Parmi les films ayant reçu un prix au dernier festival
de Cannes, et même plus généralement parmi toute la sélection, le
nouveau film d'Audiard faisait partie de ceux dont j'attendais le plus
impatiemment la sortie en salles. Un réalisateur qui monte, et dont
j'avais apprécié l'oeuvre précédente, et la perspective d'un grand film
de truands à la française me plaisaient plutôt. Qui plus est, la
quasi-unanimité de la critique sur la grande qualité de l'oeuvre était
plutôt rassurante.
Jacques Audiard nous colle donc pour deux heures et demie aux basques de
Malik, jeune arabe sans culture (il ne sais pas lire) et sans repère
qui, à peine majeur, se retrouve condamné à six ans de prison. On ne
saura jamais exactement pourquoi, d'ailleurs, mais disons qu'il est
plutôt un prototype de petite frappe sans envergure au fond pas bien
méchant. Pourtant, en quelques années derrière les barreaux, tiraillé
entre une mafia corse brutale et ses "frères barbus", il va se
transformer petit à petit en caïd sans pitié.
Cette lente montée en puissance ne sera pas suivie, comme c'est le cas
dans tant de film du genre, par une quelconque déchéance, puisque le
film s'achève au moment où Malik sort de prison, à la tête d'un petit
empire du crime qu'il s'est construit derrière les barreaux. Le
scénario, très pessimiste, est assez remarquablement construit, nous
montrant la prison comme une sorte d'école (il y a de fait un côté
école, avec ses nouveaux qu'on observe, ses bandes, ses petites
combines) de la délinquance dans laquelle il est impossible de rester
neutre. Malik n'a pas le choix : à peine entré, c'est tuer ou être tué,
et la suite lui sera pendant un bon moment tout autant imposée, jusqu'à
ce qu'il apprenne lui-même les règles du jeu et les retourne à son
avantage (l'utilisation d'une langue que les autres ne comprennent pas,
par exemple). Loin de l'éloigner du monde du banditisme, la prison l'en
rapproche, et sa seule porte de sortie est de devenir plus implacable et
fort que ses congénères.
Constat implacable et extrêmement amer mais certainement , servi par un
quasi huis-clos d'un réalisme étouffant, et quelques acteurs au sommet
de leur art (Arestrup en empereur sur le déclin est magistral). Non, la
critique n'a pas menti, le film sait où il va, et le fait avec une
assurance impressionnante. Pourtant, je ne suis pas entièrement
convaincu. Pourquoi ? Question de style, tout simplement. À force de
jouer en permanence sur la dureté et la froideur, ne laissant aucune
place au lyrisme (la musique, certes adaptée, est très parcimonieusement
distribuée, l'image est sombre, et les très rares tentatives d'échappées
vers l'onirisme ne semblent pas à leur place), le film finit par être
émotionnellement assez creux.
Alors oui, j'ai été impressionné par le film, mais à aucun moment, je
n'ai souffert avec Malik, à aucun moment je n'ai tremblé, à aucun moment
je n'ai été soufflé par le choc d'une scène d'action trépidante, à aucun
moment je n'ai éprouvé de la compassion pour le compère malade du héros.
De par son style, ce Prophète se rapproche finalement plus d'un
(bon) documentaire scénarisé que d'un film qui prend à la gorge. Ce
n'est pas le style que je préfère. Après, chacun son avis...
Roupoil, 27 août 2009.