Mon avis personnel sur les disques d'Haken
- Haken - Aquarius (2010) ★ ★ ★ ★ ★
Voilà un disque que j'aurai écouté un certain nombre de fois avant d'en
parler ici, mais ces écoutes répétées auront été salutaires dans la
mesure où ma première impression aurait plutôt été "Mais qu'est-ce que
c'est que cette musique de cirque ? C'est tout sauf du metal". De fait,
après avoir écouté l'album en entier, je reste assez perplexe sur ce
qu'est censée regrouper l'étiquette "metal progressif". Progressif, oui,
je vois bien (les titres qui durent 10 à 20 minutes avec de nombreux
changements de ton, les longs passages instrumentaux très travaillés),
mais metal ? On entend globalement autant les claviers que les guitares,
qui saturent fort rarement, et le chant est axé pop la plupart du temps
(à quelques incursions notables près de voix gutturales, j'avoue que
l'intrusion de l'orgue puis de la voix au beau milieu de Streams
est assez fascinante). À part un titre comme Drowning in the
flood qui est plus énergique, je n'aurais en tout cas naturellement
pas du tout classé ça comme du metal, progressif ou pas.
Bon, après tout, peu importe, l'essentiel est que ce soit de la bonne
musique. Et je dois avouer qu'après cette mauvaise première impression,
je me suis laissé peu à peu envoûter. Dès la fin de la première écoute
complète, j'avais envie d'y revenir, et maintenant je suis vraiment
conquis. Les inserts a priori étranges de musique de cirque (mais oui !)
ou les allusions orientalisantes (les percussions de Sun) ne sont
jamais gratuites, tout ça est remarquablement agencé et tout bonnement
très prenant. J'aime particulièrement The Point of no return,
Aquarium et Celestial elixir, mais chaque chanson a au
moins un moment marquant (le passage instrumental génial à la fin de
Eternal rain par exemple, qui sauve à lui tout seul une chanson
qui serait peut-être sinon plus quelconque que les autres).
Quelques petits bémols pour aller chercher la petite bête : dommage que
les deux pistes extrêmes (la première et la dernière, par ailleurs
excellentes) utilisent un peu trop les mêmes ficelles (le début des deux
chansons est vraiment très similaire), et surtout je suis assez
moyennement convaincu par le chant globalement très pop (la voix n'a par
ailleurs pas tellement de relief en elle-même), mais au pire, puisque
j'ai la réédition de 2017 sous la main, je peux tout écouter en version
purement instrumentale (ce que j'ai d'ailleurs déjà fait pour
l'intégralité des pistes !). Rien que pour le fait de m'avoir à ce point
fait adhérer à une musique a priori "pas trop pour moi", ça mérite la
note maximale.
- Haken - Visions (2011) ★ ★ ★ ★ ★
Un deuxième album dans la droite ligne du premier, formidablement lancé
par l'introduction instrumentale (on aurait presque envie de dire
"orchestrale") Premonition, qui présente en quelque sorte les
thèmes musicaux du voyage auquel nous sommes conviés tout au long de
l'album, et annonce une approche peut-être plus centrée sur la mélodie
qu'Aquarius, mais qui ne dédaigne pas pour autant les sorties de
pistes inattendues (les musiques de cirque ont été mises de côté, on a
droit cette fois à des bidouilles de synthé façon jeu vidéo vintage dans
Insomnia ou à un break jazzy dans Visions) mais toujours
aussi bien intégrées dans la progression d'ensemble. C'est de toute
façon toujours aussi magistralement construit, par exemple dans
l'enchaînement The mind's eye - Portals -
Shapeshifter qui démarre avec une rengaine presque pop, oblique
vers un instrumental chiadé et termine carrément en apothéose avec la
conclusion monumentale de Shapeshifter. Comme si tout ça ne
suffisait pas, après un Deathless plus atmosphérique qui fait la
part belle aux claviers (mais sans aucune baisse d'intensité ni de
qualité), on a droit à une dernière piste qui développe toutes les
influences du groupe sur plus de 20 minutes, avec des trouvailles
permanentes toutes plus inoubliables les unes que les autres (j'aime
particulièrement le passage un peu après 15'). Bref, sur le cul je suis,
et cet album va rejoindre le précédent dans la catégorie
"incontournables".
