Ce film possédait trop d'atouts pour que je ne sois pas
pas tenté de le regarder un jour. D'une part, avec son titre et son
intrigue invraisemblable, il semble s'adresser naturellement aux cerveaux
malades qui ont navigué trop longtemps dans la sphère des mathématiques.
Et surtout, il s'agit du premier film d'Aronofsky, qui par son seul
Requiem for a dream est entré en bonne place dans mon panthéon
des réalisateurs contemporains. Je serais donc très déçu d'être déçu par
ce film :-).
Comme le titre le laissait présager, il est question de mathématiques. Ou
plutôt d'un mathématicien, Max, qui esaie de découvrire LA suite chiffres
qui régente notre univers et en particulier le cours de la bourse. On le
suis dans cette quête, entre ses visites à son professeur qui a laissé
tomber les maths pour le go, ses atroces migraines et ses discussion avec
un kabbaliste envahissant. Drôle de méli-mélo dont le principal objectif
semble être d'embrouiler l'esprit du spectateur. Pendant une heure, il y
parvient assez bien, en diffusant suffisamment d'anecdotes pour justifier
l'approche mathématique, sans noyer le spectateur ni sombrer dans le
n'importe quoi. Ensuite, ça se gâte un peu, la justification de Max devant
les kabbalistes notamment laissant pour le moins perplexe. On ne peut en
tout cas nier la profonde originalité du propos.
Originalité qui est d'ailleurs entièrement au service d'une réalisation
très surprenante mais fascinante. En fait, difficile de juger ce film pour
lui-même quand on a vu le second opus de son réalisateur, tant celui-ci
ressemble à un laboratoire d'idées qui trouveront leur achèvement dans
Requiem for a dream. La patte est manifeste dès le générique,
accompagné de la musique électro de Clint Mansell (pas encore très
développée, mais l'esprit est le même dans les deux films), et les tics de
réalisation reconnaissables entre mille : plans leitmotivs pour les
actions répétitives (prise de cachets notamment, et là on ne peut vraiment
pas s'empêcher de penser qu'Aronofsky a ensuite trouvé son sujet avec
l'étude de drogués), caméra collée au visage lors d'une scène de
poursuite, et un montage haché mais toujours lisible qui fait déjà forte
impression. En supplément cette fois-ci, un noir et blanc hyper soigné
bien que très crade, qui fait beaucoup pour l'ambiance glauque du film.
Tout ça est très maîtrisé, et suffit à faire de ce premier film une oeuvre
captivante, très en marge de ce qu'on peut voir habituellement sur les
écrans de nos jours, mais qui assume parfaitement sa différence et ses
exagérations. Il est d'ailleurs curieux de voir que c'est en retrouvant
une trame plus classique (mais surtout une plus grande rigueur narrative,
dont l'absence plombe un peu Pi) que le talent de Darren
Aronofsky a réellement explosé. J'attends de le revoir dans une oeuvre
aussi audacieuse que ce premier essai ; avec l'expérience en plus, il
pourrait nous produire de quoi vraiment secouer une production un peu
paresseuse.
Roupoil, 4 juin 2006.