Mes lecteurs attentifs, se souvenant peut-être avec
quelle vigueur j'avais démoli il y a quelques mois Elephant,
seront certainement surpris de me voir à nouveau me frotter à l'art
inimitable de Gus van Sant. je ne sais pas s'il s'agissait là d'un accès
de masochisme, d'une volonté de croire que les critiques n'encenseraient
pas à nouveau un film chiant à mourir, ou simplement d'un espoir que le
sujet annoncé (les derniers jours de Kurt Cobain) induirait un traitement
plus intéressant, mais j'y allais en tout cas avec la conviction que ce ne
pourrait pas vraiment être pire qu'Elephant. Je me trompais
lourdement.
Inutile d'essayer de résumer la dernière expérimentation cinématographique
de van Sant (non, désolé, je n'ai même pas envie de parler de film pour
désigner ce machin), puisqu'il n'y a pas d'histoire. On voit juste Blake
(le sosie de Cobain), manifestement défoncé, errer dans sa maison, pendant
que les autres habitants du lieu dorment, font la fête ou reçoivent
d'étranges visiteurs. Le tout dans une rare économie de dialogues et
d'explications. Il semblerait que l'auteur ait voulu saisir la lente
décrépitude physique et morale qui accompagne ces derniers jours. C'est un
fiasco total : les seuls moments où on a vaguement l'impression de
ressentir quelque chose, c'est quand la musique envahit l'écran. on se met
à rêver que le film décolle enfin (ça fait une heure qu'il est commencé),
mais la désillusion est rapide. C'est simplement la musique qui provoquait
ce début d'émotion, ensuite ça redevient chiant comme jamais.
Pour pimenter un peu son film, van Sant a ajouté quelques-uns de ses
éléments favoris : temporalité perturbée (les scènes vues plusieurs fois
sous des angles différents), plans fixes sur la nature, ou plans-séquences
interminables sur une personnage qui se balade de dos. Mais autant on
pouvait trouver une justification à ces afféteries dans Elephant,
autant ici on ne voit absolument pas où le réalisateur veut en venir.
Ajoutez à cela des bruitages incompréhensibles à longueur de temps (notons
par ailleurs le choix particulièrement étrange des illustrations musicales
: Janequin (enfin, si j'ai bien identifié) pour accompagner la mort de
Blake, c'est certes original, mais on se demande quel sens ça a) et vous
comprendrez que le profond ennui du spectateur se mue en perplexité puis
en agacement. Le tout se clôt avec une scène ridicule où l'âme de Blake se
sépare de son corps, sans l'ombre d'une amélioration entre-temps.
Le cinéma de van Sant me fait un peu penser aux dérives de la musique ou
de la peinture dans la seocnde moitié du siècle dernier : on fait
n'importe quoi en prétendant avoir un projet artistique, les critiques
applaudissent à deux mains, et tout le monde semble content. J'ose espérer
que cet exemple ne sera pas trop suivi. En attendant, je ne peux que
donner ce conseil à ceux qui seraient attirés par l'affiche de Last
days : fuyez !
Roupoil, 15 mai 2005.