement c'est objectivement très très limité, mais
ça réussit quand même à instaurer un climat prenant qui fonctionne à
merveille. Bon, pas sur toutes les pistes non plus (on note quand même
la volonté de varier un peu avec la curieuse ballade Seemann, pas
totalement réussie mais qui offre quand même une rupture bienvenue),
mais Asche zu Asche, Du Riechst so gut ou
Laichzeit, personnellement, je ne résiste pas. Peut-être aussi le
fait que j'ai découvert le groupe il y a fort longtemps voile-t-il un
peu mon jugement, mais au sein de ce que je connais déjà bien de la
discographie du groupe (en gros les cinq premiers albums), celui-ci
reste un de mes préférés (il faut bien avouer qu'ensuite ils reprendront
beaucoup la même formule, en mieux exécuté et produit, mais sans la
spontanéité du premier jet).
- Rammstein - Sehnsucht (1997) ★ ★ ½
Après un premier album particulièrement efficace, Rammstein tombe dès ce
deuxième essai dans le travers dénoncé à la fin de ma chronique
précédente : refaire la même chose en mieux produit, et pourtant au
final moins convaincant. Il n'y aucun doute, le groupe a eu nettement
plus de moyens à disposition, notamment au niveau des claviers : au lieu
des micro-mélodies jouées au synthé un peu cheap, on a désormais une
avalanche de bruitages et autres samples électroniques très variés sur
toutes les pistes. Mais voila, la qualité des sons ne fait pas tout, et
là où les bzoui-bzoui de Herzeleid formaient un contrepoint
bienvenu qui mettait vraiment en valeur les riffs de mammouth des
guitares, on a désormais un trop-plein d'électronique qui parasite le
discours (la seule exception notable étant probablement les violons
synthétiques de la perturbante Spiel mit mir, assez
intéressants), alors même que le côté dansant du metal produit par les
allemands semble avoir été mis de côté (seule Eifersucht va
chercher de ce côté), et surtout que les riffs eux-même sont dans
l'ensemble beaucoup moins percutants que sur leur premier disque, à
l'exception d'un Du Hast qui surnage nettement au-dessus du
reste. Dommage, car il reste quand même ce son inimitable, cette
ambiance si particulière qui suffisent à rendre le disque largement
écoutable, même s'il marque nettement moins que son prédécesseur.
- Rammstein - Mutter (2001) ★ ★ ★ ★ ½
Après un deuxième essai frustrant, Rammstein trouve définitivement sa
carburation avec ce Mutter, qui le placera pour quelque temps au sommet
des groupes de metal populaires, et déclenchera donc (forcément ?) des
remous chez les fans du groupe, certains l'accusant de s'abaisser à
produire de la musique trop commerciale. Accusation qui n'a pas beaucoup
de sens, dans la mesure où le groupe a dès le départ assumé les
structures très simples de ses chansons et un côté mélodique assez
affirmé (même s'il est certes poussé un cran plus loin dans ce troisième
album). Oui, le son est désormais beaucoup moins brut que sur
Herzeleid (mais toujours aussi reconnaissable et sacrément
impressionnant), et les claviers sont définitivement passés en mode
symphonique avec notamment l'intervention de violons sur une grande
majorité des pistes. On pourra trouver ça trop sucré pour du Rammstein,
mais quand c'est aussi bien utilisé que sur le tonitruant Mein Herz
brennt qui ouvre le disque (quel parpaing dans la tronche une fois
de plus, personnellement je ne peux pas résister), ou dans un tout autre
registre sur un Mutter qui réussit enfin admirablement le plan
"ballade mélancolique" déjà recherché avec Seemann puis
Klavier sur leurs deux premiers opus, on ne peut que s'incliner.
On retrouve par ailleurs les bruitages électro caractéristiques, les
refrains hyper efficaces et les riffs en béton armé. Probablement un peu
trop calibré et prévisible (que des chansons assez courtes, les
rythmiques martiales parfois répétitives), mais tellement bien fichu que
ça reste un incontournable de la discographie du groupe.
