Mon avis personnel sur les disques de Blind Guardian
- Blind Guardian - Battalions of fear (1988) ★ ★ ★
Blind Guardian, c'est l'un des fleurons du renouveau du metal allemand à la fin
des années 80, avec l'éclosion d'un certain nombre de groupes initialement
très orientés power metal. Forcément, on pense alors inévitablement à
Helloween, et la référence est assez manifeste ici, notamment
bien sûr quand on a droit à des "Halloween" chantés en choeur sur le
refrain de Wizard's crown. Sans surprise donc, ce court premier
album propose une musique mélodique et rapide, avec refrains repris en
choeur et un enthousiasme juvénile qui gomme en partie les défauts
pourtant visibles du disque. Le plus évident, c'est le chant peu
maîtrisé d'Hansi Kürsch, qui gâche par exemple le très heavy Guardian
of the blind (on est pas loin du thrash par moments... comme sur le
premier album d'Helloween !). Le son est par ailleurs franchement moyen,
même dans la version récemment remastérisée que j'ai écoutée. Et puis il
y a des maladresses assez grotesques, notamment les allusions à la
musique classique (l'intro de Majesty qui reprend le Beau Danube
bleu à l'orgue de barbarie, et By the gates of the Moria basé sur
le dernier mouvement de la Symphonie du nouveau monde). Mais qu'importe,
c'est rafraîchissant, et il y a assez de titres réussis (Majesty,
The Martyr, la chanson titre) pour passer un bon moment, en
attendant un peu plus de maîtrise.
- Blind Guardian - Follow the blind (1989) ☆
On a le curieux sentiment, en écoutant ce deuxième effort de Blind
Guardian, qu'il a du y avoir une sorte d'inversion avec leur premier
album, tant celui-ci est moins convaincant que le précédent. Ceux qui
espéreraient au vu de la sympathique pochette des atmosphères lorgnant
vers la fantasy seront en tout cas fort déçus : si on reste à un tempo
rapide à peu près tout le temps, les influences thrash ont complètement
pris le pas sur l'aspect mélodique, et on a du coup droit à une
succession de titres bourrins sans inspiration, toujours assez mal
enregistrés et surtout très mal chantés. Le pompom revient à
Valhalla où Kai Hansen vient jouer les guest stars pour un duo
qui fait franchement mal aux oreilles. On notera aussi, dans la
catégorie franche rigolade, la reprise de Barbara Ann (oui, la
chanson des Beach Boys) qui conclut le disque, comme si les
musiciens eux-même avaient eu quelque part conscience d'avoir produit là
un album qui ne resterait de toute façon pas dans les annales.
- Blind Guardian - Tales from the twilight world (1990) ★ ★ ★ ½
Avec un deuxième essai complètement raté, ce troisième album du groupe
allemand repart du bon pied, et semble même constituer le réel point de
départ de leur carrière, avec des progrès techniques énormes par rapport
à leurs précédents disques (notamment chez Hansi Kürsch qui semble
soudain avoir appris à chanter, la nouvelle intervention de Kai Hansen
sur Lost in the twilight hall n'en est que plus douloureuse pour
ce dernier). Niveau style, pour le coup, on a une sorte de retour en
arrière puisque c'est moins bourrin que Follow the blind (tout en
restant très énergique), et à nouveau très mélodique, avec en plus une
utilisation quasi systématiques de choeurs sur les refrains (tous assez
réussis) et même des allusions à Queen plutôt sympathiques. Bref,
le groupe semble avoir clairement trouvé sa voie, et ça fonctionne assez
bien, même si le disque est encore desservi par un son assez brut qui
donne un côté brouillon à l'ensemble et quelques pistes ratées (Lord
of the rings méritait un meilleur traitement que l'espèce de ballade
folk qui lui est dédiée, et le court instrumental Weird dreams ne
ressemble à rien). Le reste a une patate assez communicative (le très
bon Welcome to dying ou le percutant Goodbye my friend),
avec par moments un côté "générique de série de SF vintage" que je
trouve franchement cool (sur The Tommyknockers notamment). Pas
(encore ?) un chef-d'oeuvre, mais de quoi passer un très bon moment.
