Stanley Kubrick est quand même un gars épatant. Ce qui me
frappe toujours quand je jette un coup d'oeil à sa filmographie, outre la
rareté, c'est la diversité des films qu'il a pu faire, et surtout
l'empreinte qu'il a laissé sur chacun des genres où il s'est aventuré.
Péplum, films de guerre, film historique ou film d'horreur, autant de
films de genre qui seront à jamais marqués par le génie de Kubrick.
Pour le film d'horreur, Stanley est allé chercher à une source sûre, à
savoir dans le monde toujours effrayant de Stephen King. Sur une trame a
priori assez classique, pas de quoi introduire des miracles d'invention
scénaristique, et pourtant, on sait les différends qu'il y eut entre King
et Kubrick à la sortie du film. Au niveau du scénario, de loin ça reste
pourtant assez fidèle : la famille Torrance (Jack, Wendy et leur petit
Danny) s'installe pour l'hiver dans l'hôtel Overlook, perdu au milieu des
montagnes et abandonné de tout client jusqu'au retour du printemps. Mais
pour un hôtel endormi, celui-ci a une présence assez troublante.
Je peux dévoiler la suite même à ceux qui ne la connaissent pas (le gamin
a des pouvoirs étranges, un ancien gardien a tué sa femme et ses filles à
la hache quelques années auparavant, et Jack manifeste rapidement des
troubles inquiétants), elle est de toute façon très rapidement
transparente dans le film. Pas de suspense, pas vraiment d'action, si ce
n'est dans les dix dernières minutes. Voilà qui a de quoi étonner pour un
film d'horreur. En fait, tout est en place après quelques scènes (il est
peut-être un peu dommage que la transformation de Jack soit aussi
brutale), tout ce que nous livre Kubrick, c'est une lente montée de
l'angoisse avant l'apocalypse finale. Et pour ce faire, il use de moyens
peu communs. Plutôt que d'accumuler les scènes-chocs (il y en a, bien
sûr, mais elles sont finalement plus dérangeantes que vraiment
effrayantes), il mise sur une atmosphère générale oppressant, à grand
coups de musique stridente et de décors géométriques. Ces techniques sont
peut-être moins révolutionnaires aujourd'hui qu'à la sortie du film, mais
n'ont rien perdu de leur efficacité : voir Danny tourner en rond sur son
tricycle sur fond de Bartok ou de Ligeti reste beaucoup plus éprouvant que
le sanguinolement permanent de beaucoup de films d'horreur.
On ne demande finalement pas beaucoup plus à un film de ce type que cette
tension, mais quand elle est accompagnée comme ici d'un jeu d'acteurs à la
hauteur, ce n'est pas plus mal. La palme à Nicholson, naturellement,
incroyable en malade mental (allez, il en fait peut-être un peu trop dans
le roulement d'yeux au moment où il revient avec sa hache dans les mains).
Quant aux défauts du film, il y en a quand même un ou deux : le film est
beaucoup moins intéressant dès que la tension retombe, lors des quelques
scènes explicatives avec les personnages du passé. Mais celà est
certainement lié au fait que le scénbario n'est pas d'une lisibilité
parfaite. La toute fin en particulier risque d'en laisser plus d'un (moi y
compris) sceptique. Une façon de nous forcer à lire le bouquin de King
pour mieux comprendre certains détails ?
Avec notre générosité habituelle, nous oublierons ces points de détail
(ben oui, au risque de faire frémir les fans d'Hitchcock, pour certains
films, le scénario est presque un point de détail) et nous garderons en
mémoire la tension qui nous tient en haleine pendant les quelque deux
heures que dure ce mémorable film, toujours inégalé dans le domaine de
l'horreur.
Roupoil, 18 avril 2005.