Il y a un bon moment que je ne vous avais gratifié d'une
critique d'un film des frères Coen. Il faut dire que ça fait quelque temps
qu'on attend la sortie par chez nous d'un de leurs inimitables opus (on
rassure les fans, c'est pour bientôt). En attendant, pourquoi ne pas se
replonger dans un de les "vieux" films ? Après Barton Fink il y a
quelques mois, allons-y pour ce Miller's crossing quasi
contemporain, mais certainement plus oublié. Une erreur de parcours de la
part des frangins, ou une pépite mystérieusement laissée à l'écart ? Le
suspense est intense.
De suspense, il est plus ou moins question aussi dans le film puisqu'il a
toutes les apparences du film noir classique. Ce n'est pas précisé mais ça
se semble se passer au bon vieux temps de la Prohibition. Leo l'irlandais
est le caïd de la ville, mais un petit neurveux italien du nom de Caspar
commence à s'agiter sous son nez. Il se plaint que son traffic de matchs
truqués ne tourne plus rond depuis qu'un certain Bernie, juif qui plus
est, lui fait des misères dans son dos. Mais Bernie est protégé par Leo
pour les beaux yeux de sa soeur Verna. Tout cela, nous l'observons du
point de vue de Tom, hier bras droit de Leo mais dont les liens avec le
vieux semblent s'effriter. Ce d'autant plus qu'il se tape Verna en secret.
Ca va saigner.
Rien que de très classique dans tout ça ? Oui et non. Oui car tous les
codes et personnages classiques du film noir sont effectivement réunis
ici. Mais non, car avec les Coen à la baguette, tout y est subtilement
différent des classiques en question. Dès la première scène, ils semblent
accorderr plus d'importance à la mise en scène classieuse qu'au discours
(pour le moins complexe à ingurgiter pour le spectateur) de Caspar. Toute
la suite est du même acabit : Tom, loin d'être le flingueur solitaire
comme le voudrait la logique, passe son temps à se faire tabasser sans
réagir, et finit certes par régler tout cet imbroglio de main de maitre,
mais en faisant s'entretuer ses adversaires à l'aide de longs discours.
Bavard et complexe, le film l'est indiscutablement. Peut-être un peu trop
même, dans la mesure où il faut s'accrocher pour bien suivre et où les
multiples trahisons et retournements finissent par transformer les
personnages en pantins subissant leur destin. Mais le film compense par un
certain nombre d'atouts majeurs : outre la mise en scène superbe, les
acteurs jouent le jeu, Gabriel Byrne, désincarné dans le rôle de Tom ; de
plus, le subtil décalage, notamment lors de scènes d'action qui poussent
volontiers du côté du ridicule, permet d'ajouter à cet hommage une touche
de dérision qui en décuple l'intérêt.
Ca ne suffit peut-être pas à en faire un film de la force d'un Barton
Fink, mais je me laisse personnellement embarquer avec grand plaisir
dans cet univers si particulier. Pas sûr que tout le monde y trouve son
compte. En tout cas, les frères Coen avaient déjà à l'époque ce singulier
talent d'insuffler une touche reconnaissable entre mille à un film.
Roupoil, 4 novembre 2007.