Je préfère ne pas regarder de quand date ma dernière
critique au moment de commencer celle-ci. Les temps sont plutôt durs
pour ma fréquantation cinématographique, concentrons-nous donc sur le
nouveau Polanski, de retour sur le devant de la scène quelques années
après Oliver Twist. La question inévitable étant, bien sûr,
peut-on parler du dernier Polanski sans parler de Polanski lui-même et
de ses démélés avec la justice ? Bien qu'assez peu fan du mélange des
genres (la vie privée de Polanski appartient peut-être à la justice,
mais ses films, eux, appartiennent au cinéma), je ne peux pourtant que
répondre non, tant ces évènements ont influencé la réalisation même du
film, et transparaissent assez curieusement dans son contenu.
Parlons-en, justement, du contenu. Un nègre (oui, c'est ça que signifie
le titre, pas de spectres à l'horizon pour cette fois) est engagé pour
écrire les mémoires d'un ancien premier ministre brittanique qui se
trouve accessoirement un peu au coeur de la tourmente suite à
agissements douteux lors de la guerre en Irak (toute ressemblance avec
des faits réels n'est sûrement pas fortuite). Ou plutôt pour compléter
les mémoires, à la suite d'un précédent écrivant mort mystérieusement.
Le nègre (faussement ?) naïf va vite se rendre compte qu'il a mis les
pieds dans un sacré pétrin.
Ceux qui s'attendaient à un thriller politique trépidant et plein de
complications, trahisons et autres subtilités nécessaitant une
connaissance accrue de l'actualité de ces dernières années seront
peut-être un peu surpris. En décidant de tout nous montrer du point de
vue de l'écrivain, le film reste en fait plutôt simple (peu de
personnages, et surtout ça ne rentre pas dans le détaildes ramifications
diplomatiques), mais élargit sensiblement le sujet en nous faisant
pénétrer dans un monde étonnant, celui d'un homme qui ne peut pas se
débarasser d'une exposition médiatique étouffante. Sur ce point, on ne
peut évidemment pas éviter de faire un rapprochement avec la situation
actuelle du réalisateur. La scène où l'écrivain observe en direct depuis
la télé de sa chambre ce qui se déroule à quelques mètres de lui est
assez fascinante.
Mais le film traite également de sujets bien plus classiques, comme la
relation de l'ex-premier ministre avec sa secrétaire, et la jalousie qui
en découle chez une lady au caractère bien trempé. Film d'atmosphère
aussi, la maison au style moderne plantée au milieu d'une île balayée
par les intempéries offrant un décor de cinéma de choix. Tous ces
éléments sont mélangés avec fluidité par un Polanski qui maitrise
complètement ce qu'il fait (bien servi aussi par des dialogues aux
petits oignons), au point qu'on ne voit pas le temps passer, et qu'on
est aussi curieux que notre héros de savoir le fin mot de l'histoire.
Assez curieusement, c'est quand l'intrigue se met à s'accélérer que le
film convainc beaucoup moins à mon sens. Après une double confrontation
de notre cher écrivain laissant augurer une intensification des débats
réjouissante, le scénario opte pour une clôture assez brutale des
débats, suivie de quelques scènes dont on se demande à quoi elles
servent (celle où Ricardelli, personnage qui ne sert à rien, vient
délivrer l'écrivain, notamment), puis d'une conclusion assez décevante,
pas tant par le procédé un peu facile et vu mille fois qui révèle le fin
mot de l'histoire que par son apparition trop rapide et forcée par
rapport au rythme global du film. On en viendrait presque à se demander
si Polanski a vraiment fini le montage de son film comme il le
souhaitait. Ceci dit, malgré cette nette baisse de régime, son dernier
film reste une oeuvre très solide et passionnante, qui mérite d'ailleurs
d'être vue indépendamment de tous les à-côtés qui ont pu lui donner de
la publicité involontaire.
Roupoil, 6 avril 2010.