Cette fois-ci c'est en terrain connu que je pose les
pieds avec le dernier film des frères Coen. D'ailleurs, ça ne rate pas,
dès le générique, on se sent a l'aise. Une caméra qui louvoie agréablement
au-dessus d'iune rivière où passe un "bâteau-poubelle" dont l'importance
capitale se fera sentir par la suite, un corbeau, et la musique typique du
Sud américain profond où les frères Coen semblent avoir pris résidence
depuis quelques films.
La suite est à l'avenant : une mémé noire gentiment hors du coup dans sa
grande maison se fait aborder par un professeur de philo tout aussi
hors-norme, intéressé par le sous-sol de sa demeure, soi-disant pour y
jouer de la sacqueboute et du violon baroque (moi, je dis, franchement il
y avait de quoi se méfier, c'est quand même louche, des gens qui aiment la
musique française du dix-septième...), en fait pour y préparer le casse du
casino voisin avec une bande de malfrats minables. La réussite
incontestable du film, c'est cette galerie de personnages fantasques et
attachants, tous formidablement interprétés par une brochette d'acteurs
inspirés (ah, les gloussements de Tom Hanks, décidément à l'aise dans
n'importe quel rôle). L'histoire elle-même n'a pour le moins rien
d'original, mais est habilement menée, et quelques scènes (dont un
dénouement réjouissant) font apparaitre un sourire amusé sur le visage du
spectateur confortablement installé dans son fauteuil.
Mais alors, me direz-vous, pourquoi donc mettre une note si mauvaise à un
film qui semble ne pas présenter de défauts ? Eh bien, certes, ce jugement
de ma part est un peu sévère, mais je suis tout de même sorti un peu déçu
de ce dernier rendez-vous avec les frères Coen. Après un
O'Brother encore inspiré et plein de fantaisie, mais lorgnant
déjà vers la facilité et un Barber d'un classicisme étouffant
(j'ai raté Intolerable Cruelty au milieu, je me rattraperai un
jour), je regrette à nouveau les réussites de leurs premiers films : mais
où est donc passé l'univers fascinant d'un Barton Fink ? Certes,
ce Ladykillers se laisse regarder avec plaisir, mais on n'y
retrouve presque rien de la verve juvénile des Coen. Trop classique,
presque trop "bien fait", on a l'impression de se retrouver devant un
grand classique du cinéma d'il y a vingt ou trente ans remis au goût du
jour (ce qu'est Ladykillers, de fait, mais les Coen ont assez
d'imagination eux-mêmes pour ne pas avoir besoin de reprendre celle des
autres), et pas devant la dernière création de deux des plus éminents
novateurs du cinéma américain de ces quinze dernières années.
Un coup dans l'eau donc, qui ne suffira certes pas à m'empêcher de foncer
voir le prochain film des frères Coen, avec peut-être la crainte d'une
nouvelle déception, mais toujours l'espoir que leur maîtrise intacte sera
cette fois au service d'un projet plus enthousiasmant.
Roupoil, 17 juillet 2004.