Début d'année oblige, nous avons droit, comme à peu près
tous les ans, au débarquement dans nos contrées engourdies par le froid de
tous les favoris aux Oscars. Voici donc coup sur coup deux critiques
consacrées aux deux poids lourds de la compétition : l'un, le Benjamin
Button de David Fincher avait dès le départ tout pour se porter en
sérieux concurrent à une grosse moisson d'ici la fin du mois. L'autre,
celui qui m'intéresse dans cette critique, est par contre un exemple
parfait de l'outsider qui a su montrer en puissance au bon moment, en
partie aidé d'ailleurs par une quasi polémique sur sa représentation de la
vie des pauvres indiens (quand je dis pauvres indiens, j'entends par là
des indiens qui sont pauvres, ce n'est pas une généralisation, hein).
Quoi qu'il en soit, le film s'intéresse effectivement au curieux destin
d'un jeune indien, Jamal, qui est sur le point de gagner des roupies par
millions à la version locale du jeu télévisé fait pour remplir les poches
de la chaine qui le diffuse et, accessoirement, les très mauvais jours, du
candidat. Justement, comme l'alignement de bonnes réponses de Jamal semble
un brin suspect, la police locale l'interroge (comprendre : le torture
allègrement) pour lui soutirer des explications. En fait d'explications,
le père Jamal a eu, depuis sa naissance dans les bidonvilles de Mumbai,
une vie bien remplie.
L'idée de base de scénario est, indiscutablement, assez géniale : passer
par le prétexte de questions de culture générale pour raconter la vie de
son héros par épisodes, justifiant ainsi naturellement le découpage et les
ellipses, c'est bien trouvé. Ca pourrait même faire oublier le fait que
le scénario, quand on y regarde de plus près, sent un peu le réchauffé (je
sais que c'est adapté d'un bouquin, mais qu'on ne me dise pas que l'auteur
n'a jamais vu Le temps des gitans de Kusturica, je ne le croirais
pas ; en fait, on se serait bien passé de toute la partie "plongée dans la
délinquance du vilain grand frère" qui est de fait assez cliché). À la
limite, je comprends la grosse colère de ceux qui ont détesté le film : on
n'a fait que coller un coup de peinture indienne sur un fond qui reste
très classique, du gagster à lunettes noires dont on sait tout de suite
que c'est un salaud même si le film essaie de nous faire croire un moment
le contraire, à l'histoire d'amour contrariée. Le final serait d'ailleurs
à la limite du supportable s'il n'avait astucieusement été sauvé par un
gentil hommage au cinéma bollywoodien.
D'ailleurs, tout le film fonctionne un peu sur ce côté exotique. La
musique est un mix assez intéressant entre grosse influence indienne et
format restant adapté aux oreilles occidentales, et même Boyle à la caméra
jongle avec les couleurs et le mouvement (avec un certain talent
d'ailleurs, puisque contrairement à beaucoup de ses collègues, il arrive à
toujours nous montrer des scènes lisibles même quand ça bouge énormément)
sans révolutionner quoi que ce soit. Malgré tout, le film réussit quand
même à se donner un joli cachet d'authenticité, notamment pendant toute la
partie qui se passe pendant l'enfance de Jamal. Quelques plans sur les
canaux immondes des bidonvilles, les trains où tout le monde est en train
de manger, où les gardiens de chaussures des endroites touristiques, ce
n'est pas grand chose, mais ça suffira à ceux qui, comme moi, ont eu la
chance de visiter cet incroyable pays, à ressentir quelques frissons de
nostalgie. Quand aux autres, à condition de ne pas trop prendre au pied de
la lettre la description qui est faite de la vie indienne, ils auront de
fait droit à une version un peu plus colorée d'un film qu'au fond ils ont
déjà vu dix fois. Suffisant pour passer un bon moment.
Roupoil, 12 février 2009.