Allez savoir pourquoi, avant même d'entrer dans la salle,
ce film, je le sentais bien. Peut-être parce que la bande-annonce laissait
entrevoir un univers fantastique et tourmenté comme je les aime ? En tout
cas, je me l'étais réservé comme conclusion et (j'espérais) apothéose de
mon après-midi cinéma (d'ailleurs plutôt bien commencée), dans un élan
d'optimisme béat puisque je n'avais encore jamais eu l'occasion de me
frotter à l'univers du réalisateur, dont la filmographie n'était
jusqu'ici pas si impressionnante. Je n'ai pas été déçu.
A la fin de la guerre civile, dans une forêt perdue au fin fonde de
l'Espagne, les combats continuent à faire rage entre les rebelles,
planqués dans les hauteurs, et les franquistes menés par le très peu amène
capitaine Vidal. Sa femme, sur le point d'accoucher, le rejoint avec
Ofelia, sa fille d'un premier mariage. Celle-ci est une grande amatrice de
contes de fées. Elle va bientôt faire des découvertes surprenantes dans le
labyrinthe attenant à la propriété.
Del Toro s'est lancé dans un défi jamais facile à relever : insérer une
part de fantastique dans une histoire qui ne s'y prête guère a priori,
tentant ainsi d'aborder le drame historique sous le forme incongrue d'un
conte de fée. On pense forcément à Tim Burton (je ne suis aps le premier à
faire allusion à propos de ce film), et pourtant l'optique de Del Toro est
radicalement opposée à celle du grand Tim : là où Burton, dans Edward
aux mains d'argent, fait resurgir subtilement la cruauté dans un
monde réel aux couleurs fantaisistes, le fantastique de Del Toro sert
d'échappatoire à une réalité extrêmement sombre. L'entrée du labyrinthe
est ici fortement déconseillées aux enfants, les scènes de violence étant
fort nombreuses et assez marquantes. Même les échappées vers le
fantastique se font dans une atmosphère sombre et angoissée (de nuit, dans
la forêt...). Mais, et c'est bien là l'essentiel, les deux aspects du film
se marient à merveille. Comme je suis un infatigable râleur, je ne peux
tout de même m'empêcher de constater que les effets spéciaux sont parfois
voyants, même s'ils sont dans l'ensemble très beaux (disons que le faune
est tellement mieux que le vilain crapaud en images de synthèses...).
Autre (faux) point faible du film, la simplicité apparente du scénario.
Certes, l'univers imaginaire n'est pas d'une originalité débordante (le
coup de l'épreuve où il ne faut surtout rien manger, on l'a déjà vu
ailleurs) mais c'est une sorte de nécessité de cohérence (je vais pas vous
raconter la fin, mais sachez tout de même que celle-ci est magnifique ; il
est tellement dur de bien finir, là, c'est sûrement le plus beau moment du
film). Quand à l'affrontement entre très vilains franquistes et
(forcément) gentils maquisards, il est affreusement manichéiste. Oui,
certes, mais c'est un conte, et ce conte ne tiendrait pas debout si le
peronnage de Vidal n'était pas une ordure jusqu'au bout des ongles et
Mercedes une sorte de sainte inattaquable. Si vous n'êtes pas contents,
retournez voir des films crédibles et chiants comme la pluie.
Là, c'est au plus profond de nous que Del Toro cherche à nous atteindre,
et on peut dire que dans l'ensemble, le bougre vise sacrément juste. Je
n'ai même pas eu le temps de dire le bien que je pensais des acteurs (la
jeune Ivana Baquero, très bien, et Sergi Lopez, impressionnant une fois
qu'on a admis qu'il devait en faire le plus possible dans l'antipathie) et
de la musique (qui, niveau mélodique, fait un peu penser à un certain
Danny Elfman, comme c'est curieux). Bon, j'arrête là mes louanges, dans un
genre pas facile, c'est une très belle réussite. Et vu le peu de films
emballants auxquels on a eu droit cette année, ce serait vraiment dommage
de rater celui-ci.
Roupoil, 2 novembre 2006.