- Rammstein - Reise, reise (2008) ★ ★ ★ ★ ★
Avec ce quatrième album, le groupe continue dans la droite ligne du
précédent (et même un peu plus, c'est sûrement l'album le plus mélodique
et accessible du groupe), mais en ajoutant une bonne dose d'humour qui
le place à mon sens encore au-dessus de Mutter (ben oui, cinq
étoiles pour Rammstein, hop, c'est fait). Alors bien sûr c'est de
l'humour (volontairement) pas subtil, mais la doublette Amerika
(pour les paroles pour une fois) et surtout Moskau restera
toujours irrésistible pour moi (et pourtant ce délire avec choeurs
féminins n'a probablement pas vraiment sa place ici, ni sur aucun autre
album de metal d'ailleurs, mais j'adore quand même). Le reste est
extrêmement solide, que ce soit dans le registre classiquement
provocateur cher au groupe (Mein Teil), ou dans celui de la
ballade émotionnelle qui prend de plus en plus de place dans le
répertoire rammsteinien (Ohne dich). Quelques touches
d'originalité bienvenues (l'accordéon à la fin de la chanson titre), et
le tout suffit à prouver qu'un album "facile" peut très bien être une
grande réussite. D'ailleurs (hélas), le groupe, en gardant pourtant une
recette similaire, n'arrivera plus à produire quoi que ce soit du niveau
de ce Reise, reise, ni même un album lui arrivant à la cheville
d'ailleurs.
- Rammstein - Rosenrot (2005) ★ ★
Il arrive régulièrement, lorsqu'un groupe tente de renouveler un peu
trop brutalement, qu'on pense d'un album "Ils ont voulu faire autre
chose, mais ils se sont plantés". Avec ce Rosenrot, Rammstein réussit un
autre genre de plantage "Ils ont voulu faire la même chose, mais ils se
sont plantés". Sorti un an seulement après l'excellent Reise,
Reise, ce nouveau disque en est un copier-coller beaucoup trop
manifeste (plusieurs pistes sont d'ailleurs des chutes de studio qui
n'avaient pas été retenus pour l'album précédent), mais en beaucoup
moins inspiré. On retrouve ce côté très mélodique et limite commercial,
encore plus assumé (le duo avec la chanteuse de Texas, faut pas
pousser, ça n'a vraiment rien à faire là), un certain nombre de pistes
lentes qui jouent la carte de l'émotion (probablement les meilleurs du
disque, un Wo bist du ? reste réussi, la conclusion Ein
Lied est également et simplement belle), quelques titres qui gardent
une accroche plus bourrine mais peinent à franchement impressionner
(Hilf mit mir sort quand même de ce lot), et une piste gag où on
se rend finalement compte que la frontière entre délire jouissif (le
Moskau de l'album précédent) et bouse grossière (ce Te quieto
puta) est bien ténue. Du coup, sans être franchement mauvais, le
disque déçoit et constitue le premier réel faux pas du groupe, qu'on
peut à ce moment-là mettre sur le coup d'un excès de précipitation.
