Il y a des films qu'on a presque peur de regarder
tellement les warnings "attention mythe" clignotent dans le cerveau avant
même que la première image n'apparaisse à l'écran. La Nuit du
chasseur fait indiscutablement partie de cette catégorie, mais comme
je l'avais déjà vu, je ne me suis pas trop laissé impressionner :-).
Dans l'atmosphère délétère de l'Amérique des années 30, Ben Harper, père
de famille bien sous tous rapports (enfin, pour ce qu'on en voit), se
sacrifie pour ses enfants en volant quelques milliers de dollars. Avant
d'être arrêté, il a le temps de planquer l'argent. Seuls les gamins
connaissent la planque, mais un compagnon de cellule pour le moins
inquiétant et soi-disant pasteur a des vues sur le magot. Une fois sorti
de prison, il entreprend de courtiser la veuve et de sonder les gosses.
Sur ce qui ressemble à une trame assez classique, Laughton nous procure un
film unique à plus d'un titre. D'une part parce qu'il est la seule oeuvre
de son auteur (ce qui n'a pas manqué de jouer dans la vénération qu'il
inspire chez certains), mais aussi car il navigue à contre-courant de
toutes les modes. Au lieu du film noir attendu, il nous sert une sorte de
conte farci de références bibliques, où l'angoisse et la poésie surgissent
aux moments les plus inattendus. Visuellement, le film est également
surprenant et indiscutablement fascinant. Noir et blanc crépusculaire
(plus noir que blanc, en tout cas...), jeux d'ombres permanents, le film
possède une ambiance magnifique.
Pour ce qui est des facéties du scénario, je suis nettement moins emballé.
Le personnage d'Harry Powell est certes passionnant (et Mitchum l'incarne
réellement), mais on a un peu l'impression que Laughton s'appuie sur ses
délires mystiques pour donner une dimension supplémentaire au film, ce qui
me semble tout à fait superflu. Et puis tout de même, la dernière partie
qui vire résolument au conte de fée (avec grand méchant loup) est pour le
moins désarmante.
Rien que pour embêter les admirateurs, je vais avouer que j'aurais
personnellement bien aimé que Laughton tourne quelques autres films, pour
voir ce que deviendraient les promesses pas complètement réalisées de
celui-ci. Mais finissons sur une bonne note : le début de la descente de
la rivière, moment de poésie pure déboulant sans prévenir au beau milieu
du film, sur fond de comptine enfantine (j'en profite pour noter la
prédilection de Laughton pour les chansonnettes, très bien utilisées, qui
contribuent à l'atmosphère décalée), est une des plus belles séquences de
l'histoire du cinéma. Rien que pour ça, il faut voir ce film une fois dans
sa vie.
Roupoil, 9 août 2006.