Un ami qui est allé voir le film un peu avant moi m'a
dit l'autre jour : « Il faut absolument que t'y ailles, tu verras, c'est
atroce. Requiem for a dream, à côté, c'est gentil ».
Avertissement inutile puisque j'avais déjà réservé une séance ciné pour
aller voir ce film sur mon agenda, mais ça aura le mérite prévenir mes
très chers lecteurs que ce n'est peut-être pas un film qui s'adresse à
tout le monde que je vais vous critiquer ici.
Brian a vécu pendant l'été de ses huit ans une curieuse aventure : il
s'est réveillé dans la cave de sa maison, saignant du nez et incapable de
se souvenir ce qui lui était arrivé. Il se rappelle tout juste être parti
pour le match de base-ball, quelques heures auparavant. Adolescent, il est
toujours perturbé par cet événement et pense avoir été enlevé par des
extra-terrestres. Neil, lui, se souvient parfaitement des petits jeux
auxquels l'entraîneur de l'équipe de base-ball se livrait avec lui.
Apparemment mois traumatisé, il vend maintenant son corps à des hommes
mûrs.
Vous l'aurez compris, l'avertissement n'était pas totalement usurpé,
puisqu'il s'agit d'un film qui traite de pédophilie. Et pourtant, je
n'irais pas prétendre que le film lui-même est atroce. Au contraire, Araki
a fait, à partir d'un sujet scabreux, un film magnifique. Que ceux que ce
simple concept révulse passent leur chemin, ils n'y trouveront sûrement
pas leur compte, les autres sauront peut-être se laisser surprendre par
cette oeuvre poignante.
Le concept qui rend ce film si peu conforme aux cliché qu'on pourrait
imaginer sur un tel sujet, c'est qu'il se place dans la tête des victimes.
Pas de dénonciation brutale donc, bien au contraire, Araki n'hésitant pas
à faire dire à son personnage principal qu'il a réellement aimé ces
moments. Mais le film ne se voile pas la face pour autant. Il a son lot de
scènes choc (sans chercher du tout le sensationnalisme, absolument pas
nécessaire pour faire passer le message) et de moments à flanquer la
nausée au spectateur le plus averti, mais tout est filmé avec une douceur
extrême, comme échappé d'un rêve. Par moments, on a même un peu peur que
le réalisateur ne s'égare un peu dans cette direction (la scène avec
l'ovni ou celle entre Neil et Wendy après sa première prostitution sont
limites) mais finalement, tout passe sans problème. La musique, qui colle
parfaitement aux images, renforce encore cet étrange sentiment de beauté.
Il faut dire aussi que les acteurs eux-mêmes semblent touchés par la
grâce. Dans des rôles plus ou moins difficiles, ils sont tout simplement
beaux, eux aussi, et surtout incroyablement justes (la copine gothique
et le copain homo y compris, qui pourraient pourtant sembler aux confins
de la caricature ; même l'amitié entre Brian et Eric semble naturelle). Je
n'ai naturellement aucune idée de ce qui peut se passer dans le cerveau
d'un jeune violé pendant son enfance, mais en tout cas, ici, on y croit.
Tout, du comporement avec les parents aux traumatismes résiduels chez
brian, est parfaitement vu et mis en scène. Même la scène de révélation
finale n'est pas éludée et très maîtrisée. Après, on peut toujours
regretter un peu que le scénario ne laisse finalement traîner un faux
suspense pendant une heure et demie que comme prétexte au vrai sujet du
film, à savoir les répercussions à long terme du drame initial, mais la
linéarité du scénario est assumée : Araki se contente de nous raconter une
belle histoire (oui, oui, je maintiens l'adjectif "belle"), de façon
sobrement classique mais diablement efficace.
Je ne peux donc que conseiller aux Roupoils en herbe d'aller voir ce film.
Finalement très différent d'un Requiem for a dream, beaucoup
moins tape-à-l'oeil mais aussi selon moi moins brillant, il n'en reste pas
moins très émouvant et assurément marquant. Pour les âmes sensibles,
préparez-vous psychologiquement avant de rentrer dans la salle.
Roupoil, 12 avril 2005.