Et c'est toujours une lutte acharnée pour le titre de
réalisateur le plus critiqué par Roupoil, entre Steven Spielberg et Tim
Burton. Ah mais non, que vois-je, messieurs, dames, Spielberg est en train
de revenir à hauteur de Burton, quel suspense !! Ahem, veuillez m'excuser
pour cette introduction peu adaptée pour un film pas vraiment rigolo, bien
que réalisé par l'empereur du film familial. Après un ou deux films
sérieux dans les années 80, qui passaient presque inaperçus au milieu des
E.T. et autres Indiana Jones, Spielberg se lance le plus
difficile des défis en 1993 avec un film sur la Shoah. Certains
s'attendaient sûrement au pire, c'est à mon sens le meilleur qui est
arrivé.
Le prétexte fictionnel du film est tiré d'une histoire vraie (quand même),
celle d'Oskar Schindler, dandy nazi qui profita de la guerre pour faire
fortune dans l'industrie de l'émail puis utilisa finalement une grande
partie de son argent à racheter les aller simples vers les camps de la
mort d'un millier de juifs. On pouvait se demander quelle allait être la
position de Spielberg : se concentrer sur la fiction, en laissant la
grande histoire en arrière-plan, ou au contraire profiter de l'occasion
pour faire une oeuvre plus documentaire ? Pendant pas loin d'une heure,
c'est plutôt la première hypothèse qui semble privilégiée. On suit
essentiellement Schindler dans ses magouilles et ses soirées arrosées, ce
n'est pas la partuie la plus intéressante du film. Mais soudain, tout
bascule, au moment de la liquidation du ghetto de Varsovie, où Schindler
découvre l'horreur en même temps que nous.
A partir de ce moment, le film ne sera plus le même, mélange de fiction et
de témoignage, certaines scènes étant assez nettement détachées du cours
de l'intrigue. Certains n'ont pas pu s'empêcher de médire de la façon dont
l'Histoire était traitée par Spielberg. S'il y a certes quelques
imprécisions, il s'agit de détails sans importance. Quand à ceux qui
s'indignent de la fameuse scène des douches, je ne les comprends pas.
Faire du suspense sur le sort des juifs est le lot inévitable d'un film de
ce genre, et prétendre que Spielberg essaie de minimiser les exactions
nazies relève de la paranoïa pure et simple. Oui, il a certainement un peu
romancé la belle histoire de Schindler. Oui, il joue beaucoup la carte de
l'émotion. Est-ce une surprise ? Non. Est-ce une mauvaise idée ? Cent fois
non. Spielberg garde toujours ses distances avec ce qu'il filme, et trouve
au contraire la forme idéale pour livrer le plus bouleversant des
témoignages sur un sujet difficile (je n'aime pas le jeu des comparaisons,
mais ceux qui ont trouvé Le Pianiste plus poignant n'ont pas vu
les deux mêmes films que moi...).
Pour cela, il dispose de moyens habituels chez lui mais qui sont toujours
utiles pour faire du bon cinéma : musique impeccable de John Williams
(discrète et présente à la fois), des acteurs impeccables (notamment
Fiennes en Goeth, très troublant), et une réalisation superbe, magnifiée
par un emploi judicieux du noir et blanc (bon, l'utilisation très
parcimonieuse de la couleur n'était peut-être pas indispensable).
Vraiment, de bout en bout, Spielberg a tout bon. En plus d'être un film
nécessaire, sa liste de Schindler est, tout simplement, un grand
film, peut-être même son meilleur.
Roupoil, 9 août 2006.