- Blind Guardian - Somewhere far beyond (1992) ★ ★ ★
J'avoue une approche un peu compliquée avec cet album, ayant été capable
de le trouver d'un inintérêt presque total lors d'une écoute, avant de
le trouver très intéressant le lendemain. Après avoir insisté un peu, le
verdict sera quelque part entre les deux. On reste dans le même univers
que pour leur disque précédent, un speed bien énergique avec chanteur
très engagé (de plus en plus même, ça a un côté impressionnant mais
c'est pas loin de devenir pénible par moments), et un zeste d'influence
Queen tellement assumé qu'on a droit cette fois-ci à une reprise
du groupe. Au niveau des nouveautés tout de même, un peu plus de
variété, des passages en acoustique, et une volonté de donner dans le
médiéval qui donne lieu à une sorte de ballade (The Bard's song)
dont le seul mérite pour moi est de ralentir un peu le rythme, et à
l'intervention assez incongrue de cornemuses (leur irruption dans la par
ailleurs très bonne chanson titre est assez grandiose). Tout ça est bien
fichu, recherché (les titres sont relativement longs) mais, malgré des
refrains quasiment systématiquement réussis, je n'arrive qu'assez
rarement à accrocher à une chanson sur toute la longueur, comme s'il y
avait trop de choses sans rapport évident les unes avec les autres et
que ça finissait par parasiter mon écoute. J'aime quand même vraiment
l'inaugural Time what is time, le grandiloquent Theatre of
pain (les trompettes synthétiques, forcément, ça me parle) et
Ashes to ashes (plus la chanson titre, ça fait quand même une
majorité du contenu du disque), mais l'ensemble me reste un peu plus
hermétique que leur Tales from the twilight world.
- Blind guardian : Imaginations from the other side (1995) ★ ★ ★ ★
Avec ce cinquième album, nos amis allemands ont encore ajusté un cran
sur le curseur de leur maîtrise technique, et posent indiscutablement un
jalon important dans l'histoire d'un certain genre de metal, disons
rapide et orienté fantasy pour résumer (rappelons quand même que ce
disque précède de quelques années le revival du genre provoqué notamment
par les kitscheries d'un Rhapsody). Justement, ici, pas de
kitsch, c'est un metal épique certes (avec utilisation assez massive des
choeurs, souvent très efficace d'ailleurs), mais puissant et même
volontiers sombre. Rien que le chant très écorché d'Hansi Kürsch, dont
le décalage fréquent avec l'ambiance sonore qui l'entoure crée parfois
des effets saisissants (le refrain quasiment désespéré de I'm
alive notamment), place de toute façon le groupe dans une catégorie
à part. De la maîtrise donc, il y en a indiscutablement ici, et les
titres marquants sont nombreux, à commencer par la chanson-titre qui
ouvre l'album. Du génie, peut-être moins, même si j'avoue une grande
fascination pour l'irruption de la guitare acoustique hispanisante vers
la fin de And the story ends. C'est pour ça, et aussi à cause de
quelques pistes plus dispensables (les ballades médiévales me semblent
toujours assez insipides), que, même si je prends beaucoup de plaisir à
l'écouter, je n'irais pas jusqu'à considérer ce disque comme un sommet
incontournable (bah j'ai mauvais goût quoi, je préfère le kitsch de
Rhapsody à cette proposition au fond beaucoup plus sérieuse).
- Blind Guardian - Nightfall in Middle Earth (1998) ★ ★ ★ ★
Cet album-là je l'avais en fait déjà écouté (et il n'y a pas si
longtemps que ça, pas à l'époque de sa sortie !), attiré notamment par
l'étiquette power metal et l'inspiration puisée chez Tolkien (même si je
n'ai pas lu le Silmarillion dont l'album illustre certains passages, ce
qui n'est d'ailleurs absolument pas nécessaire pour l'apprécier). Et je
n'avais pas franchement accroché. Mais à ce moment-là je ne m'étais pas
encore vraiment plongé dans la musique particulière de Blind Guardian,
et ça ne ressemblait pas assez à mes groupes habituels dans le genre
(qu'on ne va pas rappeler). Maintenant je suis mûr pour vraiment
apprécier ce très bon disque, et je ne suis pas loin de partager l'avis
général qui en fait un incontournable chef-d'oeuvre (mais pas tout à
fait quand même). Le fait qu'il s'agisse d'un concept-album avec de très
nombreux interludes (parfois de simples narrations avec bruits de fonds,
mais aussi quelques choeurs sympathiques) est un point positif pour moi,
qui permet de mieux faire passer les influences médiévales légèrement
envahissantes du groupe (malgré tout, il y a encore des passages dans
certains titres où on a une irruption incongrue de folk médiévale
guillerette qui me semblent plus que superflus, par exemple dans l'assez
agaçant Mirror, mirror). Mais surtout, l'album propose des titres
travaillés (comme d'habitude) mais surtout très variés (Hansi Kürsch ne
braille pas tout le temps, et quand il pose sa voix c'est vraiment pas
mal !) : du speed bien rentre-dedans comme d'habitude (Into the
storm est assez irrésistible dans le genre), mais aussi du mid tempo
mélancolique, voire tragique, qui me convainc en fait encore plus (ma
chanson préférée de l'album est sûrement Noldor, mais
Nightfall et son ambiance claire-obscure est un sacré morceau
aussi), on va même jusqu'à la vraie ballade avec piano (The
Eldar). Les choeurs prennent toujours une place très importante et
les refrains sont dans l'ensemble superbes. Mais malgré tout, il me
reste sur une partie des titres toujours cette impression que le groupe
ne maîtrise pas totalement l'enchaînement de ses idées (sur Thorn
par exemple), ce qui m'empêche encore d'être absolument emballé. Ça n'en
reste pas moins un album passionnant, à écouter au moins une fois dans
sa vie.
