S'il est bien un film dans toute l'histoire du cinéma qui
mérite le qualificatif « culte », c'est certainement celui-ci. Il faut
bien avouer que, de nos jours, on ne comprend pas entièrement pourquoi il
a eu droit à d'aussi violentes interdiction alors qu'on a fait nettement
pire depuis. Certes, il est novateur pour l'époque et très violent, mais
rien de gratuit à mon avis chez Kubrick. Enfin bon, profitons du fait que
le film ait retrouvé sa liberté pour le voir et le revoir.
Dans un Londres futuriste, Alex et sa bande passent leur soirées à boire
du lait enrichir et à laisser libre cours à leurs pulsions : passage à
tabac, viol, rien ne les arrête. Jusqu'au jour où Alex va trop loin et se
retrouve en prison. Il ne tarde pas à faire l'objet d'un traitement
révolutionnaire.
Bien sûr, tout le monde retient du film sa première demi-heure, car tout
le choc pour le spectateur se produit au début. On a l'impression que
Kubrick a laissé libre cours à tous ses fantasmes, c'est à la fois
totalement violent, complaisant, et pourtant génial ! Si le but était de
montrer au spectateur son côté obscur, alors en ce qui me concerne c'est
réussi, je pourrais regarder 10 fois de suite ces premières et toujours
être autant fasciné. Il faut dire que Kubrick maîtrise incroyablement ce
qu'il fait. La société futuriste décrite, même on sent quelques
kitscheries typiquement seventies, est très crédible, et par exemple
l'utilisation d'un argot abscons ajoute beaucoup à l'atmosphère. Et puis
la mise en scène, quel régal ! L'espèce de chorégraphie lors de la bagarre
entre les deux gangs, les Christ dansant sur fond de Neuvième...
L'utilisation de la musique, bien sûr, est absolument fabuleuse (mais qui
mieux que Kubrick sait mettre le classique au service des images ?).
Purcell électronisé et Rossini associé dans l'esprit de milliers de
spectateur à une scène de cul se retournent peut-être dans leur tombe,
mais moi, j'en redemande.
Après ce déchaînement, les deux derniers tiers du film paraissent
forcément moins marquants au premier abord. Mais ne perdons pas de vue
l'objectif du film. Le but n'est pas de faire une apologie de la violence,
mais plutôt une critique de tout un tas de choses à la fois. La prison
tout d'abord, caricaturale et pourtant si réaliste, puis le lavage de
cerveau d'Alex. Le film devient beaucoup plus politique, mais reste
passionnant jusqu'au bout. D'ailleurs, que faut-il retirer de la
conclusion du film ? Rien de très réjouissant en tout cas, le pessimisme
règne devant la bande de pourris que nous a décrits Kubrick. La fable est
indiscutablement efficace, de tous les personnages du film, le seul pour
lequel on pourrait encore éprouver de l'attachement reste Alex. Bref, on
n'est pas loin de la nausée après la projection, même si la fin du film
est à mon avis moins réussie que tout ce qui précède. La scène avec le
ministre n'a pas la force que l'on pourrait en attendre, ce qui fait que
tout tombe un peu à plat.
C'est dommage, mais ça ne donne qu'encore plus envie de se repasser le
film depuis le début, pour profiter à nouveau de cette leçon de cinéma
signée Maître Kubrick.
Roupoil, 3 novembre 2004.