En cette fin d'hiver 2006, un événement, attendu depuis
des années par quelques fans, dont moi, s'est produit : la sortie en DVD
de La Double vie de Véronique de Kieslowski, qui plus est
accompagnée d'une nouvelle sortie en salles. Imaginez le choc quand j'ai
vu les affiches dans le métro ! Enfin, vous aurez peut-être du mal à
imaginer si vous ne partagez pas ma fascination pour cette oeuvre. Je l'ai
rencontrée la première fois il y a quelques années, par le plus grand des
hasards, une diffusion sur Arte l'année de mes 17 ans, et une obscure
raison qui poussa ma mère à le regarder, et ce fut l'un des rares chocs
cinéphiliques de ma jeunesse (je me suis mis à vraiment aller au cinéma à
peu près deux ans plus tard).
Quelque sept ans après, le souvenir était plutôt faible, même si je
continuais à le placer parmi mes films cultes. Eh bien, je n'ai pas du
changer tant que ça, car j'ai repris une deuxième la même monumentale
baffe. Bien sûr, avec un peu plus de recul et d'expérience, j'ai peut-être
moins été frappé par les effets de réalisation de Kieslowski, et j'ai pu
trouver quelques dialogues un poil sortis de nulle part, mais bon, trente
secondes plus tard, j'oubliais déjà les petits détails qui m'avaient fait
tiquer, tellement ce film fait partie de ceux qui font exploser mon
sensiblomètre dans les grandes largeurs.
Je suis même en train d'en oublier de vous dire de quoi ça cause. Véronika
la polonaise et Véronique la française sont deux filles qui se ressemblent
énormément. Physiquement, bien sûr, mais pas seulement : elles aiment la
musique, chantent superbement, et ont un problème cardiaque. L'une va
faire le choix de la musique et de la mort, l'autre celui de l'amour et
(peut-être) du bonheur. On peut voir là une nouvelle variation sur un
thème à Kieslowski, celui du destin et de l'influence de choix presque
anodins sur une existence. Mais cette problématique n'est qu'une toile de
fond à la belle histoire qui nous est contée, définitivement centrée sur
la musique et l'amour.
Vous me direz, pas très dur d'accrocher le chaland, et encore moins le
Roupoil, avec des thèmes pareils. Certes, mais il y aussi moyen de faire
un enième film plat et sans saveur. Celui-ci est tout le contraire, il
capte l'essentiel, et bien plus, de façon tellement phénoménale qu'on ne
peut qu'être estomaqué. A-t-on déjà vu une actrice mieux filmée qu'Irène
Jacob par Kieslowski ? Elle est sublime jusque dans le moindre détail,
dans ces petits bouts de scène en apparence inutiles et qui forment la
sève du film. Quand à la musique, la partition de Preisner est l'une des
plus belles écrites pour le cinéma, par un artiste qui est loin d'être
un simple faiseur comme on en embauche généralement pour ce genre
d'occasion.
Faut-il ensuite voir une morale dans ce film, la musique contre l'amour ?
J'espère bien que non (je serais bien embêté sinon), je crois que
Kieslowski nous raconte juste une belle et émouvante histoire, parsemée de
moments d'anthologie inoubliables. Le concert de Veronika, avec ses tons
verdâtres, filmée comme une scène de film d'horreur (on comprend pourquoi
à la fin...), est saisissante, bouleversante, la plus belle scène musicale
gravée sur pellicule (enfin, j'ai peut-être déjà dit ça de la mort de
Mozart dans Amadeus, donc mettons-les ex-aequo :-) ).
Encore une fois, c'est à un film dont la musique est un thème majeur que
je mets une note maximale. Ben oui, on ne se refait pas, je n'y peux rien
si je suis plus facilement transporté par les sons que par les images.
Mais ici, croyez-moi, l'image vaut aussi largement le coup d'oeil. Une
expérience à tenter, si jamais vous accrochez autant que moi, vous risquez
de ne jamais l'oublier.
Roupoil, 14 mars 2006.