Les Chaussons rouges,

film de Michael Powell et Emeric Pressburger (1948)



Avis général : 6/10
:-) Un art (celui de la danse) peu visité par le cinéma, et magnifié dans un ballet central étonnant. Des dialogues piquants.
:-( Ca s'effiloche sérieusement dans la deuxième moitié. Un manque de passion peut-être.

Powell et Pressburger, vous connaissez ? Ces deux géants du cinéma brittanique (et même du cinéma tout court) n'ont peut-être pas par chez nous l'aura qu'ils mériteraient, leurs films étant bien rarement visibles. En ce qui me concerne, je les ai découvertes, comme tant d'autres, lors d'une séance de Colonel Blimp au ciné-club de l'ENS, film dont je garde une souvenir assez flou mais plutôt bon (j'ai en tout cas bien en tête que c'était un film assez singulier). Quand s'est profilée une ressortie en salle des Chaussons rouges en copie numérique tout fraiche, j'ai donc couru vérifier cette première impression.

Les chaussons du titre, ce sont ceux d'un conte d'Andersen mettant en scène une danseuse qui ne peut plus s'empêcher de tournicoter une fois les chaussons enfilés, jusqu'à en mourir. Le film lui-même est uns sorte de mise en abyme du conte, narrant l'ascension foudroyante de la jeune Victoria Page au panthéon de la danse, sous la férule inflexible du très vicieux Lermontov, et sa chute apparement inéluctable.

C'est donc à une sorte de conte moral sur la condition d'artiste que nous sommes conviés, un sujet palpitant qui, même s'il n'est pas toujours exploité au mieux ici, suscite quelques interrogations à la sortie de la salle. Mais ce questionnement ne pointe en fait le bout de son nez que dans la dernière partie du film, qui commence assez tranquillement comme une peinture du milieu du ballet au début du vingtième siècle, avec pour personnage principal un ersatz assez mal déguisé de Serge de Diaghilev, curieusement affublé du nom d'un écrivain russe tout aussi réel. Bref, si on aime voir un orchestre au travail ou des danseurs répéter à la barre, on sera comblés, et ce d'autant plus que le Technicolor rend ces premières séquences très vivifiantes. On pourra tout de même regretter un léger manque de réel souffle dans tout cela, les réalisateurs se plaçant résolument en spectateurs (emerveillés certes, mais celà suffit-il ?). Seule la toute première scène trouve un ton emballant. Les bons mots vachards de Lermontov suffisent tout de même à rendre tout cela très plaisant.

Cette plongée dans le petit monde de la danse culmine lors d'une représentation intégrale du ballet donnant son titre au film, et qui nous est présenté sous une forme fantasmée (avec fuites en-dehors du lieu de la représentation et effets spéciaux à l'avenant) assez originale et plutôt inspirée. Tout le monde n'aimera pas, mais ça a le grand mérite de réellement interpeller et faire preuve d'une volonté artistique intéressante.

C'est moins le cas de tout ce qui se passe après cet apogée. Le film force assez artificiellement des péripéties dispensables pour atteindre sa conclusion (n'aurait-on pas pu l'imaginer intervenant largement plus tôt ?), et dilue fortement son intérêt, au point même que le message final n'est pas bien clair. Entre la danseuse et le musicien, qui a vraiment trahi l'autre ? Personne peut-être, l'artiste était simplement condamné dès le départ. En tout cas, quelle que soit l'interprétation qu'on en fera, la dernière scène est inoubliable, et sa magnificence ferait presque oublier les défauts de ce qui précède.

Roupoil, 21 avril 2010



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