Ah, ça, c'est une critique que je vais faire le sourire
aux lèvres. Sleepy Hollow est une des oeuvres qui correspondent
le plus en ce qui me concerne au qualificatif de « film culte » si souvent
galvaudé. J'ai beau lui trouver des tas de défauts au niveau de ce qui est
quand même souvent le point essentiel dans un film, à savoir le scénario,
ses qualités compensent à mon goût tellement largement ses imperfections
que je continue passer un moment magique à chaque nouvelle vision (et je
dois bien en être à cinq ou six depuis sa sortie).
Comme déjà signalé, le scénario n'est pas vraiment d'une inventivité
extraordinaire, c'est apparement inspiré d'une légende bien connue des
têtes blondes américaines : dans un petit village isolé des États-Unis, à
la toute fin du dix-huitième siècle, une série de meurtres étranges est
commise. L'inspecteur Ichabod Crane, peu apprécié par ses supérieurs
new-yorkais du fait de son attirance pour les théories scientifiques et
les instruments étranges, est envoyé pour enquêter sur place. Tout ce
qu'il obtiendra des notables locaux est une étrange histoire de cavalier
sans tête venu se venger. Convaincu de l'existence d'une explication
rationnelle, il se lance sur la piste du mystérieux tueur.
L'histoire en elle-même n'est pas totalement ridicule, mais c'est la façon
dont elle est traitée qui donne l'impression d'un certain je-m'en-foutisme
de la part de Burton. Dans la mesure où c'est l'aspect fantastique qui
l'intéresse, on saura très rapidement que le cavalier sans tête n'est pas
qu'une légende, et les sombres histoires d'héritage qui sous-tendent les
meurtes sont expédiées sans grande considération. La scène d'explication
finale (oui, même s'il y a une bonne part de fantastique, il y a une
explication à tout cela) semble carrément gêner Burton plus qu'autre
chose, qui y engouffre un résumé des meurtres sans aucune imagination.
Parti de là, et si on s'en réfère à la conception d'Hitchcock de ce que
doit être un grand film (trois éléments essentiels : un bon scénario, un
bon scénario et un bon scénario), on voit mal ce qui peut justifier mon
enthousiasme pour Sleepy Hollow. Eh bien, c'est simple, c'est
tout le reste, tout ces à-côtés qui peuvent sembler mineur à première vue,
mais qui constituent pour moi autant d'éléments indispensables à la
qualité d'une oeuvre cinématographique (désolé Alfred ; finalement, c'est
peut-être pour ça que je n'aime pas beaucoup tes films ;-) ). Et pour le
coup, Burton nous a gâtés. Visuellement, c'est un bonheur : le film est
très sombre (c'est l'histoire qui le veut), mais magnifiques, le village
est très bien rendu, les costumes impeccables, et les petits plus
(citrouilles chères à Burton, brouillard angoissant) sont distillés de
façon à complètement envoûter le spectateur qui ne demande que ça. Le film
est sanglant, bien sûr, mais n'est pourtant pas un film d'horreur,
l'écarlate n'est qu'une des couleurs donnant une atmosphère étouffante au
film et les morts sont courtes et indolores. À l'opposé, les couleurs
claires des robes de la mère d'Ichabod (aperçue en rêve lors de
quelques très belles scènes expliquant le traumatisme initial d'Ichabod
sans avoir recours à la parole ; quel dommage que Burton n'ait pas su
faire aussi elliptique et convainquant pour l'intrigue principale !) et la
blondeur des cheveux de Kathrina forment un contrepoint rassurant pour le
timide Ichabod, et pour le spectateur qui s'identifie à lui dans sa
plongée dans un univers irrationnel et terrifiant qui le dépasse.
L'aspect fantastique, bien que finalement assez limité, est aussi
formidablement retranscrit : inquiétant chevalier sans tête (et encore
plus lorsqu'il l'a retrouvée, alors personnifié par Christopher Walken !)
stressante sorcière au fond d'un bois, intrigantes invocations magiques.
Les scènes d'action pure sont également très réussies, le point d'orgue de
la réunion dans l'église en particulier. Et bien sûr, je ne pourrais pas
terminer cette critique sans souligner le formidable accompagnement
musical de Danny Elfman. À partir d'une seule mélodie entêtante qui
revient tout au long du film, il compose une partition tour à tour
stressante, poétique, violente, et en totale harmonie avec l'univers
visuel recréé par Burton. Le CD de la BO est un bonheur à écouter même
sans le support des images, ce qui est tout de même assez rare pour
mériter d'être signalé.
Pour tous les amateurs de beaux livres d'images, d'ambiance gothique
effrayante et attirante à la fois, de musique symphonique et qui ne seront
pas trop regardant sur la qualité du bateau qui les transporte tant que le
voyage se déroule dans un monde enchanté comme celui de Burton, Sleepy
Hollow sera assurément un grand moment de bonheur et de frissons. Et
on attend toujours le prochain film de Burton qui arrivera à la cheville
de celui-ci.
Roupoil, 9 août 2004.