Après une première journée plutôt réussi pour ce
printemps du cinéma, il ne me restait plus grand chose d'indispensable à
voir, je me suis donc dit qu'il était temps de tenter une expérience un
peu plus hasardeuse, et j'ai choisi pour cela le dernier film de Wes
Anderson. Je n'avais pas vu ses oeuvres précédentes, mais la bande-annonce
laissait entrevoir, à défaut d'un bon film, une certaine originalité.
Ça commence bien, puisque le héros du film s'appelle Steve Zissou (!), est
une sorte de clone grotesque du commandant Cousteau (!!), et fait des
documentaires à son image, donc plutôt étranges. Il cherche d'ailleurs un
financement pour son prochain film, où il doit partir à la chasse au
requin-jaguar, qui lui a bouffé un ami de longue date à l'épisode
précédent. Débarque juste à ce moment son fils caché, la trentaine, mais
qu'il n'a jamais rencontré. Il ne va tarder à rejoindre son père et sa
joyeuse bande de cinglés pour une aventure invraisemblable.
Très rapidement, on comprend qu'on a effectivement dans une drôle de
galère, qui ne ressemble à peu près à rien d'autre de ce que j'ai pu voir
sur grand écran. Tous les personnages ont manifestement un léger grain,
les dialogues virent en quelques secondes au n'importe quoi, et quand un
gamin fan de Zissou vient lui offrir un cadeau, c'est un hippocampe
arc-en-ciel (ce n'est pas la seule apparition de créatures aquatiques
surréalistes). Bref, tout le film se base sur l'art du subtil décalage. Ce
n'est pas pour me dépllaire, mais bon, chercher à faire décaler uniquement
pour ne pas tomber dans le déjà-vu, ça atteint rapidement ses limites. Et
ici, le décalage est certes constant, mais aussi presque constamment
hyper-subtil (à l'exception par exemple de la scène de fouille de l'île
Ping, qui est pour le coup vraiment ridicule, et du coup plutôt meilleure
que le reste du film), provoquant comme unique réaction chez le spectateur
normalement constitué une perplexité prolongée. On ne rit jamais, ce qui
est un peu gênant pour une comédie, et on passe son temps à se demander où
veut bien nous mener le réalisateur. Au bout d'un certain temps, on finit
d'ailleurs par y renoncer, ce qui permet finalement d'apprécier un peu
plus les qualités du film.
Car tout n'est pas à jeter non plus. L'atmosphère douce-amère générale,
renforcée par une musique incongrue (du Bowie chanté en portugais) mais
séduisante, arrive par moments à emporter l'adhésion (dommage qu'elle soit
finalement plus plombée qu'autre chose par des simili-gags qui tombent à
l'eau avec une régularité impressionnante). Et surtout, la galerie de
personnages loufoques est tout de même assez réjouissante, renforcée par
un casting de haut vol.
On regrette que tout ce beau monde ne fasse que s'agiter en vain dans un
film dont je m'évertue toujours à comprendre le sens profond. Wes Anderson
a certainement des qualités à exploiter, mais cet opus-là ressemble fort à
un coup d'épée dans l'eau. Ou bien je ne suis tout simplement pas réceptif
à ce genre de poésie et d'humour.
Roupoil, 24 mars 2005.