Le jeu de rôle
Kosmos est un projet très ancien dont la première version remonte à ma première année à l’ENS en 2005. Enthousiasmé par mes cours d’histoire ancienne
et d’études mythologiques, j’avais envie de proposer un jeu qui permette de jouer en Grèce antique avec un matériel de jeu aussi proche que possible des textes grecs
antiques. Au départ historico-mythologique, le jeu a connu une première version qui n’a pas été très loin. En 2014, j’ai repris ce projet en le tournant entièrement
vers la mythologie grecque.
Après un gros travail, j’ai mis en ligne le livre de base actuel de
Kosmos fin décembre 2014 sous la forme d'un fichier pdf d'un peu plus de 300 pages. Depuis, je l’ai régulièrement
modifié, corrigé et étoffé. Début février 2015, j’y ai ajouté, dans les dernières pages, des plans de maisons et de temples typiques que j’avais dessinés moi-même, accompagnés de
courts commentaires pour aider les meneurs de jeu à mettre ces endroits en scène dans leurs scénarios.
Je mets à disposition des internautes le matériel de jeu de
Kosmos sous la licence Creative Commons, qui est expliquée à la page 2 du livre de base. Il s’agit plus précisément
de la
licence Creative Commons «Attribution -Pas d’Utilisation Commerciale -Pas de Modification» 3.0 France. J’explique
clairement les implications de cette licence : « Cela signifie que vous êtes libres de diffuser les documents du jeu dans la mesure où vous me citez comme auteur, où vous ne faites aucune
utilisation commerciale de ces documents et où vous ne les modifiez pas. » Les licences Creative Commons ont été conçues pour aider les créateurs à faire respecter leurs droits et elles ont
été utilisées
avec succès en justice à cette fin dans plusieurs pays du monde.
Le 29 juin 2018, j’ai feuilleté dans une boutique de jeux parisienne un supplément paru quelques semaines plus tôt pour le jeu de rôle
Antika, créé par Bruno Guérin et publié par les
Ludopathes. Intitulé
Troie, ce supplément propose une campagne inspirée par le mythe de la guerre de Troie.
Parmi les dernières pages du supplément, j’ai eu la surprise désagréable de découvrir trois plans de maisons typiques qui n’étaient autres que des images que j’avais incluses parmi les
annexes à la fin du livre de base de
Kosmos. Les commentaires qui les accompagnaient ne sont pas repris et le titre de l’«Exemple de demeure aisée» a été changé en «Maison cossue»,
mais ce sont les mêmes images, nettement différentes dans leur style des autres plans du supplément. Les légendes indiquant les noms des différentes pièces du bâtiment sur l’Exemple de maison aisée,
ont été conservées à l’identique, ce qui jure d’ailleurs avec le reste de la mise en page puisque la fonte de caractères utilisée n’est du coup pas la même que celle du reste du supplément.
Voici une capture d'écran de la page 380 du livre de base de Kosmos où se trouvent les trois plans plagiés par Antika :

Et voici un scan de la page 115 du supplément Troie d'Antika, dont la moitié supérieure plagie les trois plans issus du livre de base de Kosmos :

(Notez que la moitié inférieure de la page montre un quatrième plan qui n'est pas de moi, mais dont le style graphique et la fonte de caractère utilisée en légende diffèrent fortement de la plupart
des autres plans du supplément, ce qui m'a inquiété. Une petite recherche sur un moteur de recherche m'a permis de retrouver assez vite ce plan en ligne. Il figure sur
le site e-Olympos, dont l'auteur indique qu'il s'agit d'un groupement de travaux scolaires du type "exposés". Il figure aussi, en moins bonne qualité
et sans la légende, sur le site Cliohist. Ce dernier site indique ses sources : une bonne demi-douzaine d'ouvrages d'histoire ancienne.
Je suis prêt à parier que le plan a été scanné dans l'un de ces livres par l'auteur d'un de ces sites, et qu'il a été repris dans Troie à la suite d'une simple recherche d'image, sans aucun souci du droit d'auteur.
Et je ne parle ici que d'une page sur les 118 que compte le supplément. J'en frémis.)
Trouver ces images dans ce supplément m’a montré que
Troie foulait aux pieds au moins deux des termes de la licence Creative Commons. D’abord parce que ces images ont été extraites du
fichier pdf du livre de base de
Kosmos (sans doute par une simple copie d’écran) et insérées dans le supplément, alors que la licence n’autorise pas les gens à modifier les fichiers du jeu
(on ne peut donc pas copier une image et l'utiliser ailleurs que dans le fichier du jeu, en tout cas pas hors de l'utilisation habituelle d'un matériel de jeu de rôle). Ensuite, contrairement
à mon jeu,
Troie est un supplément vendu dans le commerce, qui fait donc une utilisation commerciale d’une partie de mon matériel de jeu alors que j’ai choisi une licence qui n’autorise
pas cela.
J’ai alors consulté la liste des auteurs du supplément afin de vérifier si, au moins, la source des images était précisée. En vain : dans les premières pages de
Troie, les plans et cartes
du jeu sont uniquement attribués à Josselin Grange et Patrick Trempond, alors qu’ils utilisent aussi trois plans dessinés par moi (Pierre Cuvelier). Le supplément
Troie ne respecte donc pas
non plus la nécessité d’attribution du matériel de jeu à son auteur. Reprendre une création sans l’attribuer à son auteur, en la présentant comme si on en était l’auteur soi-même, c’est
la définition du plagiat. Le supplément
Troie du jeu
Antika plagie donc trois plans du livre de base de
Kosmos.