- Blind Guardian - A Night at the opera (2002) ★ ★
Blind Guardian a toujours eu une certaine tendance à en faire trop, qui
nuit parfois à la lisibilité de leurs compositions. Pas surprenant de ce
point de vue que leur plus belle réussite soit Nightfall in Middle
Earth, où les interludes et la grande variété de tempo donnaient une
aération naturelle au propos. Mais pour leur disque suivant, peut-être
par peur de décevoir, les allemands ont terriblement chargé la barque.
Dès le premier titre Precious Jerusalem, on est un peu surpris
par le ton de l'ensemble, les arrangements lui donnant un aspect "pop
électro sophistiquée" (niveau construction, ça n'a rien à voir avec de
la pop par contre) assez étonnant. Mais l'énergie déployée et les
choeurs très présents emportent le morceau, on se dit que c'est
finalement un bon portique pour introduire l'album. Sauf qu'en fait,
l'album va jouer en continu sur les mêmes recettes : tempi rapides,
énormément de choeurs et plus généralement de présence vocale (Kürsch se
répond assez régulièrement à lui-même), arrangements qui rajoutent
encore une bonne couche à un édifice déjà chargé tout en éloignant
sérieusement la musique de ce qu'on attend d'un album de metal (les
choeurs limite gospel sur certains passages de Wait for an
answer, les arrangements orchestraux de la monumentale And then
there was silence qui clôture le disque avec ses 14 minutes), il n'y
a rigoureusement aucun temps mort, on a l'impression d'entendre le
climax d'un album "normal" étalé sur plus d'une heure, et il faut bien
avouer que c'est assez épuisant. C'est vraiment dommage, car sur le fond
la musique du groupe reste très intéressante et les compositions hyper
travaillées, mais les bons moments (Sadly sings destiny, The
Maiden and the minstrel knight qui est peut-être le titre le plus
posé des dix qui constituent l'album) sont noyés dans un trop plein dont
on ne retient finalement que bien peu de choses après l'écoute.
- Blind Guardian - A Twist in the myth (2006) ★ ★ ½
Après nous avoir fait passer une nuit à l'opéra (trop) mouvementée,
Blind Guardian revient apparemment à des thèmes plus classiques, mais
surtout tient compte de la boursouflure de l'album précédent et propose
un disque infiniment plus facile à écouter. La densité des lignes de
chant a entièrement disparu, les arrangements sont distribuées
parcimonieusement au lieu d'être balancés en paquets continus (il n'y a
d'ailleurs presque que The Edge qui sonne symphonique), ça fait
du bien aux oreilles. Mais ce qui est nettement plus dommage, c'est
qu'en allégeant la sauce, les allemands ont aussi fortement simplifié la
recette, proposant des morceaux beaucoup plus directs qu'à l'habitude,
et lorgnant même régulièrement vers une sorte de hard rock classique un
peu daté (les sonorités de claviers n'aidant pas franchement non plus
pour un album pourtant pas si ancien). Pire, ça manque souvent de
mordant, les choeurs ne sont plus guère épiques, les refrains pas
franchement mémorables, et de façon très symptomatique, Kürsch a
définitivement laissé au placard son chant écorché si typique (il chante
bien aussi en voix "normale" mais ça a clairement moins de
personnalité). Sur les pistes rapides et énergiques, comme le très bon
This will never end qui ouvre le disque, ça ne pose pas de
problème. Mais quand le tempo faiblit, on tombe dans l'anecdotique,
quand on ne frise pas carrément le kitsch dégoulinant (sur Carry the
blessed home, on ne fait pas que le friser). Le disque n'en est pas
mauvais pour autant (les percus colorées de Fly ou l'inévitable
titre médiéval Skalds and shadows sont sympa), mais finalement,
pour des raisons bien différentes, pas beaucoup plus convaincant que
leur précédent.
