Bon, ben voilà, ça y est, après avoir vu la moitié des
films en compétition à Cannes, me voilà devant celui qui a obtenu la
récompense suprême. Si j'étais mauvaise, je dirais bien qu'il ne devrait
de fait pas avoir trop de difficultés à se placer au-dessus des autres
candidats, donc aucun jusque là ne m'a complètement convaincu. De toute
façon, étant presque un habitué des films de Haneke, je sais que ça ne
peut pas être totalement inintéressant. Chiant par contre, c'est
possible, surtout quand le film dure près de deux heures et demie (durée
standard pour un film cannois de nos jours, apparemment).
Ce à quoi nous convie une fois de plus Haneke, c'est à l'analyse d'une
société gangrénée par le mal, mais là où il nous change un peu nos
habitudes c'est qu'il remonde près d'un siècle en arrière pour nous
poser au milieu d'un village allemand à la veille de la première Guerre
Mondiale. Un village a priori comme n'importe quel autre, avec son baron
qui maltraite plus ou moins ses paysans, son pasteur bien psychorigide,
son mèdecin et son instituteur un brin naïf. Mais de curieux évènements
ne vont pas tarder à se produire : c'est d'abord le mèdecin qui est
victime d'un accident de cheval qui n'en est manifestement pas un (un
fil tendu entre les arbres), puis une ou deux morts suspectes achèvent
de mettre le village sous haute tension. Les vieilles rancoeurs ne
tardent pas à ressortir de leur trou.
De loin, ce genre de scénario pourrait faire penser à une trame de
policier vachard type Le Corbeau de Clouzot, mais sans grande
surprise, ce qui intéresse Haneke est plus le côté vachard que le côté
policier de la chose. D'ailleurs, on ressortira de la salle sans être
très certain de quoi que ce soit, les auteurs des crimes n'étant pas
vraiment identifiés. Et peu importe d'ailleurs puisque là où Haneke
excelle (une fois de plus), c'est dans l'instillation d'une ambiance
malsaine et dans la mise en place de règlements de compte d'une violence
glaciale mais d'autant plus insoutenable.
Il s'appuye pour celà sur une reconstitution en noir et blanc très
contrasté à la fois magnifique et inquiétante, et bien sûr sur son petit
lot de scènes inoubliables, au premier rang desquelles figure sans doute
l'ahurissante rupture du mèdecin et de la sage-femme. Mais c'est loin
d'être la seule, le film dans son ensemble est remarquablement
construit, et on ne s'ennuie pas une seconde (enfin, du moins en ce qui
me concerne, et ceux qui ne pensent pas de même feraient bien de fuir en
courant quelques-uns des précédents films du réalisateur autrichien).
L'analyse d'une société étouffante et de personnages tous moins joyeux
les uns que les autres est réellement remarquable.
Pourtant, il y a quelque chose qui me chiffone un peu dans ce film.
depuis ses premiers films, je préfère toujours un Haneke narratif
(Le Septième continent, son immense premier film, qui
n'explique absolument rien) à un Haneke démonstratif (Benny's
video, qui s'attarde trop sur les conséquences). Ici, le film est
narrativement parfait, et semble ne pas chercher à prouver quoi que ce
soit, comme l'indique sa fin sybilline. Pourtant, Haneke ouvre carrément
son film par une phrase qu'on ne peut pas rater, prétendant relier tout
ceci à des "évènements futurs" dans lesquels on ne peut pas ne pas voir
planer l'ombre du nazisme. Ca me laisse perplexe. Je n'ai pas vraiment
l'impression que ce film ait grand chose à voir avec ce qui a pu se
passer vingt ou trente ans plus tard en Allemagne. Haneke lui-même
explique à propos de son film qu'il n'est pas dirigé spécialement vers
le nazisme, mais vers tous les régimes autoritaires. Pourquoi pas, mais
dans ce cas, pourquoi aiguiller le spectateur de façon aussi précise ?
Ce dernier sera sûrement capable de tirer les leçons qu'il veut de ce
qu'il a vu à l'écran...
Malgré cette petite réserve, ce Ruban blanc est certainement
l'un des films à voir de cet automne, et comme prévu, se place largement
au-dessus des autres sélectionnés cannois. Peut-être même au-dessus de
la plupart des autres films de son réalisateur...
Roupoil, 4 novembre 2009.