Suite à la judicieuse initiative de Studio Canal de ressortir à prix
raisonnables de belles éditions de classiques du cinéma en noir et blanc
(je fais rarement de la pub sur ma page, mais là ça vaut le coup), je me
suis retrouvé deux jours de suite devant des films de celui que je
considère comme le plus grand réalisateur français de l'époque, ce bon
vieux Clouzot (rien à voir avec l'inspecteur du même nom). Et pour
commencer, un film qui aurait été d'actualité il y a peu de temps, affaire
Clearstream oblige.
Dans une petite ville de province, donc, les lettres anonymes pleuvent.
Tout le monde a droit à sa petite dénonciation personnelle, mais au coeur
de la tourmente se trouve le docteur Germain, fraichement arrivé, au passé
un peu trouble et soupçonné d'être un avorteur et de se taper la femme de
son collègue Vorzet. La soeur de celle-ci, ancienne fiancée de Vorzet et
désormais religieuse, devient rapidement le suspect numéro 1. En
attendant, les langues se délient...
Clouzot s'est manifestement fait plaisir avec ce faux suspense à
l'atmosphère malsaine. Je dis faux suspense, car la révélation de
l'identité du corbeau, bien que loin d'être accessoire puisqu'elle est le
moteur dramatique de tout le film, est au fond une habile façon de
déballer au grand jour toutes les sales histoires du village. A la
rigueur, on pourrait imaginer quatre ou cinq coupables crédibles et autant
de scènes finales qui ne perturberaient que légèrement le bel agancement
de l'intrigue.
Ce qui intéresse Clouzot, c'est de montrer la mesquinerie et l'hypocrisie
qui sous-tendent toutes les relations de ce microcosme. On imagine le
corbeau jubiler à la vu du grand déballage qu'il a provoqué, conforté dans
son cynisme misanthrope. Ca n'a pas plu à tout le monde à l'époque, ce qui
peut se comprendre sur fond de guerre mondiale, mais je ne suis pas
certain qu'un remake actualisé soit mieux accueilli de nos jours. La
politique de l'autruche régente encore fort efficacement notre société, et
le mot 'transparence', pourtant utilisé à toutes les sauces, me fait bien
rigoler (je serais assez corbeau dans l'âme, mais je n'ai aucune envie de
me fatiguer à dénoncer, je n'ai de toute façon aucun espoir concernant une
amélioration de notre société de ce point de vue).
Mais je m'égare complètement, revenons-en au film. Si je ne m'étends guère
sur ses qualités techniques, c'est qu'elles sont celles qu'on retrouve
dans tous les bons films de l'époque, sans plus : acteurs solides, rythme
maitrisé, réalisation efficace à défaut d'être brillante. J'ai presque
envie de dire que ce n'est pas le but du film d'être brillant. Clouzot
cherchait simplement à faire du divertissement (sombre, tout de même, le
divertissement, mais c'est ça qui est bon) efficace et intelligent.
Et dans cette optique, il n'y a rien à reprocher à son cinéma.
Roupoil, 10 juin 2006.