- Haken - The mountain (2013) ★ ★ ★ ★ ★
Jamais deux sans trois ? Eh bien oui, troisième album pour Haken,
troisième tuerie. Il est quand même fascinant de constater à quel point
ces gars arrivent à conserver une vraie personnalité tout en mêlant des
tas d'influences diverses (une chanson comme Atlas stone, c'est
totalement "hakenesque"), et à se renouveler d'un album à l'autre sans
perdre en qualité ni s'éparpiller. Cette fois-ci l'accent est mis sur le
travail de la voix, ou plutôt des voix : choeurs discrets en fond de
l'introduction assez majestueuse (c'est le thème de l'album qui veut ça
aussi, en fin d'album Somebody se termine carrément en apothéose
orchestrale), jeux d'échos à plusieurs voix sur Cockroach king,
et carrément de la polyphonie a cappella pour Because it's there.
J'avoue d'ailleurs ne pas aimer outre mesure cette dernière piste, en
partie justement parce que le chant choral ne fait pas partie des choses
qui me passionnent (et même en fin de chanson, l'accompagnement assez
minimaliste avec ces espèces de bruitages scratchisants ne me convainc
pas). Autre déception pour moi sur cet album, le court intermède As
death embraces, espèce de romance avec piano qui me semble très
dispensable. Mais tout le reste est une fois de plus absolument
monstrueux, hyper inspiré mélodiquement, super bien construit, les
titres frôlent ou dépassent les 10 minutes (pas de monstre à 20 minutes
cette fois-ci par contre) mais on a l'impression que ça en a fait à
peine deux tellement c'est bon. Je pourrais presque tout citer parmi les
morceaux incontournables : Falling back to earth assez sauvage
(là, ça ressemble plus à du metal !), la superbe Somebody et son
apogée déjà citée ou les motifs orientalisants de Pareidolia,
mais le top du top pour moi, c'est vraiment le Cockroach king
(titre peu engageant pourtant) : l'entrée des voix est géniale, le motif
principal entêtant, c'est hyper varié, l'intérêt ne retombe jamais, je
peux me la mettre en boucle deux heures sans me lasser.
- Haken - Affinity (2016) ★ ★ ★ ★
Après une intro parsemée de bip-bips façon film de SF un peu vintage, le
doute n'est plus permis quelques minutes plus tard quand démarre la
chanson 1985 (au titre certes assez peu mystérieux !), c'est à
une plongée dans le passé que nous convie cette fois Haken, avec boules
à facettes (bon, ça, on ne les entend pas, mais on peut les imaginer) et
sons de synthé qui sentent bon le disco. Le risque de tomber dans le
cliché kitshouille ? À vrai dire, oui ... et c'est tant mieux ! En
effet, ce 1985 a un côté régressif assumé hyper réjouissant, et
il emporte une fois de plus le morceau par sa construction impeccable.
On pense donc être bons pour un nouveau chef-d'oeuvre, surtout quand
débute superbement la chanson la plus longue de l'album, The
architect, avec son gros quart d'heure de musique. Et puis, bah, je
ne sais pas, mais le long développement instrumental me semble moins
imaginatif et fluide que d'habitude, l'irruption soudaine du chant
guttural pas très bien placée, bref pour la première fois peut-être avec
Haken, je me demande si la longueur du morceau est bien justifiée, même
s'il comporte de très beaux moments. La fin de l'album va un peu
confirmer cette relative baisse d'inspiration, avec des titres
sympathiques mais qui n'apportent pas la touche de génie habituelle
(Earthrise un peu trop pop, Bound by gravity globalement
assez planplan). Entendons-nous bien, ça reste un très bon album, avec
une première moitié encore assez exceptionnelle, mais, en comparaison
avec les sommets précédents, plus inégal et donc forcément un peu
frustrant. Je vais quand même me remettre 1985 une ou deux fois.
