Mission,

film de Roland Joffé (1985)



Avis général : 9.5/10
:-) Beaucoup de choses :-). Un scénario parfaitement construit qui mêle l'Histoire avec un grand H et le destin de deux personnages magistralement interprétés par Irons et De Niro. Des images superbes, une musique adaptée. Et surtout un film qui marque durablement le spectateur et donne à réfléchir sur la nature humaine.
:-( Pas facile de trouver des défauts à un tel film. Peut-être qu'à vouloir mêler tant de thèmes qui mériteraient chacun un développement important, il risque de déboussoler certains spectateurs.

Depuis le temps que mon meilleur ami Yann Michel m'explique que Mission est l'un des plus grands chefs-d'oeuvres de l'histoire du cinéma, il fallait bien que je me décide à le voir un jour. Et le moins qu'on puisse dire est que je ne regrette pas d'avoir fait l'acquisition du DVD sur la seule base de ce témoignage.

Amérique du Sud (le décor naturel des chutes d'Iguazu est magnifique), au dix-huitième siècle. Dans une jungle encore sauvage, le père Gabriel (Jérémy Irons semble avoir été jésuite toute sa vie) est en pleine mission de conversion des indigènes locaux. Sa méthode : la musique, pour laquelle ces soi-disant sauvages semblent avoir une inclination naturelle. Au même moment, au même endroit, Rodrigo Mendoza (Robert De Niro, tout aussi inspiré) s'intéresse également aux indiens, mais pour des raisons autrement moins élevées : un sombre trafic d'esclaves au profit des représentants des gouvernements espagnols et portugais qui se partagent la région. Il finira pourtant, suite à l'assassinat de son propre frère et une rédemption inattendue, par rejoindre les jésuites et les Guarani et les aider à faire prospérer l'ilot de liberté et d'humanité que représente la mission. Seulement, même au coeur de la jungle, les intérêts politiques n'ont pas disparu et l'arrivée d'un représentant du pape annonce des temps difficiles pour les jésuites.

Avec cette passionnante plongée dans l'Amérique fraîchement colonisée des années 1750, Roland Joffé nous offre plusieurs films, tous plus réussis et marquants les uns que les autres, en un seul. On a d'abord l'impression que, sur un fond historique qu'on a encore du mal à cerner, il nous présente "simplement" l'histoire d'une étonnante rédemption, celle d'un mercenaire sans âme devenant jésuite paternaliste. Si cette première partie n'est en fin de compte pas celle qu'on retient le plus, elle offre quelques très belles scènes (celle d'introduction, qui nous place tout de suite dans l'ambiance, et surtout celle de la visite du père Gabriel à la prison, qui amorce la renaissance de Mendoza) et permet de mieux cerner les personnalités extraordinaires que sont celles de Mendoza et Gabriel (encore, une fois, bravo aux deux acteurs pour leur performance éblouissante). D'un côté, un mystique complètement absorbé par sa mission, inébranlable dans sa foi en l'amour absolu de Dieu, de l'autre impulsif cherchant un sens à sa vie, et qui ne supportera pas de voir l'idéal qu'il avait enfin trouvé détruit par la froide obéissance aux intérêts personnels d'hommes méprisables, catégorie dans laquelle il aurait pourtant été facile de le fourrer avant sa conversion.

Alors que les deux hommes ont trouvé un terrain d'entente (très belles scènes contemplatives au fil de l'eau, sur fond de choeurs) dans la mission, Joffé fait basculer son film vers une étude historique. Tout en évitant de fastidieuses explications (on n'est pas dans La Controverse de Valladolid), il réussit en quelques scènes à nous faire comprendre les enjeux politiques sous-jacents, et à montrer le dessous des cartes, la bassesse et l'inhumanité totale de colonisateurs sans scrupules. Pour des raisons absurdes aux yeux des indigènes (ah, la scène où ils essaient de se faire expliquer pourquoi "Dieu a changé d'avis"), la mission doit être détruite.

Face à ce drame qui se profile, Gabriel et Mendoza vont tous les deux faire face, mais leurs routes divergent à nouveau. Le film ne cherchera pas à juger les deux hommes. D'ailleurs, qui serait capable de dire quelle est l'attitude la plus vaine, du stoïcisme de Gabriel ou du suicide organisé par un Mendoza revanchard mais impuissant ? Joffé se contente donc d'un constat, implacable, et laisse le soin de la réflexion au spectateur. La scène de l'attaque de la mission, longue, terrible, est sûrement l'une des plus fortes qu'il m'ait été donné de voir au cinéma. On ne risque pas d'oublier de sitôt le regard de Jeremy Irons portant sa croix jusqu'au bout, sous les yeux d'un Mendoza agonisant, ni, quelques scènes auparavant, le moment où il s'interroge, en regardant ses amis indiens : "Peut-être auraient-ils préféré qu'aucun de nous ne débarque ici  ?".

On ressort de ce film sous le choc, désespéré d'avoir pu voir une nouvelle démonstration de la bêtise humaine, mais assurément enthousiaste devant une telle leçon d'histoire, d'humanisme, et surtout, de cinéma.

Roupoil, 11 août 2004.



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