- Rammstein - Liebe ist für alle da (2009) ★ ★
Après un Rosenrot franchement pas terrible, on était en droit
d'attendre des allemands une réaction, malgré les dissensions internes
qui minent le groupe depuis plusieurs années. Bon point a priori, ils
sont revenus à leurs habitudes pour cet album, à savoir plusieurs années
de maturation, mais surtout un retour à un son plus massif que sur les
opus précédents, sans revenir toutefois à l'indus des origines du groupe
(définitivement remplacé par des sonorités plus synthétiques que
réellement électro, avec utilisation un peu trop facile de bouts
d'orchestration dispensables). Et pourtant, même si l'album fait preuve
d'un savoir-faire indéniable, il peine à convaincre totalement. On a en
fait la toujours pénible impression que Rammstein s'est contenté
d'aligner une suite de titres bien calibrés, totalement dans l'esprit du
groupe, mais sans prise de risque, et a fait dans tous les domaines une
copie carbone un peu pâle de ce qu'il avait produit dans ses meilleurs
albums. Titres musclés qui n'arrivent pas vraiment à enclencher le turbo
(l'ouverture Rammlied essaie de pimenter la chose avec ses
choeurs surprenants, mais ça ne suffit pas), ballades vraiment pas très
inspirées (Frühling in Paris, ok c'est rigolo pour un francophone
mais on ne peut pas dire que ça vous remue beaucoup), même la
provocation facile de Pussy est un gros pétard mouillé qui
n'arrive pas plus à agacer qu'à enthousiasmer. Un album qui s'écoute
très agréablement comme musique de fond mais qui manque trop
d'approfondissement pour un groupe qui a fait tellement plus fort
auparavant.
- Rammstein - Rammstein (2019) ★ ★ ½
Après pas moins de dix ans de silence (enfin, façon de parler, puisque
le groupe a toujours continuer à tourner), et alors que plus personne
n'y croyait trop, voila que Rammstein ressort un album, que la rumeur ne
tardera pas à qualifier d'adieu de la part du groupe (à tort, puisqu'un
huitième a été publié depuis). Après une grosse baisse de régime sur les
deux opus précédents, ce disque sans titre à la pochette
particulièrement minimaliste commence bien, en laissant définitivement
tomber les titres bourrins (seul Tattoo en fin d'album propose un
riff rappelant les premières heures du groupe) et en remettant très
clairement les claviers au premier plan. On a même droit à des sonorités
assez désuètes sur Radio (justifiées par le thème de la chanson,
sympathique malgré son refrain un peu agaçant) et à une louche de disco
sur le très bon Ausländer (on retrouve un côté décalé réussi, ça
fait plaisir). Mais la piste la plus marquante est probablement
Puppe, glauque et dérangeante comme aux plus belles heures de
Rammstein, avec un Lindemann qui éructe comme un possédé, c'est assez
impressionnant. Mais hélas, après un demi-album vraiment convaincant,
les dernières pistes retombent dans une sorte de routine molle sans
grand intérêt (la ballade Diamant, qu'est-ce que c'est
poussif...). L'ensemble reste le meilleur album proposé par le groupe
depuis le sommet Reise, Reise, mais on n'arrive pas à monter
au-dessus d'un album bilan honorable.
- Rammstein - Zeit (2022) ★ ★ ★ ½
L'album éponyme de 2019 n'était donc pas le dernier, le groupe revient
cette année avec une nouvelle livraison (même si le titre de la chason
conclusive, Adieu, risque fort de relancer la machine à rumeurs).
Et ils ont bien fait, car ils proposent là leur meilleur album depuis
bien longtemps. Au lieu d'essayer de revenir sans y parvenir aux
parpaings industriels de leurs débuts, ils choisissent ici consciemment
une ambiance générale nettement plus posée, mais surtout assez
dépressive, qui leur réussit finalement assez bien. L'album débute
d'ailleurs avec deux titres au tempo très retenu (Armee der
Tristen, dont on se doute que ça ne va pas être très joyeux, et
l'encore plus étonnante chanson-titre après son piano assez minimaliste,
un registre vraiment inattendu pour Rammstein), un contre-pied qui
fonctionne très bien. On aura certes droit par la suite à des choses
plus classiques pour le groupe (les titres humoristiques à tendance
lourde comme Zick zack et Dicke Titten ne sont pas les
plus géniaux du disque, mais dans un genre proche, j'aime beaucoup
OK), et aussi à quelques moments faibles (Schwartz,
Lügen et ses effets dispensables), mais les trois quarts d'heure
de musique passent sans qu'on s'en rende compte. Pour le coup, s'ils en
restent là, les allemands auront tiré leur révérence sur une bonne note.