- Haken - Vector (2018) ★ ★ ★ ★ ½
Grosse surprise en découvrant ce cinquième album du groupe, il ne dure
"que" 45 minutes (soit quand même quasiment une demi-heure de moins que
leurs premiers opus). Un signe du ralentissement de l'inspiration déjà
perceptible dans la fin d'Affinity ? Pas vraiment en fait, plutôt
une volonté manifeste de se recentrer sur les fondamentaux du groupe et
de proposer un album sans fioritures (une seule piste de plus de 10
minutes, un nombre restreint de chansons), qui se confine d'ailleurs
presque entièrement dans une atmosphère assez musclée. Exit ou presque
les synthés au premier plan (à part la première minute introductive de
Veil), et seule Host tente vraiment une sortie de piste
avec sa trompette aux accents oniriques (pas ma chanson préférée de
l'album d'ailleurs). Pour le reste, après une intro aux accents
industriels redoutablement efficace (comme d'habitude), on se balade en
terrain connu, trop connu peut-être dans un Good doctor qui n'est
pas loin du recyclage, mais les titres suivants (Puzzle box,
Veil et l'instrumental Nil by mouth) montrent que le
groupe n'a rien perdu de sa capacité à créer des mélodies enivrantes et
des structures léchées où il n'y a rien à jeter. La dernière piste A
cell divides conclut en beauté l'album avec sa mélodie vraiment
entêtante, encore une très très belle réussite globale même si c'est
bien sûr un peu moins ambitieux que les trois premiers albums du groupe.
- Haken - Virus (2020) ★ ★ ★ ★ ★
Dernier album d'Haken en date, et ça annonce la couleur dès le début,
c'est du Haken tout muscles dehors auquel on a droit. Autant vous dire
que c'est parfait pour moi, d'ailleurs j'adore ce Prosthetic
initial que j'ai du écouter quelques douzaines de fois en quelques jours
: riff initial énorme, mélodie qui contraste et qui reste bien en tête,
changements de direction permanents et toujours réussis, c'est tout
bonnement énorme. Le reste de l'album ne démérite d'ailleurs pas le
moins du monde, avec des titres plus "classiques" comme Invasion
ou Carousel, et un déchaînement total dans la suite Messiah
complex qui ne laisse que peu de répit pendant un gros quart d'heure
de musique découpé en cinq morceaux. Pas sûr d'avoir tout compris aux
auto-références du groupe (on entend des bouts de Cockroach
King), mais peu importe, ça envoie sévère. On est presque tout
surpris que le disque s'achève aussi vite ensuite (après une conclusion
Only stars qui est le seul titre apaisé), mais on a quand même eu
droit à nos 50 minutes de musique de très haut niveau. Si Haken conserve
cette option plus metal en réussissant à ne pas perdre sa capacité à
créer des mélodies mémorables, franchement, j'en redemande volontiers.
Dans tous cas, puisque j'arrive au bout de leur discographie, voilà un
groupe que je ne regrette certes pas d'avoir découvert, et donc je
réécouterai les disques à intervalles (très) réguliers.
- Haken - Fauna (2023) ★ ★ ★
Ah, un nouvel album de la part des génies anglais d'Haken, chouette !
Quelle sera cette fois-ci l'orientation de leur musique, eux qui
réussissent toujours à donner une touche personnelle à chacun de leurs
albums ? Eh bien, à part la thématique animalière mise en avant par la
pochette, pas grand chose en fait, il s'agit probablement du disque le
plus éparpillé du groupe, mais aussi assez clairement celui où il
cherche le plus à produire une musique accessible (par ailleurs, le côté
très musclé de Vector/Virus est complètement laissé de
côté). Peu de titres à rallonge, des accompagnements épurés (Islands
of the clouds), et même quelques titres quasiment pop (le bizarre
The Alphabet of me, et le bien trop calibré Lovebite),
c'est franchement décevant de la part d'Haken. Alors certes, on
reconnaît quand même le style inimitable du groupe dans Taurus ou
Beneath the white rainbow (avec ces rythmes très hachés), mais
sans les envolées géniales qui donnaient le grand frisson sur les albums
précédents. Il faut en fait attendre l'avant-dernière piste,
Elephants never forget, pour retrouver un Haken vraiment
ambitieux et pleinement satisfaisant. Sans être un mauvais album (ça
reste évidemment d'une maîtrise bluffante), ce Haken soft est pour moi,
d'assez loin, le plus oubliable disque de leur discographie
exceptionnelle.