Moonrise kingdom,

film de Wes Anderson (2012)



Avis général : 7.5/10
:-) C'est frais, émouvant, prenant, sacrément bien joué et réglé comme du papier à musique.
:-( La mise en place un peu poussive.

Chaque année, au mois de mai, le cinéphile affligé par l'inanité des sorties en salles depuis le Noël précédent, voit une lueur d'espoir poindre à l'horizon : le festival de Cannes approche, et avec lui la perspective de voir un ou deux films intéressants. En plus, cette année, l'ouverture tombe sur une semaine où j'ai du temps libre, je vais pouvoir profiter des premières sorties. Alors, ça commence par quoi ? Wes Anderson. Aïe. Ma seule tentative le concernant est une Vie aquatique qui m'a laissé de douloureux souvenirs et des fourmis dans les jambes chaque fois que je vois son nom sur une affiche. En même temps, à l'époque, Jicibi le grand (un ancien condisciple qui fait désormais une thèse sur l'esthétique du détail au cinéma, spécialiste de Chris Marker de surcroit, on a des références sérieuses sur ce site !) m'avais assuré que je faisais erreur et qu'il ne fallait pas jeter Anderson à la poubelle. Eh bien, allons-y, laissons-lui une seconde chance.

Sur une île perdue vont se croiser les destins de quelques personnages hauts en couleur : la famille Bishop, avec son père un peu fêlé, sa mère qui se tape en douce le flic benêt du coin, et sa tribu dont l'aînée est censée avoir un petit grain, et s'enfuit sans crier gare avec un scout qui vient de déserter son camp, ledit camp étant tenu de main de maitre (ou pas) par un prof de maths grotesque. Bref, tout le monde se lance à la recher du couple de fugitifs, qui découvrent à douze ans le grand amour.

Les préjugés étant redoutables, et le début du film un peu lent, je me suis dit pendant une petite demi-heure que j'allais encore m'emmerder, et qu'Anderson allait m'agacer avec son maniérisme. Il faut dire qu'il a son style bien à lui, fait de rigueur presque géométrique (le coup du prof de maths n'est sûrement pas un hasard !), ses couleurs pastel (ça j'aime bien), ses dialogues parfois à la limite de l'absurde, et ses travellings pas très conventionnels. L'ouverture du film, présentant la famille Bishop, est ainsi un monument d'incongruïté cinématographique, qui en laissera plus d'un perplexe. En ce qui me concerne, c'est l'utilisation de la musique de Britten qui a sauvé la séquence.

D'ailleurs, la musique est une composante importante de l'oeuvre, puisqu'elle est souvent plus qu'illustrative (ça ne cause pas énormément), couvrant un vaste champ allant de Françoise Hardy à une composition originale très réussie d'Alexandre Desplat (au passage, ne ratez pas l'excellent générique de fin). Voila de quoi patienter le temps que tout se mette en place et que les divers personnages soient un peu cernés. Mais qu'est-ce donc dans la suite du film qui m'a fait aussi brutalement changer d'avis sur le cinéma du père Anderson ? À vrai dire, je n'en sais rien. Mais ce qui m'a d'abord touché, c'est cette amourette de préados qui se prend très au sérieux. Les rôles sont clairement inversés dans ce film, les adultes étant nettement plus à la ramasse que les gamins, et ça fonctionne merveilleusement bien. Anderson en profite de temps en temps pour toucher du doigt des sujets profonds, sans toutefois réellement les creuser. C'est son style, on reste dans la miniature, mais c'est peut-être un peu dommage.

Ceci dit, cet art de la miniature, Anderons le maitrise à merveille. Ici, contrairement à La Vie aquatique, tout se met en place avec une cohérence et une précision remarquable, et si on ne rit jamais franchement, on est happés par une histoire qui s'accélère jusqu'à une course-poursuite trépidante et franchement géniale sous un impressionnant déluge. La poésie est bien là, le sourire aux lèvres aussi, on a plus envie de quitter le petit monde farfelu de Wes Anderson.

Il est donc grandement temps que je fasse mon mea culpa : Jicibi, t'avais pas menti, j'avais rien compris, Anderson est un génie (et je fais des rimes pourries). Bon, on se fait une petite séance de La Vie aquatique ce soir ? Mmm, peut-être pas, mais en tout cas, pour une bonne surprise, ce film a été une sacrément bonne surprise.

Roupoil, 24 mai 2012.



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