Le retour d'Haneke dans ma page critiques aura été rapide
puisqu'à peine quelques semaines après avoir vu Funny games US au
cinéma, je suis tombé sur un intéressant coffret DVD regroupant les trois
volets de sa trilogie de début de carrière dite de la glaciation
émotionnelle. Tout un programme ! De fait, il y a bien un point sur lequel
Haneke n'a guère évolué en vingt ans, c'est que son cinéma n'appartient
définitivement pas à la catégorie divertissement.
Le septième continent (titre un peu énigmétique qui n'est pas
explicitement expliqué dans le film, mais qui se comprend bien malgré
tout) nous narre trois ans de la vie d'une famille gentiment bourgeoise
dans l'Autriche actuelle (enfin, de l'époque du film). Enfin, narrer n'est
pas vraiment le terme, car il n'y a pas d'intrigue à proprement parler
pendant les deux tiers du film, on suit jute ce couple et sa petite fille
dans son quotidien le plus banal et ses problèmes tout ce qu'il y a de
moins originaux. Mais ces petites fêlures vont finir par mener à une
décision pour le moins brutale de la part de notre petite famille.
On ne peut pas vraiment en dire plus sans dévoiler le principe du film
(mouarf au passage pour le résumé grotesque disponible par exemple sur le
site d'Allocine, ils ont pas tout à fait compris le film), attardons-nous
donc un peu plus sur la forme que sur le fond. Pendant une heure donc, on
a droit à une succession de petites tranches de vie, mais Haneke refuse
systématiquement de se centrer sur les personnages. La plupart du temps,
ce sont les objets qu'il filme en gros plan, accentuant l'impression de
banalité et de répétition, et les coupures au noir systématiques entre les
scènes se font la plupart du temps au moment où la scène commence à
s'installer et que le spectateur attend donc assez raisonnablement qu'il
se passe un événement notable. Ceux qui sont allergiques à ce genre de
procédé s'enfuieront très vite, mais cela suffit à installer une curieuse
atmosphère pesante et dérangeante alors qu'il ne se passe objectivement
presque rien. Fort, le mec, quand même !
Et puis, dans la dernière demi-heure, c'est la rupture (mais pas au niveau
du style !), la violence (presque pas montrée directement, comme souvent
avec Haneke), le choc. Si on avait été dérangés sans trop savoir pourquoi
auparavant, là on est anéantis par ce final d'autant plus désespérant
qu'il est inéluctable puisqu'annoncé dans le film par le père de famille.
Ce que je trouve encore plus fort que dans un Funny games, c'est
qu'ici le film n'est pas une simple démonstration théorique jouant à fond
du vecteur cinématographique, mais un drame affreusement réaliste. C'est
bel et bien notre vie anodine qu'Haneke nous lance à la figure, les
dérives de notre société et les extrémités auxquelles elle peut mener (on
a du mal à regarder sa télé de la même façon à la fin du film).
Difficile à regarder (le film est objectivement chiant à certains moments
pendant sa première partie, mais bon, c'est le concept), difficile à
apprécier selon nos critères habituels, Le Septième continent est
pourtant un modèle de précision et d'efficacité dans sa dénonciation, un
film qui marque, une claque impressionnante de maitrise qui surpasse pour
l'instant les oeuvres ultérieures que j'ai pu voir d'Haneke. Un film peu
connu mais qui mérite incontestablement d'être découvert.
Roupoil, 15 août 2008.