Pour changer un peu, une critique d'un film qui n'est
plus tout récent, mais que j'ai vu pour la première fois il y a quelques
jours (il n'est jamais trop tard pour bien faire).
Le scénario doit maintenant être connu d'à peu près tout le monde : dans
une ville morne des États-Unis (la pluie continuelle ajoute à l'ambiance
déjà bien glauque du film), deux policiers, l'un à quelques jours de la
retraite, célibataire, revenu de tout (Morgan Freeman, magistral), l'autre
tout juste débarqué, quasi débutant et nerveux (Brad Pitt, toujours
efficace), enquêtent sur une série de meurtres atroces se référant
ouvertement aux sept pêchés capitaux.
Je me rends compte qu'il est en fait beaucoup plus difficile d'écrire des
choses intéressantes sur un film comme celui-ci qui a déjà été abondamment
commenté, que sur une quelconque bouse qui vient de sortir. J'éviterai
donc de trop m'attarder sur la performance des acteurs (si, quand même, je
trouve que Kevin Spacey colle terriblement bien au rôle), la qualité de
la réalisation de David Fincher (ambiance glauque parfaitement maîtrisée,
photo superbe) et la tension émanant d'un scénario machiavélique. Sur ce
dernier point tout de même, un léger bémol venant du fait que j'ai vu ce
film très tardivement : l'épilogue m'a légérement déçu dans la mesure où
je l'ai trouvé plutôt prévisible, ayant vu depuis quelques années
plusieurs films tournés après Seven et s'en inspirant plus ou
moins ouvertement, dans lesquels le même genre de truc est utilisé à
répétition. Un effet pervers amusant... Ah, et puis pour pinailler un peu,
il y a quand même un léger problème dans la construction de la série de
crimes. Comme le montre notamment le crime "Sloth" (Paresse), John Doe a
tout préparé soigneusement depuis des mois ; mais il ne pouvait
certainement pas deviner que l'inspoecteur Mills allait débarquer et mener
l'enquête juste au bon moment pour lui permettre de conclure par
l'apothéose du double crime concluant le film (accessoirement, il y a un
léger problème de logique dans les deux derniers crimes puisque Doe, qui
prétend ne faire que punir des gens qui le méritent, tue une innocente
pour le crime "Envy"). Bon, c'était histoire de chercher la petite bête,
car cette conclusion vient tellement bien à point qu'on ne cherche pas sur
le moment à en analyser la crédibilité.
Bon, j'ai commencé à digresser, mais ce que je voulais faire à la base,
c'était souligner quelques points qui me semblent vraiment très réussis
dans Seven. D'abord, la gestion du voyeurisme que nous propose
Fincher est à mon avis vraiment intéressante. Pour chacun des crimes, il
en montre juste assez pour à la fois nous dégoûter et titiller une
certaine curiosité malsaine au fin fond de notre insconscient (ou de notre
conscience pour les plus dérangés d'entre nous ;-) ), sans tomber
lui-même dans le voyeurisme. Du coup, tout en condamnant violemment les
atrocités commises par le meurtrier, on se demande quel procédé sadique
notre cher John Doe va inventer pour le crime suivant. Dérangeant, mais
tellement bon (j'assume complètement ma fascination pour ce genre
d'ambiance malsaine).
Autre point important, la personnalité du tueur. Souvent trop simpliste
(un "bête" tueur en série qui massacre des gens sans trop se poser de
questions) ou trop tordu (justification des crimes par des considérations
mystiques qui ont vite fait de noyer le spectateur) dans ce genre de film,
elle est ici très intéressante. Sa vision du monde (Doe n'est finalement
"que" une sorte d'eugéniste cherchant à supprimer des personnes n'ayant
pas leur place sur Terre de par leur médiocrité), ajoutée aux reflexions
des deux policiers, incitent le spectateur à se poser pas mal de
questions. Difficile de ne pas sortir de la projection un pu plus
pessimiste, influencé par le nihilisme de Sommerset. Je ne vais
naturellement pas me lancer ici dans une grande dissertation pour savoir
si le monde est vraiment aussi pourri que le film ne tend à nous le
montrer, mais ça fait toujours plaisir de voir au cinéma une oeuvre grand
public (bon, relatif, le grand public, mais quand même) qui ne se contente
pas d'une vision simpliste du monde.
Je pourrais continuer longtemps à parler de ce film fascinant, mais il
faut bien s'arrêter un jour. Ca étonnera peut-être certains qu'après le
bien que je viens d'en dire, je ne lui donne pas une note plus proche du
maximum et que je ne le classe pas parmi mes films cultes, je ne sais pas
trop comment le justifier, mais il me semble qu'il lui manque un petit
quelque chose, la fulgurance qui transformerait ce qui est assurément, aux
côtés du Silence des Agneaux, un classique du thriller à tendance
horrifique que je reverrai régulièrement avec plaisir, en chef-d'oeuvre
impérissable.
Roupoil, 8 août 2004.