C'est à un grand événement que je me suis moi-même
convié hier après-midi puisque je me suis enfin décidé à commencer de
combler un trou béant dans ma culture cinématographique. Voilà, je
l'avoue, jusqu'à ce jour je n'avais vu absolument aucun film de la
Nouvelle Vague (ce qui s'en rapprochait le plus devait être un Rohmer des
années 90), c'est donc avec l'impatience piaffante du néophyte que je
sortis de sa boite l'un des classiques de Godard, pape du mouvement qui a
acquis, pour les petits jeunes comme moi n'ayant pas connu les années 60,
un drôle statut de légende vivante dont plus personne ne regarde les films
actuels...
Pierrot, c'est Ferdinand, jeune homme fan de littérature, de poésie et
d'art en général, que Marianne, plutôt orientée terrorisme, persiste à ne
pas appeler par son nom. Ces deux-là sont en cavale dans le Sud de la
France, plus ou moins poursuivis par la police et de vilains italiens.
Mais ce n'est pas ça qui intéresse Godard, ce sont simplement les instants
de vie partagés par nos drôles de tourtereaux, leurs désaccords, leur
ennui, et leur amour, malgré tout.
Bref, sur le fond, il y a de quoi craindre un film atrocement comtemplatif
et intello, qui plus est émaillé de références et citations littéraires
vaguement absconses et politiques franchement datées. De fait, c'est le
cas, et l'oeuvre a certainement de quoi faire fuir le spectateur le mieux
intentionné. Mais pourquoi alors ai-je moi-même été emballé ? Tout
simplement car la forme sublime magnifiquement ce fond. Tout d'abord,
c'est très beau (à l'image des deux acteurs principaux), Godard filme la
nature avec un soin vraiment fascinant, et surtout il prend un malin
plaisir à déconstruire la grammaire cinématographique pour servir son
propos, et même 50 ans après le début de la Nouvelle Vague, c'est fort. Ce
qui pourrait passer pour des effets de styles pompeux (de fait, au début,
on se demande un peu ce que Godard cherche à montrer avec ses curieux
filtres colorés, ses dialogues partagés en voix off et ses impromptus
musicaux) donne au film un extrordinaire vent de liberté. Même les scènes
d'action, à la frontière du surréalisme, un style qui a priori ne me plait
guère (cf ce que j'ai pensé de la déréalisation à l'oeuvre dans le
Satyricon de Fellini), sont absolument excellentes, avec une
bonne pointe d'humour absurde qui donne de l'élan à un film qui serait
sinon, il est vrai, un brin statique.
C'est d'ailleurs le principal reproche qu'on peut faire au film de Godard.
Quand il n'est pas mu par une intrigue (certes farfelue, mais peu
importe), il a tendance à tourner un peu en rond, rendant tout le passage
sur les plages méridionales assez fastidieux. Mais cela ne suffit pas à
effacer l'impression laissée par le reste du film. Le genre de cinéma qui
ne plait pas à tout le monde, mais qui fait tellement de bien à ceux aui
aiment.
Roupoil, 24 mai 2008.