Pour beaucoup de spectateurs français, ce film a été une
découverte de l'univers fabuleux d'Hayao Miyazaki, devenu depuis cinéaste
respecté et admiré mais qui n'avait à l'époque de la sortie de ce
Princesse Mononoke qu'une poignée de fans en France. Imaginons
leur émerveillement devant ce bijou d'animation adulte ! En ce qui me
concerne, je dois avouer que j'ai raté ça, puisque je n'ai découvert
Miyazaki que quelques années plus tard avec Chihiro. Ce qui ne m'empêche
pas de considérer ce précédent film comme le sommet de son oeuvre.
Pendant la première demi-heure, on n'a pas encore pleinement conscience de
la formidable inventivité de Miyazaki. Certes, le film est beaucoup plus
violent et complexe qu'un Disney moyen, mais l'histoire ne sort pas
franchement des sentiers battus : le prince Ashitaka, dernier représentant
d'un noble empire japonais, se retrouve un jour contraint pour protéger
son village d'abattre un sanglier géant transformé en démon. Ayant été
touché par le démon, il est désormais victime de sa haine, et est
contraint de quitter les siens, pour aller chercher une improbable
guérison à sa malédiction dans une lointaine forêt, maudite à en croire
les habitants du village voisin (dirigé par une femme de poigne !).
Rien de très original jusque-là, mais on est déjà fasciné par la façon
dont cette histoire est illustrée. A des années-lumière de la mièvrerie
d'un Disney, on a tout simplement droit à un traitement normal du sujet,
sans éluder la violence et la complexité, comme dans n'importe quel film
"pour adultes", la magie du dessin en plus (car les dessins sont très
beaux, et la musique de Joe Hisaishi qui les accompagne également). Mais
on n'est qu'au début de ses (bonnes) surprises, car l'intrigue va
rapidement brasser plusieurs thèmes, tous plus intéressants les uns que
les autres : outre la classique histoire d'amour (mais quelle concision
remarquable dans le traitement ! En une seule réplique banale ("Tu es si
jolie"), Miyazaki nous fait ressentir plus que bien des films en dix
minutes d'échanges insipides), une très intéressante réflexion sur la
place de l'homme face à la nature (certes, le film donne envie de se
ranger aux côtés d'Ashitaka "l'écolo", mais le personnage très complexe et
intéressant de Dame Eboshi forme un très bon contrepoint) et quelques
thèmes annexes, comme cette curieuse touche de féminisme avec ce village
où les hommes se font railler par leurs épouses.
Bref, il y de quoi faire avec ce scénario très riche, jamais simpliste,
mais où il se passe toujours quelque chose. Mais le film ne serait pas ce
qu'il est sans la touche de poésie et de fantaisie qu'y ajoute Miyazaki.
Des monstres vraiment spectaculaires, les petits sylvains dans la forêt,
ces animaux qui parlent et qui raisonnent, et les bondissements de dix
mètres des personnages, irréalistes mais qui semblent tout à fait naturels
dans cet univers unique. Seul petit défaut, on rate sûrement quelques
allusions dues à notre absence de culture nippone, mais ça reste du
domaine de l'anecdotique.
Finalement, si je devais faire un reproche à ce film, ce serait peut-être
d'être un peu long (surtout vers la fin, la lente agonie du dieu-cerf
aurait certainement pu être un peu abrégée), mais c'est bien peu pour ce
superbe film, référence de l'animation actuelle, peut-être pas aussi
poétique que Chihiro, mais plus maîtrisé sur l'ensemble de
l'oeuvre.
Roupoil, 27 février 2005.