Je me rends compte au moment de taper cette
critique que c'est tout de même le quatrième film de Bergman que j'ai
l'occasion de voir, sachant que les trois précédentes projections
m'avaient semblé pour le moins intéressantes à défaut de me laisser des
souvenirs impérissables. Mais comme en plus la musique est une composante
importante de ce film, je pouvais diffcilement le rater.
L'histoire est typiquement bergmanienne, centrée sur les rapports humains
: une femme d'un certain âge (63 ans, d'après le film...) décide un jour
d'aller rendre visite à son ancien mari, millionnaire vivant reclus
dans une maison perdue en pleine forêt, qu'elle avait perdu de vue depuis
trente ans. Si cette perspective n'enchantait guère ledit mari a priori,
la complicité réapparait rapidement, et Marianne s'installe à demeure un
peu plus durablement que prévu. Le couple n'est pas totalement isolé
puisque le fils de Johan, que celui-ci a toujours méprisé, réside à
quelques mètres de là avec sa fille de 19 ans, musicienne qu'il couve
depuis la mort de sa femme.
Bref, des histoires de famille, pas spécialement simples mais pas non plus
invraisemblables ; sans être particulièrement recherché, le scénario
recelle assez d'intérêt pour donner de la matière à Bergman. Et celui-ci
ne se prive pas d'en faire un usage absolument admirable. C'est bien
simple, je ne trouve absolument rien à redire à la forme du film.
Mouvements de caméra au millimètre, gestion de la tension dans les
dialogues absolument extraordinaire (on a quand même droit essentiellement
à deux heures de bavardages entre quatre personnages, mais la façon dont
les ruptures se produisent au moment où on ne les attend pas, et pourtant
de façon absolument naturelle, est impressionnante de maîtrise), et
quelques scènes sublimes pour intensifier les moments les plus dramatiques
(la fuite de Karin dans la forêt, par exemple), une fois de plus, Bergman
nous démontre qu'il sait mieux que quiconque illustrer la complexité des
rapports humains.
Il faut dire aussi qu'il est servi pour celà par des acteurs exemplaires.
La scène de retrouvailles entre Johan et Marianne, qui pourrait être d'une
assoupissante banalité dans la mesure où il s'agit de dix inutes
d'échanges de nouvelles servant à mettre en place les éléments de
l'intrigue, passe pourtant admirablement grâce au talent des deux
comédiens, qui donnent l'impression d'être totalement habités par leurs
personnages. J'émettrai un peu plus de réserve sur le jeu de Julia
Dufvenius, qui me semble un peu artificielle dans sa première scène, mais
comme elle est très mignonne, on lui pardonne :-).
Je m'aperçois que je n'ai même pas parlé du rôle de la musique dans ce
film ! Il est vrai qu'un film commençant au son de la sarabande de la
cinquième suite de Bach ne peut pas être profondément mauvais :-). C'est
d'ailleurs amusant, car étant moi-même violoncelliste, je touvais cette
sarabande inintéressante étant petit, alors que je la considère maintenant
comme un des morceaux les plus surprenants et émouvants de tout le cycle
des suites, et l'utilisation qui en est faite dans ce film est d'ailleurs
en parfaite conformité avec cette opinion. Je m'égare un peu, pas besoin
de s'y connaître en musique pour apprécier le film (ça vous servira juste
à repérer deux ou trois incohérences), mais l'utilisation de la musique
part Bergman, très parcimonieuse, est elle aussi admirable.
Mais alors, me direz-vous, après tant de louanges, pouruqoi ne pas
proclamer Saraband film du siècle ? Eh bien tout simplement car,
en voyant ce genre de film, j'ai l'impression qu'il me manque une
composante selon moi indispensable à un film (et plus généralement à une
oeuvre d'art), celle de l'évasion et de l'émerveillement. Dans son genre,
ce dernier opus de Bergman est une réussite difficilement surpassable,
mais ce n'est pas un film que je reverrais tous les deux mois, et c'est
pour celà que je le place en dessous d'autres oeuvres certainement moins
parfaites, mais qui au fond me procurent des émotions plus diverses et
plus profondes.
Roupoil, 17 janvier 2005.