- Blind Guardian - At The edge of time (2010) ★ ★ ★ ★
Après une période de moins bien, Blind Guardian tente de renouveler un
peu sa musique en ayant recours à un moyen devenu fort classique dans le
monde du speed, l'orchestre symphonique. Dans la mesure où leur musique
est souvent déjà bien chargée, ça peut ressembler à une fausse bonne
idée, mais les doutes sont dissipés avec le Sacred worlds qui
ouvre l'album, et qui constitue une sorte de démonstration d'utilisation
raisonnée de l'orchestre qui renvoie dans les cordes tous les
concurrents s'étant déjà essayés à l'exercice avec infiniment moins de
subtilité. Il parait du coup d'autant plus curieux que l'orchestre
disparaisse ensuite jusqu'au Wheel of time conclusif, mais aussi
que ce dernier soit nettement moins réussi, mélange improbable entre
speed metal et Maurice Jarre version BO de Lawrence d'Arabie qui ne
convaincra complètement que les plus fans de bizarreries chroucrouteuses
(j'avoue que j'aime assez malgré tout, mais à petites doses quand même).
Entre les deux toutefois, le groupe propose un contenu très varié, sorte
de best of de tout ce qu'il avait pu mettre dans ses albums précédents,
et réussit surtout à retrouver un beau niveau d'inspiration :
Tanelorn (Into the void) est un très bon titre heavy où Kürsch
retrouve une agressivité bienvenue, Road of no release est plus
retenue (belle intro au piano) mais très maîtrisée, le refrain de
Control the divine est d'une efficacité redoutable, et la ballade
médiévale Curse my name passe très correctement. Tout cela,
malgré quelques inévitables moments de moins bien (notamment un War
of the thrones au refrain hors-sujet, mais bon, une chanson inspirée
par les écrits de George Martin et composée avant la création de la
fameuse série avait de toute façon de fortes chances de sonner
bizarrement), met tout bonnement ce disque à la hauteur des plus belles
réussites du groupe !
- Blind Guardian - Beyond the red mirror (2015) ★ ★ ★
Avec leur album précédent, les allemands avaient inauguré une période
axée sur l'utilisation d'un véritable orchestre symphonique, toutefois
encore utilisé parcimonieusement (et judicieusement qui plus est). Leur
goût naturel pour la surenchère aura vite repris le dessus, sur cette
nouvelle proposition, on fait nettement moins dans la subtilité, avec
des tonnes de choeurs et d'arrangements qui ne sont souvent pas loin de
tourner au pudding indigeste façon A Night at the opera. Mais on
évite le pire, l'ensemble reste lisible (et surtout audible) même si 70
minutes sont probablement un peu trop (surtout que la fin d'album est
vraiment moyenne, Grand parade est une conclusion
artificiellement festive mais peu inspirée, et le Miracle machine
choral sur fond de piano qui précède n'a aucun intérêt). On démarre en
tout cas très fort avec une intro de The Ninth wave vraiment
prenante (dommage que quelques passages aux sonorités vraiment trop
électro gâchent un peu le titre), et l'enchaînement avec un Twilight
of the gods caractéristique du groupe met dans de bonnes
dispositions. Il faut bien admettre qu'ensuite on aura quand même trop
peu de temps forts (quelques chansons sont sauvées par les arrangements
énormes, par exemple At the edge of time et son discours assez
décousu), même si le tout s'écoute agréablement. Un bon disque pour qui
aime le metal spectaculaire proposé par Blind Guardian, et peut-être
même une bonne porte d'entrée dans leur univers pour qui n'a pas peur de
la surcharge orchestrale, mais ils ont quand même fait mieux.
- Blind Guardian - The God machine (2022) ★ ★ ★ ½
Blind Guardian laisse passer de plus en plus de temps entre deux albums
studio (si on ne compte pas leur précédente tentative symphonique non
incluse parmi ces chroniques), mais le groupe est toujours vivant, et
bien vivant. D'ailleurs, pour ce dernier album en date, ils ont même
assez sérieusement travaillé leur son pour le rendre plus moderne (mais
on garde bien sûr les choeurs typiques du groupe), et renoué sur
certains titres bien percutants avec les racines thrash dont ils sont
issus, mais qu'ils avaient assez soigneusement enfouies depuis un
certain temps (Violent shadows notamment). Le revers de la
médaille, on ne le cachera pas, c'est que cette approche plus directe
s'accompagne d'une certaine simplification de la musique proposée, à
l'image de leur A Twist in the myth quinze ans auparavant. Mais
cette fois-ci, simplification rime avec efficacité, et des titres comme
Deliver us from evil ou l'épique Secrets of the american
gods fonctionnent très bien. On regrettera par contre que la ballade
Let it be no more soit complètement impersonnelle, ou que le
titre final Destiny manque de conviction, mais on a droit le
reste du temps à du Blind Guardian bien fichu, mélodique comme
d'habitude, et tout simplement satisfaisant sans révolutionner le moins
du monde quoi que ce soit.