On dit qu’être copié est un gage de qualité. Curieusement, je suis quand même en colère.
D’abord pour une question de principes. Ce jeu m’a demandé des centaines d’heures de travail, elles-mêmes rendues possibles par des études qui m’ont demandé d’autres
centaines d’heures de travail. Je le mets à la disposition des internautes gratuitement. Un minimum de gratitude consiste à respecter les quelques limites que j’ai posées à l’utilisation
de ce matériel. Ce manque de respect envers l’auteur d’un jeu de rôle amateur est déplorable, surtout dans un milieu comme celui du jeu de rôle sur table français, dont la vitalité et la
richesse doivent beaucoup à l’intense activité des rôlistes en ligne et à la profusion de matériel de jeu rendu disponible à titre gracieux par des rôlistes pour des rôlistes.
Ensuite parce que ce plagiat est mesquin. Des gens se diront peut-être que trois plans, ce n’est pas grand-chose. S’ils vont les regarder, ils me diront aussi que ce ne sont pas vraiment
des chefs-d’œuvre de graphisme, mais des croquis basiques. Trois fois rien, en somme. Je passe sur le fait que ces trois plans m’ont demandé un minimum de documentation, eux aussi. Et je
réponds : justement, si ces trois plans ne sont pas grand-chose, quel est l’intérêt de les plagier ? Pourquoi les auteurs du supplément n’ont-ils pas simplement redessiné eux-mêmes des plans
équivalents, mais qui auraient été leurs propres créations et qui auraient sûrement été plus beaux que les miens ? Cela ne leur aurait pas demandé beaucoup plus de travail par rapport
aux nombreux autres plans très complexes qui figurent dans les pages du supplément. Et mentionner quelque part la source de ces images, ça non plus, ça n’aurait pas demandé beaucoup de
travail.
Ce plagiat m’attriste car
Antika est un jeu qui a des défauts sérieux (surtout éditoriaux) mais aussi des qualités notables. J’avais consacré du temps à poster des avis parfois critiques
mais toujours constructifs à son sujet sur des sites et forums de jeux de rôle. Avec ma casquette de chercheur en études mythologiques, j’avais même inclus
Antika dans mon corpus d’étude
pour une communication intitulée «Trois jeux de rôle sur la mythologie grecque entre péplum et Histoire», faite en juin 2015 lors du colloque «Les 40 ans du jeu de rôle» organisé par les
universités Paris 3 et Paris 13 du 12 au 14 juin 2015. Si j’avais su que je contribuais à faire connaître et respecter un jeu qui allait plagier le mien, j’aurais consacré mon temps à
autre chose.
Car ce plagiat jette le soupçon sur l’honnêteté de l’ensemble du matériel de jeu publié par la gamme
Antika des Ludopathes. Si j’ai été plagié, d’autres l’ont-ils été aussi ?
C'est préoccupant, et il faudra bien le vérifier tôt ou tard. C’est en partie pour cela que je prends le temps de parler en détail de cette affaire sur Internet : pour avertir les autres.
J'ai contacté l'éditeur Les Ludopathes le 18 juillet 2018 par mail pour demander que le supplément contenant les plans plagiés soit retiré du commerce et que les plans en soient supprimés.
Le même jour, Yann Bruzzo m'a indiqué par mail que les Ludopathes allaient "prendre les mesures qui s'imposent et retirer les images incriminées".
J'ai eu l'occasion d'échanger par forum et mail, début août, avec l'auteur du jeu
Antika, Bruno Guérin, qui ne savait pas exactement ce qui s'était passé mais qui s'est montré désolé et a admis qu'il y avait
eu un problème au cours de l'élaboration du supplément. Il a supposé que le retard et la précipitation (dans le bouclage du supplément, je suppose) avaient pu jouer.
Recontacté par mail le 29 octobre, Yann Bruzzo m'a répondu le même jour avoir "procédé comme indiqué". Il m'a précisé, le 5 novembre, que le supplément incriminé n'était "plus édité en l'état" car
"une réédition est en circulation, avec les corrections adéquates".
Tout au long de cet indident, je regrette de ne jamais avoir reçu d'excuse de la part des Ludopathes (l'auteur, lui, était visiblement désolé) ou de propos prenant en considération
mon travail, et d'avoir dû revenir à la pêche aux informations trois mois après pour savoir quelles mesures précises l'éditeur avait prises. Je considère cependant cet incident comme réglé,
puisque l'éditeur m'assure avoir retiré les plans qui posaient problème.
7 janvier 2019 : je précise que je n'ai pas encore eu la possibilité de consulter la réimpression du supplément
Troie où mes plans ont été retirés selon l'éditeur.
Pierre Cuvelier
29 juin 2018
(30 juin : ajouts de liens sur les licences Creative Commons)
(18 juillet : ajout d'images des plans plagiés et de la page qui les plagie.)
(5 novembre : mise à jour avec réponse apportée par l'éditeur.)
(6 novembre : correction d'orthographe et précision.)
Revenir à la page des jeux de rôle
Revenir à
l'accueil.